L’Espagne a la particularité d’avoir connu deux mouvements révolutionnaires se situant dans le prolongement de la guerre d’Espagne. Ces deux mouvements appuyaient, tout comme le Parti Communiste d’Espagne durant la guerre civile des années 1930, la perspective de la révolution au moyen de la lutte populaire antifasciste.
Ils considéraient que la lutte devait continuer et ils ont établi une démarche afin de reformer un front de masse sur cette ligne, avec le Parti se présentant comme en étant le meilleur outil. Le Parti Communiste d’Espagne (marxiste-léniniste) et le Parti Communiste d’Espagne (reconstitué) opéraient pour cela tous deux depuis l’illégalité.
Le PCE (ml) avait généré un Front de masse – le FRAP – Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote. Le PCE(r), quant à lui, envisageait les choses selon l’angle d’un Mouvement populaire de Résistance dont il fallait interpréter les contours, appuyant plus concrètement les GRAPO – Groupes Antifascistes du Premier Octobre.
Ces deux organisations n’existent plus aujourd’hui en tant que tel. Le PCE (ml) a abandonné la perspective de renversement au moment de la transition « démocratique », tandis que le PCE(r) prenait en quelque sorte le relais de sa démarche. L’organisation a cependant été finalement anéantie au début des années 2000, après un combat d’un quart de siècle.
Il faut bien noter ici le fait que, dans les deux cas, le PCE (ml) et le PCE(r) sont allés dans la direction du maoïsme, mais se sont littéralement arrêtés juste avant de l’assumer. C’est à ce moment-là que la décadence a opéré.
Les origines du PCE (ml) et du PCE(r)
Historiquement, les deux organisations puisent leur identité dans la bataille anti-révisionniste des années 1960. Le Parti Communiste d’Espagne avait soutenu la démarche révisionniste de l’URSS ; il avait par conséquent, en 1956, cessé les activités armées contre le régime de Franco.
Des révolutionnaires finirent par quitter ses rangs pour fonder en 1964 le Partido Comunista de España (marxista-leninista), c’est-à-dire le Parti Communiste d’Espagne (marxiste-léniniste). Sa structure est illégale et l’organisation est structurée à partir de l’exil.
A la base, quatre groupes opposés au révisionnisme du PCE se retrouvent en octobre 1964 en Suisse. Ils sont organisés autour de revues : El Proletario qui regroupe des étudiants à Madrid, Bilbao et Paris, Mundo Obrero Revolucionario basé à Paris par des éléments « pro-chinois » du PCE local, La Chispa édité par une « Opposition révolutionnaire du PCE » basée à Genève, et enfin España Democrática, publié par un groupe issu de la section du PCE en Colombie publiant España Democrática.
Ils fondent en novembre le PCE (ml) au théâtre de l’Alhambra à Paris et une trentaine de délégués élit un Comité Central, dont la première réunion se tient un mois plus tard dans un garage à Bruxelles. Son organe est Vanguardia Obrera.
C’est pareillement à Bruxelles que naquit, en septembre 1968, une autre organisation, l’OMLE – Organización de Marxistas-Leninistas de España, l’Organisation des Marxistes-Léninistes d’Espagne.
A l’opposé du PCE (ml) basé à l’étranger mais ayant des relais en Espagne, l’OMLE est né uniquement hors d’Espagne, à partir d’activistes en Belgique, en France et en Suisse.
Sa base est issue d’activistes du Mundo Obrero Revolucionario publié à Paris et n’ayant pas rejoint le PCE (ml) à sa fondation, de l’Organización Comunista Marxista Leninista dirigé par Francisco Javier Martín Eizaguirre et issue du PCE, ainsi que des Comités de Apoyo al Pueblo de Vietnam et des Círculos Guevaristas.
Les différences entre le PCE (ml) et l’OMLE
Lorsque le PCE (ml) se fonde, sa position est celle qui correspond à celle du PCMLF en France ou bien du Parti Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste). Le Parti ayant failli, il faut immédiatement le remplacer. Dans le cas français, la base pour cela était absente et la position était idéaliste, dans le cas indien c’était correct. Le PCE (ml) se situe sans doute à mi-chemin.
L’OMLE n’est pas d’accord avec cette démarche et sa position est celle de l’UJC (ml) en France ou bien du Centre Communiste Maoïste d’Inde. D’un côté, elle appelait à davantage de complexité, d’agglutinement de forces communistes, de l’autre il y avait une certaine dynamique mouvementiste, pratiquement guévariste.
L’autre différence majeure est que le PCE (ml) considère que l’Espagne est devenue un satellite de l’impérialisme américain. Sa ligne combine donc l’appel à la révolution démocratique avec une dimension anti-impérialiste. Ce positionnement double était en quelque sorte déjà celui du PCE durant la guerre civile, en raison de l’intervention étrangère germano-italienne.
L’OMLE a été d’accord avec ce point de vue au début de son existence. Cependant, au fur et à mesure a triomphé une ligne comme quoi ce n’est pas vrai et affirmant que l’Espagne est un pays capitaliste faible.
La troisième grande différence réside dans la question de la féodalité. Le PCE (ml) insiste sur l’existence de grands propriétaires terriens, formant l’une des bases du régime d’une nature ainsi féodale – monopoliste – coloniale. L’orientation reste comme celle du PCE de la guerre civile, avec une révolution démocratique et populaire comme objectif.
Ce n’est pas le cas de l’OMLE, qui appelle à une lutte anti-monopoliste et antifasciste, mais avec comme objectif la dictature du prolétariat.
La construction en Espagne du PCE (ml) et de l’OMLE
Le PCE (ml) et l’OMLE sont tous deux nés hors d’Espagne, mais le premier disposait de relais dans le pays, ce que n’avait pas le second. Le PCE (ml) mena immédiatement un travail de structuration en Espagne pour y établir l’organisation. Mais dès décembre 1964, le réseau catalan est démantelé, en en avril 1965 il y a de nombreuses arrestations et en 1966 le principal organisateur dans le pays, Paulino García Moya (Valera), est arrêté.
Durant ce processus, en mars 1965, Ricardo Gualino a été grièvement blessé à la bouche par un tir lors d’une arrestation alors qu’il menait une action de propagande, et en avril de la même année José Delgado Guerrero “Acero”, 25 ans, meurt suite à la torture.
En novembre 1967, cinq membres du PCE (ml) sont également condamnés à 26 années de prison.
En fait, malgré le travail mené, en 1968, le PCE (ml) est pratiquement démantelé en Espagne. Ce qui le sauve, c’est que la direction reste basée à l’étranger et forme une base idéologique solide, mettant son énergie à réussir à l’implantation.
Cela réussit enfin à partir de 1969, au point d’intégrer l’organisation madrilène dénommée Unión de Marxistas-Leninistas.
L’OMLE ne profite pas de relais quelconques par contre, ce qui rend la tâche bien plus rude ; ses noyaux durs sont basés à Paris, Strasbourg et au Luxembourg. C’est par le retour de l’émigration que l’organisation peut se structurer, et ce tardivement.
Ce n’est qu’en 1970 qu’il y a une base à Madrid et une à Cadix. Et en 1972, l’Organización Obreira bien implanté à Vigo rejoint l’OMLE comme section de Galice, apportant une solide base issue de la quasi totalité des jeunesses communistes et d’une partie du PCE de la ville de Vigo.
Son dirigeant, Abelardo Collazo, vivait dans un four abandonné dans son enfance et a commencé à travailler dans la construction à l’âge de douze ans. Il travaillera ensuite notamment un an aux Usines Citroën à Paris. Cadre de l’OMLE et de son prolongement le PCE (r), il sera exécuté par la police dans une embuscade, de six balles dans le dos, en 1980.
