[Février 1972 -Philippe O.]
PETITE HISTOIRE
«D’où viennent les idées justes ? de la pratique sociale.» Mao.
Nous n’avons pas décidé, un beau matin, de dire non au syndicat. Avant toute pratique, la connaissance est nécessairement livresque.
Et tous les livres nous enseignaient la nécessité du syndicat. Nous étions donc, comme tout le monde, syndicalistes.
Mais comme nous étions, dès avant mai 68, opposés au P.C., au révisionnisme, nous étions pour le syndicalisme prolétarien.
Comme nous voyions les choses de très loin, nous admettions cette évidence « pratiques » : la C.G.T., c’est une forteresse ouvrière, le syndicat le plus fort, et le plus riche de traditions.
Donc nous avons choisi : le syndicalisme prolétarien à la C.G.T.Le raisonnement est simple : nous opposerons à la doctrine et à la tradition « de lutte de classes » de la C.G.T.la réalité de ses actions, ou plutôt de ses inactions, de ses trahisons.
D’où le mot d’ordre clair et frappant : « Contre les bradeurs, vive la C.G.T.de lutte de classes. » Ce mot d’ordre eut de l’écho. Pourquoi ? pas tant parce qu’il correspond à une thèse célèbre de Lénine sur la lutte à l’intérieur du syndicat conservateur ; mais, parce que dans la classe ouvrière il existe des syndicalistes prolétariens.
Ce mot d’ordre permettait de rallier les syndicalistes prolétariens.
Nous n’avons pas eu le temps de trop délirer sur ce mot d’ordre, d’imaginer le réseau vaste et complexe des fractions syndicalistes prolétariennes au sein de toutes les fédérations C.G.T.d’industrie, la scission de masse de la grande C.G.T., désormais passée aux mains des porte-serviettes.
En effet le printemps de l’année 68 allait nous surprendre et nous réserver une de ses petites malices.
La scission de masse s’est bien produite, mais pas exactement comme on l’imaginait.
Une partie des masses ouvrières se libérait de la tutelle des bradeurs, mais sur les barricades, à la Sorbonne, à Flins, à Sochaux, dans les groupes d’auto-défense des usines occupées.
Au moment de la résistance à la capitulation d’après-Grenelle, nous disions : Résistons aux traîtres, mais ne déchire pas ta carte de la C.G.T.car les salopards en profiteraient pour continuer à régner dans la C.G.T.
Mais la partie des ouvriers qui découvrait la nature du syndicat ne l’entendait pas de cette oreille, elle ne s’embarrassait pas de ce raisonnement tordu : elle déchirait sa carte de la C.G.T.
Dans le désespoir de la reprise du travail, déchirer sa carte c’était au moins un acte de résistance qu’on pouvait faire massivement, qui signifiait : « On ne m’y reprendra plus.
» Un acte de la force autonome dans la classe ouvrière, qui avait répondu à l’appel au soulèvement.
Nous avons alors commencé à comprendre qu’il ne fallait pas faire un mauvais usage des livres ; qu’il ne fallait pas masquer avec un beau texte de Lénine son ignorance profonde, et son absence de liaison réelle avec les masses.
Depuis lors, nous avons pris en horreur ces personnages, qui malheureusement ont pullulé après 68, et qui vont d’Université en meetings professer le vrai marxisme.
Parfois, rarement, nous nous retrouvons avec ces gens pour une manifestation, mais plus jamais nous ne nous sommes entendus avec eux.
Nous ne pensons pas de la même manière.
Tout notre effort après mai 68 consista à comprendre cette scission de masse survenue en 68 et à en tirer toutes les conséquences.
Ce fut long et difficile (un an).
Inutile de préciser que cet effort a été fait dans la pratique.
Nous avons compris la chose suivante : c’est parfaitement vrai que les syndicalistes prolétariens constituent une avant-garde interne de masse dans de nombreuses usines.
Dans certaines régions, actuellement, tous les militants qui forment l’ossature des groupes antisyndicalistes, des comités de lutte, ont été des syndicalistes prolétariens.
Mais ce n’est pas la seule avant-garde interne de masse.
