C’est Carl von Clausewitz (1780-1831) qui théorisa toute la conception militaire prussienne, dans son ouvrage De la guerre, écrit surtout pendant les guerres napoléoniennes. Lorsque Carl von Clausewitz y affirme que « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », il souligne l’importance de la fusion de l’armée et de la direction politique, de l’offensive militaire et de la société toute entière.
Lorsqu’il explique que « La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté », il exprime la vision aristocratique du principe hiérarchique.
C’est une conception directement pré-fasciste, directement issue de la Prusse où l’aristocratie s’est octroyée l’ensemble des postes de direction de l’armée, formant une sorte de caste, alors que pareillement le capitalisme était imposé par le haut.
De la guerre de Carl von Clausewitz fut d’ailleurs historiquement popularisé par Helmuth von Moltke, chef d’Etat-major de l’armée prussienne notamment lors des guerres victorieuses face à l’Autriche (1866) et la France (1870-1871).
L’ouvrage de Carl von Clausewitz est une sorte de manuel pour général, rempli d’indications techniques, avec en perspective la gestion absolument totale du pays, sur la base de la fusion du pays et de l’armée, sous direction bien entendu de l’aristocratie.
Selon Carl von Clausewitz, la guerre s’est élargie au XIXe siècle, elle touche des domaines qu’elle n’atteignait pas auparavant, elle concerne désormais, de par son ampleur, toute la population, et plus seulement des armées composées par l’Etat, de manière nettement séparée du peuple. Carl von Clausewitz considère ainsi que :
« C’est ainsi que depuis Bonaparte, tout d’abord chez les Français, puis partout en Europe la guerre est devenue une cause nationale, a pris une autre nature ou plus exactement est revenue à sa vraie nature, s’est approchée de son absolue perfection.
Les moyens à y mettre en œuvre n’eurent désormais plus de limites visibles et ne dépendirent plus que de l’énergie et de l’enthousiasme des gouvernements et de leurs sujets. »
Bien entendu, la différence fondamentale que Carl von Clausewitz feint d’oublier est que la révolution française était une révolution populaire. Il considère que ce serait simplement un nouveau principe militaire : il « oublie » la dimension sociale.
Il en tire une théorie de la mobilisation par en haut, une mobilisation prétendument nationale, mais en fait au service de l’aristocratie, qui par ailleurs s’appropria ainsi le contrôle de l’Allemagne qu’elle unifiera.
Carl von Clausewitz considère ainsi, dans De la guerre, que la guerre concerne désormais également l’armement de parties de la population. La guerre atteint une dimension complète au point que Carl von Clausewitz traite même directement de la « guerre populaire », c’est-à-dire de l’imbrication des masses dans la guerre elle-même.
Le peuple en armes doit être utilisé pour agir tel un « brouillard » insaisissable afin d’agir sur les périphéries des forces ennemies, un « nuage » qui peut se former à n’importe quel moment, par surprise.
Carl von Clausewitz ne conçoit l’action des masses armées que dans une situation où c’est l’armée classique qui prime : le peuple ne sert que de force d’appoint. Il a une perspective totalement « utilitaire » et le peuple en action a ici une fonction d’outil. Les masses en action sont d’ailleurs forcément paysannes : c’est le point de vue aristocratique qui s’exprime ici.
Lénine notera l’aspect intéressant de la démarche de Carl von Clausewitz, qui « trahit » la dimension éminemment politique de la guerre. Avec sa mobilisation complète, totale, par en haut, Carl von Clausewitz comprend que la guerre est forcément politique, en cela il démontre la totale validité de la thèse matérialiste dialectique sur la nature de l’Etat, de la bourgeoisie.
L’Allemagne nazie reprendra logiquement, de manière la plus franche, la plus cynique, la conception de Carl von Clausewitz de mobilisation populaire, par en haut, de mobilisation générale, totale.