Rapidement, l’OMLE s’étend ensuite dans la région de Valence, le pays basque, l’Andalousie et la Catalogne.
La structuration du début des années 1970
L’implantation en Espagne étant finalement réussie, tant le PCE (ml) que le PCE(r) connaissent des modifications profondes. Cela a également pour raison qu’en 1969 l’état d’urgence avait été proclamé. Les luttes de classes étaient intenses et le régime voyait sa base profondément troublé.
C’est surtout pour l’OMLE que la situation va changer la donne, avec l’intégration en 1971 de membres du Partido Comunista de España (internacional), une organisation s’étant formée parallèlement à Saragosse, Madrid, Séville, les Asturies.
Parmi eux, il y a en effet Manuel Pérez Martínez qui, avec les ouvriers du bâtiment qui l’accompagnent, va provoquer un chamboulement dans l’OMLE. La critique concerne deux aspects : l’absence d’impulsion organisationnelle suffisante, le libéralisme dans la gestion des fédérations.
Lors de la Ve réunion générale de l’OMLE à Paris, cela va fournir de base à la nouvelle direction centralisant les activités et faisant de Bandera Roja, le Drapeau rouge, l’organe publié à Madrid, le pivot du renforcement en tant que parti en tant que tel. La base de l’OMLE est alors à Cadix, Séville et Cordoue, puis en Galice.
La thèse de la dimension coloniale de l’Espagne est alors abandonnée et l’organisation se replie sur elle-même, refusant toute étape démocratique. La ligne adoptée à sa première conférence nationale en juin 1973 prône de ce fait l’établissement d’un gouvernement révolutionnaire.
L’organisation tangue avec le démantèlement par la police des structures de Cadix et Séville en 1974 et une fascination pour la révolution des œillets au Portugal menée par l’armée. Elle est également isolée par son refus catégorique de participer aux élections syndicales qui sont mises en place en février 1975.
Du côté du PCE (ml), les modifications ne viennent pas de l’extérieur, mais de l’élan donné. Lors de la visite du président américain Richard Nixon, en 1970, le PCE (ml) put organiser des rassemblements à Madrid (avec 24 équipes de propagande), Valence, Murcie, Bilbao et Saint-Sébastien ; entre 20 000 et 100 000 personnes se mettent en grève à son initiative, la même année, pour la libération des prisonniers politiques.
Il avait généré toute une série de structures : l’Oposición Sindical Obrera (Opposition Syndicale Ouvrière, fondée clandestinement dans les années 1950 par le PCE), la Federación Universitaria Democrática Española (Fédération Universitaire Démocratique Espagnole), la Unión Popular de Mujeres (Union Populaire des Femmes), les Comisiones de Barrio (Commissions de Quartier), la Federación de Estudiantes Demócratas de Enseñanza Media (Fédération des Etudiants Démocrates de l’Enseignement intermédiaire), la Unión Popular de Profesores Demócratas (Union Populaire des Professeurs Démocrates), les Agrupaciones de Jóvenes Comunistas (marxistas-leninistas) (Regroupement des jeunes communistes marxistes-léninistes), ainsi que l’Unión Popular de Artistas (Union Populaire des Artistes) dont l’organe était Viento del pueblo.
La mise en place du FRAP par le PCE (ml)
La ligne du PCE (ml), exprimée dans son organe Vanguardia Obrera (Avant-garde Ouvrière), était la suivante : le régime espagnol est de type fasciste et sous domination de l’impérialisme américain ; l’objectif est la Démocratie Populaire sous la forme de la République populaire et fédérale.
Les masses devant être unies et armées dans une Armée populaire, le processus révolutionnaire intégrant la petite-bourgeoisie et des secteurs de la bourgeoisie et devant être prêt à faire face à une intervention américaine.
En octobre 1970, une réunion du Comité Central dans le massif montagneux de la sierra de Guadarrama décide de passer à une nouvelle étape, avec l’établissement désormais de structures de masse, la mise en place prochaine d’un premier congrès, ainsi que la formation d’un Front pour le renversement du régime, avec également une aile militaire.
Le premier pas en direction du front fut l’alliance avec le Frente Español de Liberación Nacional (FELN), une organisation républicaine fondée en 1963 par le socialiste Julio Álvarez del Vayo, ministre des Affaires étrangères du gouvernement républicain du 4 septembre 1936 au 28 mars 1939.
Lorsque la Catalogne tomba lors de la guerre civile, Julio Álvarez del Vayo revint dans la zone républicaine depuis la France, participant jusqu’à la dernière minute à la guerre civile.
Le FELN visait la réactivation des maquis pour redémarrer la lutte armée anti-franquiste ; il mena initialement lui-même de multiples actions armées, qui se terminèrent néanmoins avec l’arrestation en juin 1964 d’Andrés Ruiz Márquez.
Puis le PCE (ml), le FELN et le groupe Vanguardia socialista, rejoint ensuite par Fracción marxista-leninista del Movimiento Comunista de España ainsi que l’Unión Socialista Española, fondèrent, dans l’appartement parisien de l’écrivain Arthur Miller, le 23 janvier 1971, l’embryon du Frente Revolucionario Antifascista y Patriota (F.R.A.P.), qui sera fondé officiellement en novembre 1973.
Les objectifs de ce Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote, formellement un comité de coordination pour sa fondation pour la période 1971-1973 – étaient synthétisés en six points.
Le pays était considéré comme dominé par une oligarchie, dont les biens devaient être nationalisés, tout comme les possessions des monopoles étrangers, alors qu’une réforme agraire devait être mise en place, brisant les grands propriétaires terriens.
Le programme en six points du FRAP
Le programme du FRAP est établi dès le départ, dès la constitution en 1971 d’un « Comité coordinateur pour le FRAP ».
1. Renverser la dictature fasciste et expulser l’impérialisme yankee à travers la lutte révolutionnaire.
2. Établissement d’une République populaire fédérative, qui garantisse les libertés démocratiques du peuple et les droits des minorités nationales.
3. Nationalisation des biens monopolistes étrangers et confiscation des biens de l’oligarchie.
4. Réforme agraire profonde, sur la base de la confiscation de grands domaines.
5.Liquidation des vestiges du colonialisme espagnol.
6. Formation d’une armée au service du peuple.
L’élan du FRAP et son prestige
Dès sa fondation, en 1973, le FRAP a été un vrai succès. En plus des multiples rassemblements annuels et illégaux du 1er mai, il organisa également un rassemblement de 10 000 personnes le 2 mai 1973, à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement national anti-napoléonien.
Il y eut un mort dès le premier jour, le FRAP exécutant un membre des services secrets franquistes de la Brigada Político-Social afin de protéger le cortège, les activistes du FRAP étant munis d’objets contondants et d’armes blanches.
Le degré d’affrontement était immédiatement de haut niveau, comme en témoigne la mort atroce de Cipriano Martos Jiménez, assassiné par la police en septembre 1973 au moyen d’un « cocktail de vérité » composé d’essence et d’acide sulfurique, détruisant l’appareil digestif.
Dès janvier 1974, un comité pro-F.R.A.P. existe à Madrid, en février en Catalogne et dans la région de Valence, alors que suivent l’Andalousie, les Asturies, puis pratiquement toute l’Espagne, mais aussi la France, l’Allemagne (avec l’appui massif du KPD/ML et en profitant de l’émigration espagnole une présence organisée dans 56 villes), de la Suède, de la Suisse, de la Belgique, de la Hollande, de l’Italie et du Canada.
Le FRAP devient incontournable. Lorsqu’en juillet 1975 les Juventudes Socialistas du PSOE tiennent leur congrès illégal à Lisbonne, le représentant de la J.C.E.(m-l) prenant la parole au nom du F.R.A.P. est accueilli très chaleureusement.