La gauche ouvrière dans la jeunesse et chez les immigrés échappe au syndicalisme prolétarien.
Or c’est elle qui, depuis 68, a mis en évidence les revendications et les formes d’action les plus radicales.
Ce n’est pas tout : non seulement les syndicalistes prolétariens ça ne suffit pas, mais aussi et surtout la pratique des syndicalistes prolétariens ça ne va plus tout à fait.
Les syndicalistes prolétariens ne peuvent pas proposer une pratique de masse nouvelle, celle précisément qui a été ébauchée en 68.
Ils apportent des éléments à cette pratique (d’anciennes formes d’action « dure ») : dans la région de Nantes-Saint-Nazaire c’est parfaitement clair : grandes lessives de Batignolles (janvier 71) et visites des usines par les gars des Chantiers Navals en lutte contre un lock-out n’ont été possibles que grâce à l’apport du syndicalisme prolétarien.
Au fond le syndicalisme prolétarien apporte une tradition.
Elle n’est précieuse que si elle est mise au service d’une pratique nouvelle.
Maintenant nous le savons : les luttes de masse autonomes les plus authentiques s’inspirent de toute l’histoire du mouvement ouvrier, y compris l’histoire de ses origines.
Nous avons donc compris en 69 qu’il fallait une pratique de masse autonome.
Plus question d’ « entrer dans le syndicat ».
Mais c’est l’aspect somme toute superficiel de la question.
L’autonomie ce n’est pas essentiellement l’indépendance formelle par rapport à l’appareil syndical.
L’autonomie c’était une pratique de masse différente de la pratique du syndicalisme, pratique différente qui répondait aux aspirations encore confuses de la masse et qui allait entraîner dans l’action les nouvelles avant-gardes internes de masse : en particulier les jeunes et les immigrés.
Nous avons mis au point alors la pratique des petits noyaux de résistance dans les ateliers.
Nous ne l’avons pas fait parce que nous serions partisans des « minorités agissantes ».
Au contraire, nous pensons profondément que pour faire la révolution il faut entraîner « 90 % de la population ».
C’est dire que nous n’avons aucun goût pour la théorie des minorités (nous incluons dans la théorie des minorités celle des gens qui pensent que la révolution est possible avec la classe ouvrière seule).
Pourquoi faut-il alors commencer par des petits noyaux de résistance ? C’est simple, au départ, il y a la dictature patronale et la dictature syndicale.
Il n’y a pas d’autre moyen de commencer si on ne part pas d’un petit noyau de résistance.
Evidemment si on ne considère pas le syndicalisme comme un appareil répressif, on peut toujours y entrer, alors on aura l’illusion de partir des masses et de faire des actions de masse.
De temps en temps on voit des « gauchistes » entrés dans le syndicat s’imaginer « être dans » les masses.
Leur inaction prolongée, et les coups de poings des flics syndicaux moins romantiques que ces naïfs, finiront pas leur faire perdre leurs illusions.
Au fond les premières associations ouvrières, les premiers comités d’action, les premiers syndicats ont d’abord été des petits centres de résistance aux empiétements du capital.
Les débuts de la contestation ouvrière moderne renouent avec l’origine du syndicalisme.
On nous a d’ailleurs reproché de « ramener le mouvement ouvrier » à ses origines : les actions contre les petits chefs, cela rappelait les patrons arrosés au vitriol dans l’Angleterre des années 40, les coups de feu qui partaient dans les champs contre les fabricants.
A ce compte-là on pourrait aussi se rappeler les actions de justice des esclaves ou des populations germaniques.
Nous, on veut bien.
Les sabotages visant à l’arrêt de chaîne par introduction d’une barre de fer par exemple, cela rappelait les premiers bris de machine.
Tous ces souvenirs viennent à l’esprit de « chroniqueurs » du mouvement ouvrier, type Nouvel Observateur.
Ils visent évidemment à déconsidérer cette contestation ouvrière.
Ils sont quand même emmerdés maintenant : les séquestrations sont devenus une forme régulière de la guerre de classe.
Au point que des syndicalistes C.G.T.sont obligés de les singer (Chantiers de Brest, janvier 72).
