Ce qui se joue en fait lors du second congrès de l’Internationale Communiste, c’est toute une lecture du communisme. Le second congrès témoigne ici d’un profond malentendu chez certains, d’une parfaite compréhension de ce qui se passe pour d’autres.
Les délégués hongrois avaient ainsi parfaitement compris le bolchevisme et la Russie soviétique, s’appuyant sur leur propre expérience. Il en va de même pour les Bulgares. En fait, leur propre parcours les amenait à cela.
Cependant, d’autres arrivaient avec des conceptions totalement étrangères au bolchevisme, et ayant plaqué leur propre lecture des choses sur l’Internationale Communiste, ils formulaient des points de vue au mieux étonnants, au pire ahurissant.
Ainsi, le KAPD – Parti Ouvrier Communiste d’Allemagne – demandait son adhésion à l’Internationale Communiste, alors qu’en même temps il considérait que le Parti Communiste devait se dissoudre dans les soviets, les conseils.
L’Espagnol Ángel Pestaña, du syndicat communiste libertaire CNT, défendit le syndicalisme contre la primauté du Parti, affirmant même que ce n’est pas le Parti qui a organisé l’armée rouge, car la révolution française montrerait qu’on a toujours comme allant de soi un parti et une armée dans une situation de crise. Ángel Pestaña resta donc communiste libertaire mais fondit ensuite un « Parti syndicaliste » possibiliste communiste libertaire qui participa au Front populaire.
L’Allemand Augustin Souchy mit pareillement en avant le syndicalisme révolutionnaire, et le Britannique Jack Tanner, du mouvement syndicaliste anti-parlementaire des Shop Stewards, rejeta que la Russie soviétique puisse servir de modèle à tous les pays :
« Ce qui se passe en Russie en ce moment ne peut pas être le modèle type pour tous les pays. En Angleterre par exemple, la situation est en général tout à fait différente de la situation comme celle en Russie avant la révolution.
Les Shop Stewards comprennent la dictature du prolétariat différemment d’en Russie. Ils la comprennent comme la dictature d’une minorité, comme celle représentée par les Shop Stewards. »
Augustin Souchy revint à un anarchisme primaire, Jack Tanner rejoint les communistes mais simplement quelques mois, afin de repasser au syndicalisme pur et dur.
Cette mentalité était typique d’une ultra-gauche marginalisée, coupée de la social-démocratie historique, proche de l’anarchisme mais plus d’esprit syndicaliste révolutionnaire, qui avait une lecture idéaliste du bolchevisme. En France s’était fondé en mai 1919 un « Parti Communiste » sur cette base, qui devint dès décembre une « Fédération communiste des soviets » ne durant que quelque temps.
Toutefois, les communistes russes firent de réels efforts pour amener tous ces gens à faire un saut qualitatif en direction du bolchevisme, considérant que leur volontarisme représentait une certaine valeur, l’expression d’une combativité dans le contexte de la vague de la révolution mondiale.
Lénine tenta de temporiser avec les Britanniques, en disant qu’il s’agissait là d’un simple préjugé à l’égard du terme de Parti, les Shop Stewards ayant par ailleurs un comité national pour diriger le mouvement.
La discussion était cependant d’autant plus difficile que, par exemple, Jack Tanner défendait également le principe comme quoi il ne faudrait pas de directives internationales, chaque regroupement membre de l’Internationale Communiste – y compris sous une forme non politique -, devant avoir toute latitude pour sa propre stratégie, ses propres tactiques. Cela faisait beaucoup.
Pour ajouter à la complication, allant totalement à l’encontre des Shop Stewards, le British Socialist Party demanda à pouvoir continuer comme fraction au sein du Labour Party, ce que Lénine considérait comme tactiquement juste, puisqu’il s’agissait d’une sorte de grand parti syndicaliste, avec 6-7 millions de travailleurs.
Lénine fut entendu : l’Internationale Communiste décida que les communistes britanniques devraient rejoindre le Labour Party si ce n’était pas déjà fait (58 voix pour, 24 contre, 2 abstentions).
Les communistes russes avaient le même positionnement par rapport à l’USPD allemande, qui se rapprochait ouvertement de l’Internationale Communiste et disposait de 800 000 adhérents (11 000 étant même en prison), même s’il existait une aile droite très puissante encore.
Cela était considéré comme intolérable par les gauchistes, David Wijnkoop des Pays-Bas étant furieux de la présence de l’USPD allemande et agressa ouvertement son délégué Ernst Däumig, ce qui aboutit à des insultes avec Radek. Il rejetait tout autant les socialistes français, qui formaient une question toute particulière.
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de l’Internationale communiste