Comme indicateur du succès chez les étudiants, on a le fait que 15 % des étudiants de l’université de Valence étaient considérés comme soutenant le FRAP.
La ligne était, dans le prolongement de la guerre d’Espagne, celle de l’alliance des progressistes, l’avancée dans l’esprit de fusion entre les communistes et l’aile gauche des socialistes. Le dirigeant du FRAP Julio Álvarez del Vayo en était le symbole.
Le F.R.A.P. est alors en première ligne du combat anti-franquiste ; avec 49 personnes condamnées en 1975-1976, c’est lui qui subit le plus les condamnations, juste derrière ETA et alors que le régime a instauré le 22 août 1975 une « decreto-ley antiterrorista » particulièrement répressive.
Le FRAP et la guerre populaire
La ligne exposée à la troisième conférence élargie du Comité Central du PCE(ml), en 1975, était la mobilisation pour généraliser la lutte armée, pour que les masses se saisissent de la démarche de résistance et que soit ici ouverte la phase de la guerre populaire.
A côté de « F.R.A.P., F.R.A.P., F.R.A.P., Republica Popular », le slogan du F.R.A.P. est d’ailleurs « F.R.A.P., F.R.A.P., F.R.A.P., Guerra Popular » et le PCE (ml) avait formulé dès 1967, lors de la seconde conférence de son Comité Central, la considération que la « guerre populaire » faisait partie de sa ligne politique.
On y lit notamment :
« En Espagne, la dictature de l’oligarchie pro-impérialiste s’exerce de la manière la plus violente, à travers l’État yankee-franquiste, qui s’appuie sur un monstrueux appareil terroriste (armée, garde civile, police armée, Brigada Político Social [la police secrète], groupes de la réaction, etc.).
Au moyen de cet Etat, l’impérialisme et l’oligarchie exercent la plus impitoyable répression sur le peuple, persécutant de manière sanguinaire toute action de lutte de la part des masses.
La lutte armée révolutionnaire surgit au sein du peuple travailleur uniquement comme résultat d’une agitation et d’une propagande politique tenaces.
Ce n’est qu’au moyen d’un travail de propagande des organisations d’avant-garde, fondamentalement du Parti Communiste d’Espagne (m-l), que les masses peuvent être idéologiquement en mesure de comprendre la nécessité de se soulever en armes contre la dictature yankee-franquiste.
La lutte armée ne peut pas surgir ni se développer isolée de la lutte des masses, mais seulement en étroite liaison avec le mouvement de masse ouvrier et paysan.
Des formes initiales (grèves, manifestations), il faut passer graduellement (et l’évolution spontanée de la lutte confirme cette trajectoire) à des formes supérieures de combat : affrontements violents avec les forces de la dictature, attaques, émeutes, etc. »
Voici ce qu’on lit également dans l’organe du PCE(ml) Revolución Española en 1973, dans l’article Forgeons le Front révolutionnaire antifasciste et patriote pour renverser le Yankee-Franquisme :
« S’il est vrai que même la principale forme de lutte du FRAP est la lutte politique de masse, il existe toutefois déjà des manifestations du changement qualitatif en cours, telles que des affrontements violents avec les forces répressives, pour couvrir les manifestations avec groupes de protection armés, les commandoss contre les institutions fascistes et yankees, etc., qui sont en réalité des formes embryonnaires de lutte armée, que nous devons non seulement populariser et généraliser, mais aussi développer vers des formes plus élevées de lutte armée, pour aller de l’avant sur le chemin de la guerre populaire, où le FRAP atteindra son plein développement en regroupant et en dirigeant la grande majorité du peuple espagnol vers sa libération sociale et nationale ».
Le FRAP en première ligne contre le franquisme
Voici comment la situation est présentée par le Comité espagnol du Sud-Ouest de la France pour le Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote :
« Les forces réactionnaires impérialistes courent inexorablement à leur perte, mais pour précipiter leur défaite, il faut que le front anti-impérialiste mondial resserre ses liens et que l’internationalisme prolétarien joue son rôle de solidarité sans limites ni frontières.
En France, les antifascistes espagnols sont poursuivis et expulsés en violation de la Convention de Genève sur le droit d’asile politique et en vertu des accords bilatéraux avec le gouvernement franquiste (accords Debré – Lopez Bravo).
L’armée espagnole « made in USA » participe en compagnie des paras français à des manœuvres anti-guérilla dans les Pyrénées – tout récemment encore dans la région de Bagnères-de-Bigorre – Arreau (Hautes-Pyrénées), sous le patronage de hautes personnalités civiles et militaires des deux pays, dont le gouverneur franquiste de la province de Hyesca – en prévision d’une inévitable insurrection populaire en Espagne et pour briser l’aide que le peuple français pourra apporter aux antifascistes espagnols dans leur lutte pour la République et pour l’indépendance nationale.
La visite que Maurice Schumann vient de rendre à son collège Lopes Bravo, membre comme lui de l’Opus Dei, n’est pas fortuite. Depuis la rencontre Castielle – Couve de Murville en 1959, l’impérialisme français apporte un soutien concret à l’oligarchie fasciste espagnole.
Des accords militaires ont été signés, concernant la livraison de 30 Mirage III et la construction sous licence des hélicoptères Alouette (anti-guérilla).
Mais là où la collaboration est la plus étroite, c’est pour réprimer les masses d’émigrants et réfugiés politiques en France. Déjà les deux polices collaborent pour se transmettre les dossiers des antifascistes réfugiés en France.
L’antifasciste Angel Campillo Fernandes a été arrêté et conduit menotté à la main à la Brigade Politico-Sociale franquiste, et condamné à 6 ans de prison, sur la base du dossier fourni par la DST le 23 février à Bordeaux.
Le statut de réfugié politique en France n’est plus d’aucune garantie (on pourrait citer des dizaines de ces cas d’interrogatoires et pressions exercées sur des réfugiés espagnols, mais par mesure de sécurité, nous préférons garder le silence) (…).
Dans les prisons espagnoles, 3 000 détenus politiques subissent les traitements les plus inhumains (…).
Les comités pour le F.R.A.P. à l’extérieur de l’Espagne ne mènent pas une lutte à part et sans relation avec l’intérieur. Ils sont l’arrière-garde organisée des Comités pour le F.R.A.P. en Espagne (…).
Sans unité effective à l’intérieur d’un Front Révolutionnaire Antifasciste et Patriote, qui organise et dirige toutes les actions multiformes contre l’oligarchie des monopoles industriels, des grands propriétaires fonciers et des banques, qui a vendu la patrie à l’impérialisme américain, la victoire est impossible (…).
L’oligarchie s’est convertie en une vaste institution de gangstérisme qui ruine toutes les classes productives non-monopolistes.
La crise atteint toutes les entreprises qui ne se soumettent pas aux monopoles yankees et qui sont saisies par l’INI (Institut National pour l’Industrie, monopole financier et bancaire d’État).
Les importations sont de 70 % supérieures aux exportations et le déficit est couvert par les devises apportées par les émigrants (qui sont venus du capitalisme européen comme des bêtes de somme), et grâce aux devises du tourisme (…).
Cette « paix » et cet « ordre » sont maintenus grâce à 500 000 agents de répression qui touchent 50 000 pesetas par mois chacun (sans compter la possibilité de cumuler deux ou trois traitements).
Pour les seconder, il y a environ 250 000 bureaucrates dans l’administration et 150 000 autres dans le clergé (l’État accorde à ce dernier trois milliards de pesetas par an).
Comme force d’appoint, l’armée yankee avec 35 000 soldats et 30 bases militaires (« les défenseurs de la liberté et de la culture occidentale »), avec, en plus, environ 1 000 agents de la CIA, d’anciens nazis, OAS, etc. (…).