Alors on ne voit plus ces chroniqueurs rapprocher la séquestration des actions sauvages du XIXème siècle.
Ils s’écrasent.
Espérons que cela durera.
Mais comme nous ne sommes pas sectaires, même vis-à-vis de ces journalistes prétentieux, mettons les choses au point.
Les ouvriers ont toujours raison de se révolter contre les patrons.
« Dès lors qu’il ne reste à l’ouvrier pour tout champ d’activité humaine que l’opposition à toutes ses conditions de vie, il est naturel qu’il apparaisse le plus sympathique, le plus noble et le plus humain, lorsqu’il se rebelle contre elles.
C’est vers ce seul point que tendent toute l’énergie et toute l’activité des ouvriers, et même les efforts pour acquérir par ailleurs une culture humaine sont tous en rapport direct avec ce point unique.» (Engels).
Dans l’histoire de toutes les révoltes ouvrières et populaires, les ouvriers d’aujourd’hui ont quelque chose a apprendre.
Les oeuvres du syndicat périssent, pas l’oeuvre de l’instinct prolétarien.
Nous sommes convaincus, par expérience, qu’un récit d’une révolte des débuts du mouvement ouvrier a une vertu pratique bien plus grande pour les luttes de masses que les fascicules de la C.G.T.sur le fonctionnement d’un comité d’entreprise.
Cela dit, l’action contre le petit chef ou la séquestration d’un directeur, si elles peuvent à juste titre rappeler les premières actions ouvrières n’ont pas le même contenu.
Marx disait à propos de ce phénomène « le débutant qui apprend une nouvelle langue la retraduit toujours dans sa langue maternelle ».
La séquestration du patron, par exemple, provoque une révolution très moderne dans les esprits : à savoir : sous l’autorité du patron, il n’y a rien ; le patron est un parasite.
Et quand les gars de Richard Continental à Villeurbanne (février 72) après avoir séquestré le patron, le mettent à la porte, ce qu’ils disent est très simple : le patronat est une classe inutile (même dans la filiale d’une entreprise « nationalisée »).
Autre exemple : introduire une barre de fer sur la chaîne cela peut rappeler le luddisme ; mais cela prépare une action de masse contre le système de travail à la chaîne, qui est aujourd’hui grâce à l’initiative des « sauvages », des O.S., à l’ordre du jour.
Car le patronat et les syndicats ont désormais compris d’où partait la subversion.
Et ils vont s’employer à des réformes pour canaliser la «sauvagerie».
Les petits noyaux de résistance ont donc ouvert une voie : par le bris des cadences, par les actions contre les chefs, par les révélations qu’ils apportaient sur la condition ouvrière : par exemple sur l’assassinat quotidien conscient dans les entreprises.
Aujourd’hui même dans le « Monde » on peut lire que les usines sont des « bagnes ».
Il y a deux ans la Cause du Peuple était saisie, parce qu’elle le disait.
Maintenant il faut largement entrer dans la voie ainsi ouverte.
Il faut élargir la résistance.
Les petits noyaux de résistance ont fait leur temps.
Soumis à une répression systématique de la police, du patron, du syndicat, ils ne tiendraient d’ailleurs pas longtemps.
Mais cette répression sanctionnait le fait que les idées des petits noyaux devenaient une force matérielle dans les masses.
Il s’agissait donc d’avoir de nouvelles méthodes puisque la réalité était transformée.
Le texte qui suit présente un bilan abrégé de l’expérience acquise depuis un an.
Il s’appuie principalement sur l’expérience avancée du comité de lutte de Renault-Billancourt.
Mais dans ce texte nous n’allons pas exposer nos méthodes d’élaboration des formes d’action dans les usines.
Nous voulons seulement dégager les principes qui distinguent le syndicalisme de la contestation.
« Lutter contre l’égdisme et critiquer le révisionnisme.
» Mao.
I. – « LA SPONTANÉITÉ N’EXISTE PAS »
C’est une citation de la C.G.T.(p. 13 de « Un complot manqué ». Renault, mai 71).
