Pour bien marquer la fin de la question hussite, l’Eglise catholique organisa la signature, lors d’un Concile à Bâle en 1436, les Compactats de la Bohême hussite, avec l’accord de l’empereur Sigismond : l’hussitisme se voyait reconnu partiellement.
L’Eglise catholique avait alors perdu la grande majorité de ses propriétés foncières. Cependant, une nouvelle dynastie se mit en place, les Jagellon (1471-1526), et la royauté était alors faible : les membres de la cour étaient huit fois moins nombreux qu’en France, il n’y avait pas de juristes ni de savants, ni de dames d’honneur.
Il put ainsi y avoir recatholicisation, notamment avec Vladislas Jagellon (1471-1516), aux dépens de la noblesse hussite et de la bourgeoisie pragoise.
La dynastie des Habsbourg, de ce qui deviendra l’Autriche, peut alors intervenir en Bohême et la soumettre, organisant la suppression des institutions démocratiques des grandes communes en 1528.
Une révolte eut lieu contre l’empereur Ferdinand Ier en 1547, avec l’appui des villes tchèques, mais elle échoua, et par conséquent les villes furent privées de leurs biens et de leurs revenus, et fut mise en place l’institution du contrôle par des hetmans et des bourgmestres royaux.
Enfin, les forces catholiques et autrichiennes écraseront définitivement la noblesse tchèque hussite lors de la Bataille de la Montagne-Blanche, en 1620, inaugurant « l’âge des ténèbres » pour la nation tchèque qui est plongée dans le Baroque.
Du côté populaire-révolutionnaire, les restes du mouvement hussite se plièrent à la nouvelle situation ; la ville de Tabor remplaça le calice par l’aigle noir à deux têtes, emblème de l’empereur germanique redevenant souverain de Bohême.
Jean Rohac de Duba, ami de Jan Žižka et de Procope, mena la dernière résistance, se regroupant finalement dans le château de Sion, qui résista plusieurs mois. Après la prise de la citadelle, les troupes de l’empereur massacrèrent tout le monde sauf Rohac et soixante de ses compagnons qui furent atrocement torturés, puis pendus à Prague.
Cette fois, la plèbe devait faire face à une pendaison ouverte d’un des symboles de ce qui aurait dû être sa révolution.
Quant à Tabor, en 1451 il fut exigé la remise des prêtres taborites, ainsi que de Nicolas de Pelhrimov, élu évêque par les taborites.
Nicolas de Pelhrimov parlait de « loi naturelle et éternelle », d’une « église universelle. » Il s’exprimait contre la peine de mort :
« Eu égard à ces autorités et à d’autres semblables, et voyant comment de grands docteurs en ce temps de grâce ont inventé des peines moindres que la mort pour punir les pécheurs, je souhaite qu’en punissant le coupable le juge se conduise comme un père et non comme un tyran; qu’il prenne en considération non les jugements de l’ancienne loi, ni les lois humaines qui sont en désaccord avec celle de l’évangile, mais l’avancement du Christ et la pratique de l’église primitive. »
Devant le refus de remettre ce personnel religieux, la ville fut par conséquent assiégée et dut capituler. Nicolas de Pelhrimov finit ses jours en prison, alors que le pays passait sous la coupe du « roi hussite » Georges de Podebrady.
C’en était fini de la république autonome de Tabor. Pierre Chelcicky (environ 1390-1460) est le grand théoricien pacifiste issu de la défaite taborite; ses idées n’avaient pas de succès avant la grande défaite, elles eurent un écho par la suite, avec ses écrits Postilles et Filet de la vraie foi.
Il est intéressant de noter que Pierre Chelcicky a été une source d’inspiration pour l’écrivain russe Léon Tolstoï, Tolstoï que Lénine décrira comme le « miroir de la révolution russe » ; c’est comme si l’histoire des luttes populaires-révolutionnaires redémarrait à partir de là où elle s’était arrêtée.
Voici de manière très parlante la vision parfaitement romantique qu’a Pierre Chelcicky de la ville, qu’il voit comme un phénomène monstrueux :
« Le maître contradicteur [c’est-à-dire Wyclif, s’inspirant de Flavius Josèphe], discourant sur l’origine des villes, dit que Cain bâtit une ville après avoir assassiné son frère. Il fit ceci parce qu’il avait accumulé des biens par la violence et le vol.
Il employa le fruit de ses rapines à créer des bornes, des poids et des mesures, et changea l’innocence de la vie primitive en ruse et fourberie.
Le premier, il établit les frontières entre pays, entoura les villes de remparts par crainte de ceux que lui et sa horde avaient dépossédés, et il assembla ses compagnons dans ses cités. Voilà comment l’écriture et les maîtres expliquent l’origine des villes.
Telle a été l’origine des villes et des citadelles; tel est aujourd’hui le fondement sur lequel elles reposent. Personne d’autre en effet ne pourrait habiter une ville ou une citadelle sinon des assassins, des violateurs de la légalité, des usuriers, des marchands, des trafiquants, des fripons qui vivent principalement de fraude et de déprédation.
Ceux qui fondent les villes s’y établissent au prix de telles iniquités qu’ils doivent recourir à la violence, pour se prémunir contre les crimes qu’ils ont perpétrés, car ils sont constamment en butte à la haine, l’iniquité ou la trahison; ils sont prêts à vider leurs querelles en versant le sang et en rendant le mal pour le mal. S’ils ont une place forte pour se défendre, ils pillent et terrorisent le pays afin de s’enrichir. »
Cependant, la révolution taborite avait ouvert les portes de l’histoire. Moins d’un siècle après Tabor et Prague, villes révolutionnaires, en 1521, le grand révolutionnaire paysan allemand Thomas Müntzer, la seconde grande figure protestante allemande avec Martin Luther, viendra à Prague composer son Prager Anschlag (Manifeste de Prague), appel mystique à instaurer par les armes la justice divine.
Le drapeau rouge s’était formé au cœur des masses populaires mondiales ; il ne pouvait plus être abaissé historiquement.
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