Les impérialistes américains participent à 70 % des investissements de capitaux étrangers en Espagne (dans certains secteurs 100 % des capitaux investis) et les substantiels bénéfices qu’ils en retirent sont complètement exonérés d’impôts (…).
Rien qu’en 1970, il y a eu plus de 1 000 grèves. Et la lutte revêt de plus en plus un caractère insurrectionnel. »
Le FRAP et la concurrence réformiste et révisionniste
Si le FRAP avait une démarche visant un changement de régime, tel n’était pas la ligne du Parti Communiste d’Espagne devenu révisionniste. Celui-ci mit en place une Junta Democrática de España en juillet 1974, tentant de capter l’opposition légaliste au fascisme espagnol. Les socialistes du PSOE œuvraient également de leur côté à ce qu’ils considéraient être une convergence devant faire évoluer le régime.
Le PCE (ml) lança de son côté la formation de Comités de Unidad Popular (Comités d’Unité Populaire), alors que le F.R.A.P. se lança dans la lutte armée au moyen de « groupes de combat » s’appropriant des armes, cambriolant des banques, attaquant des entreprises en soutien aux grèves, ainsi que des locaux institutionnels.
Trois policiers furent tués au total lors de ces multiples opérations, alors que le régime exécuta le 27 septembre 1975 les condamnés à mort José Humberto Baena Alonso, José Luis Sánchez Bravo et Ramón García Sanz, trois membres du FRAP. A leurs côtés, il y avait des activistes d’ETA politico-militaire Juan Paredes Manot (Txiki) et Ángel Otaegui.
Ce furent les dernières condamnations à mort du régime, Francisco Franco mourant peu après, et elles provoquèrent une onde de choc en Espagne et en Europe de l’Ouest, avec une vaste solidarité. En France, 50 000 personnes défilèrent, l’idéologie du FRAP étant très présente dans la dynamique.
L’OMLE devient le PCE(r) et fondation des GRAPO
L’une des réponses immédiates aux condamnations à mort fut l’exécution de quatre policiers par cinq commandos différents le premier octobre 1975. C’était l’apparition des GRAPO, les Groupes de Résistance Antifasciste du Premier Octobre.
Leur manifeste, intitulé « Le peuple sera libre s’il prend les armes », est diffusé dans toute l’Espagne le 18 juillet 1976, à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement franquiste et de la mobilisation antifasciste.
Les GRAPO apparaissent ici comme guérilla proposant le conflit ouvert avec le régime à la suite de « l’été de la terreur » ayant culminé dans les condamnations à mort. C’est l’OMLE qui les a générés à partir de son appareil technique et militaire.
Concrètement, la progression de l’OMLE n’était en rien comparable à celle du PCE (ml). En juin 1975, elle tient son congrès dans la ville de Torrelavega, et fonde le Parti Communiste d’Espagne (reconstitué). Une structure étudiante, l’Organización Democràtica de Estudiantes Antifascistas (ODEA), est mise en place, ainsi que le groupe intellectuel-artistique Pueblo y Cultura, un « Secours rouge », une Unión de Juventudes Antifascistas (UJA), une Asociación de Familiares y Amigos de Presos Políticos (AFAPP), un Socorro Rojo.
Ces structures seront rapidement interdites : le Socorro Rojo en 1977, l’ODEA en 1978 et l’UJA en 1979, les Mujeres Antifascistas en 1980 et Pueblo y Cultura en 1981. L’AFAPP sera interdite en 2005.
L’organisation est basée à Madrid, en Andalousie (Cordoue, Séville, Cadix et sa périphérie), la Galice (Vigo, Ferrol), ainsi que de manière moins prononcée au pays basque (Bilbao surtout), en Catalogne, aux Asturies et la région de León. La moitié est composée de travailleurs manuels, 20 % d’étudiants et d’employés, les diplômés ne formant que 10 % des membres.
Par ce développement, l’organisation se place directement en concurrence avec le PCE (ml). Et elle ne s’en tient pas là et cherche à concurrencer le FRAP, sur une base évidemment bien différente. Pour cette raison, la « section technique » qui menait des expropriations dans les banques pour financer l’organisation devenait autonome, sous la forme des Groupes de Résistance Antifasciste du Premier Octobre (GRAPO).
Les GRAPO sont pourtant considérés par le PCE(r) comme un front : tous les membres du PCE(r) ne sont pas dans les GRAPO, et il y a dans les GRAPO des antifascistes, des démocrates, etc. qui ne sont pas du PCE(r).
L’explication était qu’il y avait le besoin d’une organisation
« encadrant le plus grand nombre possible de combattants anti-fascistes, formant ses propres cadres (ne devant pas être nécessairement de membres du Parti ni professer l’idéologie communiste) ».
Cette structure devait être autonome du PCE(r) et ce dernier insistera toujours sur ce dernier aspect, bien que concrètement c’est lui qui a toujours fourni la principale base des GRAPO.
La position du PCE(ml) en 1975
Le PCE(ml) fut fou de rage de l’arrivée des GRAPO. Il considère alors que c’est un interventionnisme gauchiste formant un obstacle à la stratégie de démocratie populaire. Voici comment Elena Ódena exprime le point de vue du PCE(ml) sur la stratégie, dans un entretien avec le journaliste José Dalmau, 17 février 1977. Elle est alors la dirigeante du Parti depuis l’arrestation de García Moya en 1966 et le resta jusqu’à son décès en 1985.
« Après ce processus, le PCE (m-l) continue d’évoluer jusqu’en 1975, année de l’émergence du FRAP avec la lutte armée, quand a-t-il été décidé de suivre cette voie?
–Elena Ódena : La lutte armée, en ce qui concerne le parti, est décidée dès le premier jour. Dans la ligne politique du parti, il est écrit que la violence révolutionnaire, la lutte armée et la guerre populaire étaient le seul moyen de renverser le capitalisme et la dictature franquiste à cette époque et d’implanter un régime de démocratie populaire et de socialisme. Donc ce n’est pas nouveau »
Cependant, le PCE (ml) ne savait pas dans quelle direction aller alors qu’à la mort de Franco en décembre 1975 s’ouvrait ce qui sera ensuite appelé la transition. Le PCE (ml) refusait le processus de reconnaissance du nouveau régime, dont la base était pour lui exactement la même qu’avant, toutefois il oscillait entre tout refuser en bloc et participer comme aile gauche au changement en cours.
Voici ce que dit la dirigeante du PCE(ml), dans l’article La dictature monarcho-oligarchique, dépendant de l’impérialisme yankee, peut-elle se transformer en une démocratie bourgeoise?, en janvier 1977.
«L’oligarchie au pouvoir – ses différents secteurs dans leur ensemble – adoptera les formes et les modalités du gouvernement et recourra aux déséquilibres et assouplissements qui les intéressent le plus pour rester plus confortablement au pouvoir, essentiellement sur la base de leurs intérêts de classe.
Les cadeaux et les concessions qui, à un moment ou à un autre, sont obligés de concéder un pouvoir réactionnaire sous la pression des masses, ne changeront en rien leur nature antipopulaire.
Nous, à la tête des masses combattantes, devons utiliser, bien sûr, tous les éléments de la démocratie, toute concession ou liberté pour le peuple, que la dictature se voit obligée de céder, en gardant toujours à l’esprit que les intérêts de classe du prolétariat et des masses laborieuses n’ont rien à voir avec des pseudo-libertés bourgeoises rachitiques et étroites que tout gouvernement réactionnaire en service pourrait être obligé d’accorder dans le contexte actuel de tournant et de lutte révolutionnaire. »
C’était là refuser de se tourner dans un sens ou dans un autre et c’est nécessairement fatal. Car la question de la lutte armée – ou plus exactement de la guerre populaire qu’espérait devenir le FRAP de par son orientation maoïste – devient alors épineuse.