C’est plus qu’une citation. C’est la philosophie de la C.G.T.
On se souvient des analyses du p.C.G.T. sur les « événements de 68 » : le principal mérite des «communistes», à cette époque, c’est d’avoir déjoué un complot contre leur parti.
Cette extraordinaire analyse faite en juillet 68 est devenue, depuis, une méthode fondamentale de pensée des dirigeants révisionnistes.
Tous les mouvements de masse autonomes sont aux yeux de ces dirigeants ou bien une « invention » ou bien un « complot ».
De deux choses l’une : ou bien la C.G.T.expliquera que le mouvement de masse a été préparé de main de maître par le travail infatigable de ses délégués et militants, donc le mouvement n’a rien de « sauvage », il est syndical ; c’est pure invention que de le caractériser comme mouvement «spontané».
Ou bien, comme on ne peut nier qu’il y ait des forces autonomes à l’oeuvre dans le mouvement, il s’agit d’un complot, qui vise à détruire l’organisation syndicale, donc le « mouvement ouvrier ».
La grande lessive des Batignolles (début 71) a été l’oeuvre de ces forces de complot.
Les sabotages des trains de riches par les cheminots dans la région Est au moment de leur grève de 71 (juin), c’est pareil.
Dans les deux cas : il n’y a pas de spontanéité ; le mouvement est l’oeuvre du syndicat ou de comploteurs.
La spontanéité n’existe pas.
On assiste alors à ce triste spectacle : les militants « drogués » de la C.G.T.(une poignée) font la chasse au « spontané ».
Fini le vieux réflexe syndicaliste « dur » : « on a toujours raison de revendiquer contre le patron ».
Désormais quand il y a mouvement, on se demande : la C.G.T.est-elle dans le coup ? ou non ? si non, il faut chercher le complot.
Le cégétiste ainsi éduqué devient nerveux et méfiant.
Mais pour conjurer la révolte ou plutôt pour « déjouer le complot », il faut une formation spéciale.
Il ne suffit pas d’être méfiant, il faut être vigilant.
La C.G.T.constitue alors un comité de vigilance contre la spontanéité : une POLICE SYNDICALE.
Nous savons bien que cette notion n’est pas couramment admise dans les « milieux intellectuels marxistes ».
Ceux-ci en général préfèrent la notion douceâtre de « bureaucratie ».
Nous n’y pouvons rien.
La violence qu’exercé l’appareil syndical n’est pas « bureaucratique » (?), c’est une activité répressive.
Elle vise à encercler et à anéantir une force représentative d’aspirations qui s’opposent violemment aux « intérêts » de l’appareil syndical.
Dire que la direction syndicale est « bureaucratique », c’est parler pour ne rien dire.
Les directions révolutionnaires les plus éprouvées sont constamment menacées de « bureau-cratisme », de coupure avec les masses.
Cette notion ne permet pas de distinguer la fonction jouée par l’appareil syndical dans les luttes de classes.
Nous proposons à ces milieux de réfléchir sur la thèse : « la spontanéité n’existe pas ».
Qu’est-ce que cela veut dire ? cela signifie que la C.G.T.n’ « a pas la prétendue confiance qui flatte l’impulsion irréfléchie sous couvert de spontanéité » (broc, citée p. 48).
En clair, la classe ouvrière n’a pas « d’instinct de résistance » créateur.
La classe ouvrière n’a pas de capacité autonome de réfléchir à partir de sa pratique de production et de lutte de classes.
La classe ouvrière ne produit pas (« spontanément ») d’idées justes.
Les idées lui viennent soit du délégué soit de la « tradition syndicale » ( = éducation et mémoire du délégué).
Les idées qui ne viennent pas de là constituent « l’impulsion irréfléchie », erreur d’enfance qu’on veut bien excuser et « couvrir » si les comploteurs ne s’en mêlent pas.
Quel est le caractère de classe de cette thèse ? C’est une pensée produite par le capitalisme.
En effet, le capitalisme dépossède complètement l’ouvrier.
Non seulement l’ouvrier n’a plus que sa force de travail à vendre, mais l’ouvrier perd son intelligence dans l’atelier.
Comme Marx l’a montré, s capital lui arrache toute sa force culturelle et la retourne contre lui ; la science dans l’usine apparaît comme une puissance étrangère, hostile à l’ouvrier (Cf.Capital, livre I, tome 2, pp. 49 et suiv. Éditions sociales).
Elle anime la machine qui asservit l’ouvrier, elle loge dans les bureaux de méthodes d’où sortent d’étranges techniciens, chrono en mains, qui viennent fixer des « cadences théoriques instantanées » étrangères à la perception ouvrière, totalement mystérieuses, oppressives.
Pour le capital, la spontanéité ouvrière ne doit plus exister.
Pour le capital l’ouvrier doit être un con.
La thèse « la spontanéité n’existe pas » soit encore « les ouvriers sont des cons » est produite par le capitalisme.
Les appareils qui servent à reproduire cette thèse sont des appareils bourgeois.
On sait que l’appareil despotique dans l’atelier, ou l’appareil scolaire visent à entretenir cette thèse.
Il faut reconnaître aussi que l’appareil syndical joue à sa manière la même fonction.
Dans certains ateliers immigrés, le délégué C.G.T.est confondu avec le chef.
L’oeil de l’ouvrier voit juste.
Comme tous les appareils bourgeois, l’appareil syndical est répressif ; il assume les deux fonctions de répression ; la répression idéologique avec la thèse « la spontanéité n’existe pas » et la répression violente avec sa police.
Car la réalité de la révolte infirme la thèse « la spontanéité n’existe pas » ; alors il faut une police pour remettre les choses dans l’ordre.
Quand la répression idéologique ne suffit pas il faut la répression violente.
Nier la capacité d’autonomie ouvrière c’est se condamner à faire la police contre les ouvriers.
La C.G.T.est donc antidémocratique ; mais pas parce qu’elle a une déviation « bureaucratique », qu’il faudrait condamner au nom de ses statuts et de la démocratie syndicale.
Elle est antidémocratique comme tous les appareils bourgeois.
Voilà pourquoi le mouvement démocratique des ouvriers affronte l’appareil syndical.
Qu’on y réfléchisse : le premier comité de chaîne (atelier de peinture de l’Ile Seguin, chaîne de pisto-letteurs) organe de décision de l’assemblée de chaîne, révocable à tout moment, s’est créé après un mouvement sur la paie où la masse s’est affrontée au délégué.
Quand nous disons que la C.G.T.n’est pas démocratique nous ne nions pas qu’elle sache manier l’urne aussi bien que le régime Pompidou.
Nous nions quelle sache concentrer les idées des masses, qu’elle pratique la démocratie de masse.
D’ailleurs c’est elle-même qui le dit : « la spontanéité n’existe pas ».
II. – ÉGOÏSME ou COLLECTIVISME ?
Tout est fait dans l’atelier pour que les ouvriers soient vidés de leur intelligence ; la machine comme le chef sont là pour dire à l’ouvrier : tais-toi, ne pense pas, c’est superflu, c’est nuisible.
Asservi à la chaîne ou à la machine, l’ouvrier doit être isolé, il doit avoir conscience continuellement qu’il est isolé.
Avoir cette conscience, c’est être une machine parmi les machines.
C’est au fond perdre toute conscience ; alors la rébellion se forme contre cet état d’anéantissement ; « prendre conscience », c’est rompre l’isolement, c’est inventer une expression collective contre la chaîne, contre la machine, contre le chef.
Cette expression peut surprendre : une barre de fer qui bloque la chaîne, et voilà la conscience qui triomphe.
Le triomphe de la conscience est toujours collectif.
Il rassemble, contre la division objective instaurée par l’organisation du travail.
Il y a dans l’atelier une lutte constante entre l’isolement et le rassemblement ; une lutte constante entre le concept d’égoïsme et le concept du collectif.
L’organisation du travail fondée sur la propriété privée et la séparation de l’ouvrier par rapport à son travail produit l’idée de l’égoïsme, de l’isolement, l’idéologie de la soumission.
La révolte contre cette dépossession produit l’idéologie collectiviste.