Cela est d’autant plus vrai que la polémique lancée par Enver Hoxha suite à la mort en 1976 de Mao Zedong – contre ce dernier – amène le PCE(ml) à se placer dans l’orbite du hoxhaisme et par conséquent à rompre avec la théorie maoïste de la guerre populaire.
Le PCE(r), lui, de par son orientation initiale de non-participation à quoi que ce soit lié aux institutions y compris sur le plan syndical, se retrouvait de fait tout seul sur le terrain de l’opposition totale.
L’effondrement du PCE(ml) et du FRAP
Ce qui restait du FRAP au moment de la transition se dilue dans des actions illégales consistant en des attaques au cocktail Molotov, accompagnées de répression importante (56 personnes arrêtées rien qu’entre juin 1977 et juin 1979), avec parallèlement de très nombreux hold-ups, sans doute au moins quarante.
Il finit par disparaître, le PCE (ml) le remplaçant par une Convención Republicana de los Pueblos de España, une Convention Républicaine des Peuples d’Espagne appelant à refuser le retour de la monarchie et à la formation de tribunaux populaires pour le jugement des crimes franquistes, avec en arrière-plan la tentative de former au sein des masses un Gouvernement Républicain provisoire.
Cette Convention Républicaine visait à se poser comme alternative plus radicale à ce que proposait le Parti Communiste d’Espagne devenu révisionniste, mais en pratique cela ne faisait que le placer dans son orbite. C’était là la conséquence de l’abandon de la stratégie de la guerre populaire au profit de la ligne hoxhaiste de « pression » depuis l’intérieur du régime.
Le nouveau régime profitait d’ailleurs de l’espoir en le changement ; l’abstention appelée par le PCE (ml) au référendum sur le projet loi de réforme politique de 1976 reste donc sans effet (77,8% de participation, 97,36% de oui), tout comme lors du référendum constitutionnel de 1978 (participation de 67,11%, avec 88,54% de oui).
Ne trouvant plus aucune voie révolutionnaire et ayant fermé la voie de la guerre populaire, le PCE (ml) abandonna le fusil dans son symbole partidaire et se tourna vers l’électoralisme et le réformisme, avec une approche para-syndicale entièrement fondée sur l’Asociación Obrera Asambleísta qui rassembla 2500 délégués à son congrès de 1978.
Toujours illégal, le PCE (ml) se présenta sous la bannière Izquierda Republicana (Gauche Républicaine) aux élections de 1979, obtenant 55 384 votes (soit 0,31% des voix), avant de parvenir à être légalisé en 1981, obtenant aux élections de 1982, en tant que PCE (ml), 23 186 voix, soit seulement 0,11% des suffrages.
Le PCE(r) et les GRAPO sur le devant de la scène
Le PCE(r) arrivait tardivement sur le devant de la scène, cependant sa ligne était celle du refus du syndicalisme et des institutions en général. Il formait par conséquent un pôle de radicalité entièrement autonome lors du tournant de 1975.
Si le PCE (ml) connaît donc alors des hémorragies militantes et des scissions, le PCE(r) se met à organiser la lutte armée de manière approfondie, avec des centaines d’attaques à venir, reprenant le flambeau du PCE (ml) sans pourtant jamais y faire référence puisqu’il était né de manière entièrement extérieur à lui.
Dans le document « Expériences de trois années de lutte », les GRAPO exposent leur point de vue de la manière suivante :
« La classe ouvrière avec son parti d’avant-garde est la force guidant et dirigeant notre révolution, c’est le secteur le plus clair et au premier rang, et en tant que tel celui appelé pour guider et diriger la révolution ; l’unité de la résistance comprend la guérilla (…).
En raison de l’existence du fascisme avec comme conséquence le manque de libertés réelles et la super-exploitation que nous avons vu et que nous voyons toujours soumettre le prolétariat et les larges masses populaires, la contradiction principale qui joue est celle entre l’État espagnol se confrontant au peuple, contre le fascisme et les monopoles. »
C’est une ligne très offensive, au moment où le PCE(ml) cherche à se placer adéquatement, tout en modifiant totalement sa base idéologique. Cela lui est fatal : le PCE(ml) se maintient alors dans les années 1980 comme parti reconnu par l’Albanie, avant de disparaître au début des années 1990.
Le PCE(r) est alors quant à lui en pleine offensive. Comme le dit le Manifeste-Programme du PCE(r) :
« Dans un moment d’aggravation maximale de la crise politique du régime, ainsi que de toutes les contradictions et tensions sociales, le Congrès constitua une plate-forme qui permettra au PCE(r), à peine né, de jouer un rôle important dans la vie politique, tout particulièrement dans la dénonciation de la Réforme (…).
En 1975, quand Franco disparaît de la scène politique et qu’on intronise la monarchie des Bourbon, en suivant les consignes de succession établies par le dictateur, les anciennes formes de domination fasciste venaient d’êtres démolies par la lutte des masses des dernières années. Il était clair que le régime ne pouvait plus tenir debout en conservant son caractère ouvertement fasciste.
D’un autre côté, la stabilité de ces formes engourdissait chaque fois d’avantage la réalisation des plans de la classe dominante espagnole, poussée à son intégration totale, économiquement et militairement, dans le bloc impérialiste.
C’est ainsi qu’on ouvre le pas, au milieu de la division des chapelles politiques et des groupes financiers, à la réforme politique. »
La ligne du PCE(r)
Le PCE(r) a une ligne fondamentalement différente de celle du PCE(ml), puisqu’il considère l’Espagne comme capitaliste et a abandonné la thèse comme quoi c’est un satellite américain. Voici son programme :
« Le programme du Parti pour une étape de transition se résume en seize points :
1) Formation d’un Gouvernement Provisoire Démocratique Révolutionnaire.
2) Création de Conseils ouvriers et populaires comme base du nouveau pouvoir.
3) Dissolution de tous les corps répressifs de la réaction et armement général du peuple.
4) Libération des prisonniers politique antifascistes et mise en procès de leur tortionnaires et assassins contre-révolutionnaires. Large grâce pour les prisonniers sociaux.
5) Expropriation et nationalisation des banques des grandes propriétés agricoles, des monopoles industriels et commerciaux et des principaux moyens de communication
6) Reconnaissance au droit à l’autodétermination des peuples basque, catalan et galicien. Indépendance pour la colonie africaine des Canaries. Retour de Ceuta y Melilla au Maroc.
7) Suppression de tous les privilèges économiques et politiques de l’Eglise ; séparation radicale de l’Église et de l’école. Liberté de conscience.
8) Liberté d’expression, d’organisation et de manifestation pour le peuple. Le droit de grève sera une conquête irréversible des travailleurs.
9) Incorporation de la femme, sur un pied absolue d’égalité avec l’homme, dans la vie économique, politique et sociale.
10) Reconnaissance de tous les droits électoraux politique, sociaux, etc. des travailleurs immigrés. Suppression de toute forme d’oppression et de discrimination raciale, sexuelle et culturelle.
11) Réduction de la journée de travail. Travail pour tous. Amélioration des conditions de vie et de travail.
12) Logements dignes et économiques ; sécurité sociale, santé et enseignement a la charge de l’État.13) Droit de la jeunesse à recevoir une formation intégrale et gratuite, droit à un travail sain et bien rétribué, de disposer de locaux et d’autres moyens pour le libre déroulement de ses activités
14) Sortie immédiate de l’OTAN et de l’UE, ainsi que des autres organisations créées pour l’agression et le pillage impérialiste.
15) Démantèlement des bases militaires étrangères sur notre territoire et réintégration de Gibraltar.
16) Application des principes de coexistence pacifiques dans les relations avec tous les pays. Appui de la lutte de libération des peuples opprimés. »
La première grande offensive des GRAPO
Le 18 juillet 1976, les GRAPO mènent 60 attaques à l’explosif à l’occasion du soixantième anniversaire du début de la guerre civile. Sont visés des symboles de la victoire franquiste durant la guerre civile.
Les GRAPO tentent également d’exécuter Agustia Munoz Vazques, un chef militaire ayant négocié l’intégration de l’Espagne dans l’OTAN. Le 7 mai, ils blessent grièvement Emilio Rodriguez Roman, le directeur général de la Direction Générale de la Sécurité après qu’une manifestation ouvrière fut mitraillée par la police.
En décembre 1976 un commando enlève le président du conseil d’Etat Antonio María de Oriol y Urquijo alors que des attaques à l’explosif sont menées contre les installations de la télévision espagnole.
En janvier 1977 le président de la Cour Suprême de la justice militaire, le lieutenant-général Emilio Villaescusa Quilis est enlevé, alors que quelques jours avant des manifestants avaient été abattus dans les rues par la police et qu’un commando d’extrême-droite avait mené une opération contre un local de gauche madrilène et tué cinq activistes.
Les deux enlèvements échouent finalement par une opération de police en février 1977.
Deux policiers et un garde civil sont tués, trois autres blessés, lors de deux attaques contre les forces fascistes suite à l’exécution de cinq avocats de gauche par une unité paramilitaire supervisée par la Garde Civile. Le 4 juin 1977 deux gardes civils sont également exécutés à Barcelone alors qu’ont lieu les premières élections générales depuis 1936.
Le 27 septembre 1977, le capitaine de la police Florentino Herquedas est exécuté par les GRAPO à Madrid ; il était un des chefs des équipes fusillant les antifascistes du FRAP et d’ETA le 27 septembre 1975. Les GRAPO s’approprièrent en passant plus de 500 kilos d’explosifs.
Le 22 mars 1978 le directeur général des prisons Jesús Haddad est exécuté à Madrid; il était notamment responsable de l’assassinat sous la torture d’un prisonnier anarchiste à la prison de Carabanchel, la police essayant de lui arracher des informations sur un plan d’évasion de prisonniers du PCE(r) et des GRAPO.
Le programme en cinq points du PCE(r)
L’année 1978 est marqué par une grande révolte populaire, avec une vague de grèves inébranlable, notamment au Pays basque, en Andalousie et en Galice. Cela aboutit à la mise en place d’une constitution nouvelle en novembre.
Dans ce contexte, le PCE(r) fit un programme en cinq points formant la base d’une éventuelle négociation avec le gouvernement. Il était exigé :
– l’amnistie totale et la suppression des lois répressives ;
– l’épuration des éléments fascistes des corps répressifs, des tribunaux et des autres institutions étatiques ;
– l’affirmation sans restrictions des libertés politiques syndicales ;
– la sortie de l’OTAN et le démantèlement des bases américaines ;
– la dissolution du parlement et la convocation d’élections libres formant une assemblée constituante.
Cette démarche est accompagnée d’une multitude d’actions de basse intensité (attaques aux cocktails molotov, formation de barricades, incendies divers, saccage de commerces, etc.). Le 10 janvier 1979, le magistrat du tribunal suprême Cruz Cuenca est même exécuté.
La seconde offensive des GRAPO
Le tournant se produit le 20 avril 1979, lorsque le dirigeant du PCE(r) Juan Carlos Delgado de Codes est assassiné lors d’un traquenard de la police, fait même reconnu par la presse espagnole. Le PCE(r) considère alors qu’aucune négociation n’est plus possible.
Le 5 mars 1979, le général Muñoz Vázquez est exécuté en plein Madrid ; le 6 avril c’est le chef de la brigade antiterroriste de la police qui est tué par les GRAPO.
Le 11 avril 1979, le directeur général des institutions pénitentiaires García Valdés échappe à une action contre lui. Le 25 mai 1979, l’inspecteur de police Damián Seco Fernández est tué lors d’une fusillade. Le 2 septembre 1980, le général de brigade Enrique Briz Armengol est exécuté.
L’année 1979 est celle où les GRAPO menèrent le plus d’actions.
Le coup d’arrêt par la répression
Il faut ici comprendre le contexte meurtrier. Le nombre d’actions meurtrières des GRAPO pour la période 1975-1977 est grosso modo équivalent à celui d’actions du même type menées par l’extrême-droite. Il y a une situation de polarisation violente.
ETA, l’organisation indépendantiste basque, mène sur ce plan deux fois plus d’actions meurtrières que les GRAPO. Mais la police, durant la même période, tue bien plus d’activistes qu’ETA. A la polarisation s’associe un interventionnisme étatique meurtrier.
Il va de soi ici qu’ETA dispose d’une base bien plus large que celle des GRAPO. Cela implique que pour mener autant d’initiatives, il faut un très haut degré d’activisme et cela ne va pas sans prix à payer.
Deux membres des GRAPO périssent en tentant de faire sauter le palais de justice de Séville. En janvier 1977, 40 membres du PCE(r) et des GRAPO sont arrêtés. En octobre 1977, c’est le comité central du PCE(r) qui est arrêté, à Benidorm.
En juin 1979, un commando para-étatique assassine en France Francisco Javier Martín Eizaguirre, le premier dirigeant du PCE(r), et Aurelio Fernández Cario.
En 1979, ce sont pas moins de 306 personnes qui sont en prison en raison de leur appartenance au PCE(r) ou aux GRAPO. L’État accuse en particulier 65 prisonniers des GRAPO de 14 assassinats, 30 attentats à l’explosif, 50 attaques à main armée.
On notera le tour de force des cinq prisonniers des GRAPO (dont des mineurs), qui parviennent à creuser un tunnel pour s’enfuir de la prison de Zamora en décembre 1979.
En 1980, il y a 143 arrestations ; en 1981, leur chiffre est de 207.
Entre 1979 et 1982, pas moins de 12 membres des GRAPO sont tués lors d’affrontements avec la police.
A cela s’ajoute les grèves de la faim, longues et dures. Juan José « Kepa » Crespo Galende meurt le 19 juin 1981 après 94 jours de grève de la faim.
Une victoire incroyable fut cependant obtenue ici, puisque dans la prison de Soria, de 1980 à 1989, 80 prisonniers du PCE(r) et des GRAPO furent regroupés.
La question de la négociation ou de l’affrontement
Alors que les élections vont se tenir, les GRAPO mènent en octobre 1982 30 attaques à l’explosif dans quinze endroits à travers tout le pays. Ce sont les socialistes du PSOE qui l’emportent, mais le 5 décembre 1982, le dirigeant des GRAPO Juan Martin Luna, sans armes, tombe dans un traquenard de la police à Barcelone et est assassiné.
Cela pose un grave dilemme au PCE(r), qui a entamé des négociations à la prison de Soria, par l’intermédiaire de ses prisonniers, avec des responsables du ministère de l’intérieur, mais sans résultats.
Une partie des prisonniers affirme toutefois alors que « la crise révolutionnaire est terminée » et « revendique la raison », abandonnant le mouvement.
A cette capitulation s’ajoute le triomphe dans les GRAPO de la ligne « Tout pour la guérilla », qui va durer jusqu’en 1985, année marquée par une défaite pratique de cette ligne face à la répression.
Cette situation ne sera jamais digéré et à partir de là, le PCE(r) ne saura jamais s’il doit aller dans le sens d’une pression pour des négociations, ou au contraire s’il doit aller à l’affrontement. Ce dilemme va être au cœur de toute son existence par la suite, jusqu’à l’effondrement.