C’est dans l’atelier que se déroule le plus puissamment, le plus crûment, la lutte entre l’égoïsme et le collectivisme.
L’égoïsme est produit par le capital, le collectivisme par la rébellion du travail.
La base de la doctrine communiste, c’est la rébellion du travail.
En ce sens, le communisme est bien produit par la classe ouvrière.
Tombe-t-il du ciel ? non, il vient de la pratique sociale de la classe ouvrière.
Pour former une conscience communiste, il faut partir de l’idéologie collectiviste propre au prolétariat et répudier l’égoïsme, propre au capitalisme.
Dès le stade élémentaire de la conscience de classe, à travers la lutte d’atelier, il faut que le collectif triomphe de l’égoïsme.
Au stade le plus élevé, lorsque la classe ouvrière prend conscience de son rôle dirigeant dans la lutte du peuple dans son ensemble contre la dictature des classes exploiteuses, il faut aussi que le collectif l’emporte sur l’égoïsme.
A tous les stades de la conscience, il faut que la voie du collectivisme l’emporte sur la voie bourgeoise de l’égoïsme.
A tous les stades de développement de la conscience de classe, il faut donc forger des instruments qui fassent triompher le collectif sur l’égoïsme.
Prenons le stade élémentaire de la lutte, la lutte dans l’atelier.
Dans l’atelier, au départ, dans les conditions immédiates produites par le capitalisme, il y a la division : la division extrême entre tous les ouvriers par exemple dans l’atelier « moderne », la division « à l’infini » qu’instauré le système de cotation de poste ; la division en nationalités qu’entretient le racisme, la division en catégories (production/contrôle…) et la soumission générale à l’ordre répressif qui garantit ces divisions (l’ordre répressif ce n’est pas seulement le contremaître c’est déjà le mouchard sur la chaîne, le poste de travail/flic).
Comment organiser la lutte immédiate pour un changement partiel, pour une petite « réforme »? Il y a deux manières : ou bien on part de ces divisions et on demande telle ou telle chose ; ou on demande telle ou telle chose en remettant dès le départ en question ces divisions.
Toute lutte exige un minimum d’union (à l’exception de la « lutte » qui consiste pour le délégué à aller voir le chef pour qu’il donne un avantage à un de ses potes ou à un élément combattit pour le neutraliser); toute lutte exige donc un mouvement visant à surmonter certaines divisions et donc à lutter contre certains aspects de l’appareil répressif qui garantit ces divisions).
Toute lutte authentique remet en question les « rapports immédiats » qui se déroulent dans l’atelier.
Avoir une position prolétarienne dans la lutte immédiate pour une « petite réforme », c’est développer au maximum l’élément collectiviste et réduire au minimum l’élément « égoïste ».
Avoir une position bourgeoise c’est faire le contraire : réduire au maximum l’élément collectiviste.
Mais développer au maximum l’élément collectiviste c’est remettre en question les divisions inscrites dans les rapports objectifs capitalistes (divisions sur la chaîne par exemple), et c’est d’un même mouvement attaquer l’appareil répressif.
L’unité de classe se conquiert dans un mouvement de lutte contre le système des divisions garanti par l’appareil répressif.
Ce système de division garanti par l’appareil répressif porte un nom : la hiérarchie capitaliste.
Toute lutte prolétarienne immédiate est anti-hiérarchique.
La C.G.T.réduit au maximum cet élément collectiviste, antihiérarchique : elle propage l’esprit de catégorie et la soumission à la légalité.
En effet, la hiérarchie c’est un système de catégories légalisé par un appareil répressif.
Il y a des chefs parce qu’il y a des catégories hiérarchisées du « personnel » ; il y a ces catégories parce que les producteurs immédiats sont des cons, qui n’ont pas les capacités nécessaires pour les fonctions « de responsabilité ».
Les capacités ou les « compétences » ; parce que toute cette salade se veut bien sûr « scientifique », dictée par les lois naturelles du progrès industriel.
La C.G.T.donc qui défend la hiérarchie, même si bien sûr elle est contrainte d’en demander des remaniements, est le défenseur le plus acharné de l’esprit de catégorie et du légalisme.