Les années 1983-1984
Dans ce contexte marqué par la tendance à la capitulation, à la négociation ou à la fuite en avant, les GRAPO décident de se renforcer au moyen d’une approche nouvelle. Reprenant la méthode d’ETA appliqué dans un contexte de libération nationale, les GRAPO exigent un impôt révolutionnaire à certains patrons.
Plus de cent d’entre eux payent cet impôt en 1984. Les GRAPO mènent dans ce cadre quatre attaques afin d’exécuter l’industriel Félix de la Piedad, le directeur de l’agence immobilière Urbis Manuel Ángel de la Quintana, le président du patronat de Séville Rafael Padura.
70 attaques à l’explosif sont également menés durant la période 1983-1984.
Considérant le régime comme fasciste, les GRAPO visent également directement le personnel lié à l’armée. En avril 1983, un lieutenant de la police nationale est tué à Valence et un garde civil (l’équivalent d’un gendarme) à La Corogne. Deux policiers sont tués en janvier 1984, et à La Corogne, un haut responsable de la radio national est exécuté.
Cette ligne focalisée sur l’organisation elle-même – avec 46 actions menées au total pour 1984 – aboutit à un échec total. Le 19 janvier 1985, l’État espagnol démantèle les GRAPO avec 19 arrestations dans neuf provinces, la découverte de 17 appartements, de tout un arsenal ainsi que d’importantes sommes d’argent.
Des erreurs dans la sécurité avaient permis la mise en place de cette opération de police en simplement 48 heures.
La réorganisation et la fuite en avant
En septembre 1984, le dirigeant du PCE(r) Arenas propose un document intitulé « Quel chemin allons-nous prendre », posant une rectification de la ligne stratégique. Il venait de sortir de prison où il était depuis 1976. C’est alors le triomphe d’une ligne pragmatique-technique.
En 1985, les GRAPO ont pratiquement cessé d’exister. sept de leurs membres sont arrêtés lors des « expropriations » dans les banques. Il faudra attendre 1987 pour une reprise avec six actions armées, notamment l’attaque d’un commissariat de Malaga pour se procurer des armes (les trois policiers présents furent simplement ligotés).
En 1988, « l’impôt révolutionnaire » est de nouveau collecté, un entrepreneur galicien étant tué en mai, un autre à la Corogne en juillet 1988. En octobre une opération récupère 800 cartes d’identité vierges, un policier étant tué. En mars 1989, alors que se réunit à Madrid l’instance internationale TREVI (l’ancêtre d’Europol), les GRAPO tuent deux gardes civils.
En juillet 1989, 148 millions de pesetas sont récupérées lors d’une attaque de banque dans la province de Castellón. En novembre, un haut gradé militaire est grièvement blessé, le 18 un membre de la police secrète est tué, le 28 deux gardes civils gardant un bâtiment sont tués.
C’est là une fuite en avant d’autant plus marquante que ces actions d’une grande brutalité, alors que les GRAPO agissent littéralement comme une fin en soi, sont censés épauler une grève de la faim totale des prisonniers commençant en novembre, pour leur regroupement qui avait été aboli par le régime.
Les grévistes sont alors nourris de force et Jose Manuel Sevillano Martin meurent dans des conditions atroces le 25 mai 1990, après 177 jours de grève de la faim. Entre-temps, l’un des médecins ayant servi la mesure répressive, José Ramón Muñoz Fernández, fut tué à Saragosse en mars. Un autre, José Luis Casado, échappa à trois tentatives des GRAPO.
Enfin, un colonel de l’armée est tué à Valladolid en juin et en septembre, les GRAPO mènent plusieurs attaques à l’explosif à Madrid (la bourse, la cour suprême, le ministère de l’économie).
A Tarragon, il y a des dégâts pour une somme se chiffrant par millions dans l’attaque d’installations pétrolières le 8 septembre, alors que deux jours plus tard d’importants dégâts sont causés dans l’attaque des locaux centraux du PSOE à Barcelone.
Le même mois un millier de permis de conduire vierges sont récupérés à Gijón et les locaux dévastés à l’explosif, puis en novembre deux attaques à l’explosif visent des bâtiments officiels à Barcelone.
1990 et les signes de la déroute
Le tournant de 1985 a concrètement totalement modifié la ligne du PCE(r) et des GRAPO, même s’il y avait déjà cela en germe. Avant 1985, le PCE(r) se veut le protagoniste d’un affrontement puisant dans la bataille contre le fascisme et son prolongement. Après 1985, on passe à une ligne marxiste-léniniste pragmatique-technique s’orientant par rapport à une théorie se voulant universelle de l’État moderne comme étant fasciste.
Pour donner un exemple de ce positionnement ultra, lorsque Francisco Brotons Beneyto « Miguel » sort de prison en 2002 après 25 ans, les médias l’attendent à la sortie, mais sa seule déclaration est alors :
« Je ne fais pas de déclarations aux médias fascistes. »
C’est une sorte de ligne semi-anarchiste qui l’emporte, amenant d’ailleurs le PCE(r) à sortir d’une analyse de l’Espagne pour s’aligner sur le courant pragmatique-technique dit « communiste combattant » issu de la ligne de la « seconde position » des Brigades Rouges et qui récusent la « subjectivité ».
Dans ce cadre, le PCE(r) produit un document de critique de la RAF et des Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant, dénommé « Deux lignes ». Ce document est une référence absolue pour le courant pragmatique-technique se définissant comme « communiste combattant ».
Une théorisation du rapport entre Parti et guérilla est également réalisée, dans un document écrit par les prisonniers et qu’on peut considérer comme une sorte de grande synthèse de l’activité menée jusque-là : « Parti et guérilla ».
Il est marquant ici que, comme les révisionnistes et nombre de marxistes-léninistes n’ayant pas saisi ce concept, le PCE(r) voit en les pays capitalistes un capitalisme monopoliste d’Etat. Or, c’est la thèse révisionniste d’Eugen Varga validée par le social-impérialisme soviétique et affirmant qu’on est passé à un prétendu nouveau stade impérialiste.
Le PCE(r) n’a cependant rien saisi de ses problèmes, car depuis 1985 il ne cesse de souligner la croissance d’un « mouvement populaire de résistance » en Espagne, d’une montée d’une vague révolutionnaire, etc.
Cet optimisme idéaliste s’associe à une lecture pratiquement délirante de l’URSS et de la Chine. Voici ce qu’on lit dans la presse du PCE(r) en 1991, alors que l’URSS s’effondre (après avoir été social-impérialiste) et que la Chine révisionniste bascule dans le capitalisme à outrance :
« Pour toutes ces raisons, et comme le confirment l’analyse historique et les événements les plus récents, nous nions que puisse se produire un recul ou un retour au capitalisme dans l’ensemble des pays socialistes.
Et même dans l’hypothèse où se déroulerait un phénomène de ce type, nous devrions considérer que le socialisme parviendrait à réapparaître avec des forces décuplées. Il faut avoir en tête que le système socialiste est fondamentalement composé de l’URSS et de la RPC [République Populaire de Chine], deux grands pays extrêmement peuplés, de grande superficie, aux énormes capacités économiques, scientifiques, technologiques et militaires.Ils sont de plus dotés d’une considérable expérience en matière d’organisation et de direction des affaires publiques. Il est vrai que les révisionnistes et la bourgeoisie ont fait beaucoup de mal aux masses populaires de ces pays, les menant au bourbier dont il est assez difficile de sortir maintenant, mais ils n’ont pas atteint, ni n’atteindront l’objectif d’y rétablir le capitalisme . »
On est là en plein révisionnisme, pratiquement fou furieux.
Les années 1990
Les années 1991 et 1992 sont marquées par plusieurs attaques, comme en février 1991 l’attaque à l’explosif contre un pipeline de l’OTAN de Rota-Zaragoza dans la région de Cordoue, le paralysant pendant six heures, ou en avril 1992 contre l’institut national industriel et le ministère de l’emploi. Il y eut également des expropriations bancaires.
En juin 1991, l’ancien directeur des prisons Enrique Galavís Reyes échappe à la mort dans la destruction à l’explosif de sa maison ; en octobre, l’inauguration du TAV (l’équivalent du TGV) par le ministre des Travaux publics et des Transports est fortement perturbé par des sabotages effectués par les GRAPO.
En 1993, l’attaque d’un fourgon blindé de transports de fonds à Saragosse échoue et trois membres des GRAPO sont tués. Sept attaques à l’explosif sont menées à Madrid (locaux du PSOE, association des employeurs, syndicat patronal, Institut national de l’industrie, etc.).
La question des fonds est encore au centre de plusieurs actions de 1994, avec plusieurs actions en cette direction, alors qu’en janvier deux attaques ont lieu contre un centre des impôts et un bureau pour la recherche d’emploi, dans un contexte de grève générale. En juillet et en décembre deux fourgons blindés de transports de fonds sont dévalisés.
En 1995, les GRAPO enlevèrent Publio Cordon, un riche entrepreneur à la tête d’assurances ; selon les GRAPO il fut libéré contre une rançon de 400 millions de pesetas, mais il semble qu’en réalité il s’est tué en essayant de s’enfuir.
Ce positionnement n’a naturellement aucune perspective et en 1997, il est rendu public qu’il existe des discussions depuis un an entre le ministère de l’intérieur espagnol et les prisonniers du PCE(r) et des GRAPO, afin de parvenir à un accord.
L’échec de celles-ci provoquent un vide stratégique et l’émergence d’une « fraction Octobre » lançant une attaque contre la direction, accusée de basculer dans un déviationnisme de droite et de chercher une porte de sortie n’étant en fait qu’une reddition.
En 1998, les GRAPO mènent des actions en mars contre trois agences des impôts à Madrid, ainsi qu’une compagnie d’assurances et la radio, ainsi qu’une action à Barcelone en décembre contre l’office de promotion du travail et de l’employeur.
En avril 1999, les GRAPO font détonner une bombe sur la tombe de Franco dans la basilique de la Vallée des morts.
Arenas et l’offensive anti-maoïste
Le problème du PCE(r) était simple. Il avait assumé la guerre populaire prolongée, ajoutant somme toute la dimension « prolongée » au concept développé par le PCE(ml). Mais il n’avait jamais eu l’envergure du PCE(ml) et sa démarche est initialement purement technique, les GRAPO sortant de l’appareil de sécurité du PCE(r).
Le niveau idéologique PCE(r) était bloqué au niveau de l’OMLE et pour donner un exemple, lorsque Gonzalo se fait arrêter au Pérou en 1992, le PCE(r) publie un article « Le maoïsme et la caricature du marxisme ».
Cette matrice bloquait tout et Arenas, le dirigeant du PCE(r), est très clair encore à la fin des années 1990 : on ne change rien. Il écrit pour ce faire plusieurs articles, qui allaient en réalité non pas faire de lui un grand théoricien, mais coincer définitivement le PCE(r) entre marxisme-léninisme et marxisme-léninisme-maoïsme, et ainsi le condamner à se faire broyer.
Ces longs articles, tous parus dans la revue théorique du PCE(r), Antorcha, sont :
– Ligne de masses et théorie marxiste de la connaissance (janvier 1998) ;
– L’universel et le particulier (janvier 1999) ;
– Le problème de l’identité (juin 1999).
Le premier article conclut ainsi par la question :
« Le maoïsme est-il le marxisme-léninisme de notre époque ? »
Arenas s’y évertue à jongler entre le hoxhaisme (le « maoïsme » est un practicisme, un économisme, un basisme, etc.) et une certaine reconnaissance de Mao Zedong.
Le second texte est bien plus ambitieux puisqu’il vise à critiquer la conception « philosophique » de Mao Zedong – Arenas reprend en fait entièrement la thèse hoxhaiste comme quoi Mao Zedong se trompe en disant qu’il y a une contradiction principale et des contradictions secondaires, mais sans jamais le dire. Il réduit Mao Zedong à un empiriste tendanciellement tourné vers la bourgeoisie,exactement comme Hoxha l’a fait.
Une note ajoutée à la fin de l’article le résume à un empiriste :
« Toute la conception de Mao tourne autour de cette vision unilatérale de la contradiction qui découle toujours de la réalité immédiate et a perdu de vue d’autres facteurs de développement importants. C’est pourquoi il convient de noter que, si la loi de la contradiction est la plus importante de la dialectique, elle ne peut toutefois pas être réduite à cette loi. »
Le dernier moment est une dénonciation de Mao Zedong pour avoir souligné qu’il y avait unité des contraires, Arenas reprenant les arguments hoxhaistes comme quoi il n’y aurait que lutte, que parler d’unité c’était accepter la collusion avec la bourgeoisie, etc.
La déroute de 2000
En mai 2000, les GRAPO échouent dans l’attaque d’un fourgon blindé à Vigo ; les convoyeurs ouvrent le feu et deux d’entre eux sont tués. En septembre, la police désamorce une bombe des GRAPO à un siège d’intérim ; le lendemain un colis piégé est déposé au quotidien El Mundo à Barcelone par trois personnes cagoulées, faisant plusieurs blessés dans les rangs de la police.
Puis vient la déroute complète, scellant le sort des GRAPO. En novembre 2000, la police française interpelle à Paris et en banlieue parisienne, à Boulogne-Billancourt, Montrouge (Hauts-de-Seine) et Cachan (Val-de-Marne), le noyau dur du PCE(r) : Manuel Pérez Martínez dit Arenas, Isabel Llaquet Baldellou, José Luis Elipe López, José Antonio Peña Quesada, Maria Rosario Llobregat Moreno. Deux membres des GRAPO sont arrêtés : Fernando Silva Sande et Maria Victoria Gómez Méndez.
Les GRAPO répondent huit jours plus tard en tuant un policier. En novembre 2001, un fourgon blindé de transports de fonds est dévalisé à Santander. Mais en juillet 2002, huit membres des GRAPO sont arrêtés à Paris et six à Madrid.
Quelques actions sont menées, mais de manière espacée. En avril 2003 une banque est attaquée à Leganés ; en février 2006 la tentative d’enlèvement d’une entrepreneuse dans le travail temporaire échoue, celle-ci étant tuée. L’attaque d’une banque un mois plus tard à Castellón échoue également.
Trois membres des GRAPO sont alors arrêtés en juin. Le mois d’après, les GRAPO attaquent une banque à Saint-Jacques de Compostelle. C’est alors la fin de l’organisation et le PCE(r) semble anéanti également comme structure organisée.
En 2008, six personnes agissant dans la légalité sont arrêtées et accusées de servir de structure au service des GRAPO.
Au total, 6 membres du PCE(r) sont morts tués par la police, sous la torture ou lors de grèves de la faim. 16 membres des GRAPO sont morts tués par la police, sauf un à la suite d’une grève de la faim, un sous la torture, un officiellement par suicide au bout de trois ans d’isolement carcéral total, un par absence de soins en prison. Cinq membres des GRAPO sont morts lors d’actions.
Environ 3500 personnes ont été arrêtées en liaison avec le PCE(r) et les GRAPO, plus de 1400 ont été emprisonnées. Autant ont été maltraitées voire torturées.