Elle trouvera ses points d’appui les plus solides dans les « catégories supérieures ».
En témoignent ses progrès rapides chez les agents de maîtrise.
Mais surtout elle doit consolider son pouvoir dans une catégorie proprement ouvrière (car elle ne peut décemment pas devenir pour le moment le syndicat de masse des agents de maîtrise) : les ouvriers professionnels.
Les O.p. c’est « la forteresse dans la forteresse » comme elle dit des O.p. de Billancourt.
Un des facteurs clés du « verrou » cégétiste, c’est le pouvoir exercé sur les O.p.
Résumons-nous : La C.G.T.n’est pas seulement antidémocratique, elle propage l’esprit de catégorie viciant profondément le mouvement de conquête de l’unité de classe et elle propage l’esprit de soumission à la légalité (c’est-à-dire à « l’ordre » hiérarchique).
Par ces trois moyens (refus de la démocratie, esprit de catégorie, légalisme) la C.G.T.consolide les « rapports immédiats » dans l’atelier, c’est-à-dire consolide l’idéologie « égoïste » propre au capitalisme.
La contestation au contraire libère l’idéologie collectiviste, base du communisme.
III. – SYNDICALISME ET POLITIQUE
Si la C.G.T.propage l’esprit de catégorie et de soumission à la légalité, c’est qu’elle défend la hiérarchie capitaliste.
Si elle défend la hiérarchie, c’est pour une raison POLITIQUE.
Le syndicalisme est politique.
Le secret de la C.G.T., il faut le chercher dans le p.C.
Dans le programme politique révisionniste.
Ce programme réclame la nationalisation des secteurs-clés de l’économie nationale dans une première étape et dans une deuxième l’extension de l’appropriation collective des moyens de production.
Fort bien.
Mais la question qui se pose : c’est une fois que la propriété est devenue « collective », que devient l’organisation du travail dans l’usine et l’organisation sociale ? Pour le dire autrement : les Chantiers Navals de Gdansk sont « propriété collective ».
Pourtant, en été, la température monte jusqu’à 70 degrés et en hiver les installations sont gelées.
Par temps de pluie il y a danger mortel d’électrocution pour les soudeurs et les monteurs.
La paie est misérable.
Après 15 ans c’est le cimetière.
(Extraits d’un document publié par le Nouvel Observateur du 6 au 12 décembre) Enfin quand les ouvriers se révoltent, « on attrape les ouvriers comme des rats ».
Une « milice ouvrière » (police syndicale devenue police d’Etat) tire à la mitrailleuse pour rétablir l’ordre socialiste.
Ces faits terribles montrent que la véritable question, c’est : que devient l’organisation du travail, une fois la propriété privée abolie.
De toute façon la masse des ouvriers réfléchit à ces expériences de Pologne et d’ailleurs.
Jamais elle n’identifiera la libération à l’expérience polonaise.
Elle dit non à la Pologne par « instinct », et nous devons expliquer contre le p.C.
C.G.T.qu’elle dit non à une variante du capitalisme.
Que le socialisme c’est tout à fait différent.
Nous ne nous avilissons pas à dire que la Pologne est socialiste mais qu’elle a de graves déviations bureaucratiques.
L’essence du capitalisme, la dépossession de l’ouvrier, peut se perpétuer même quand la direction des entreprises est « publique ».
Entendons-nous bien : il va de soi que tout pouvoir prolétarien adoptera le décret d’appropriation des « secteurs-clés » de l’économie nationale.
C’est un début nécessaire.
Mais dans un pays comme la France aujourd’hui qui a l’expérience des « nationalisations > et qui réfléchit à l’expérience des pays de l’Est, là n’est pas la seule véritable question.
Le critère pour apprécier les forces de classe n’est plus seulement et principalement : le nombre de nationalisations qui figurent à leur programme.
Le critère de distinction c’est leur position par rapport à la division du travail, au type de « hiérarchie » dans l’entreprise et donc à la conception générale des rapports sociaux.
Il va de soi en effet que si on adhère au principe de la hiérarchie capitaliste (en la remaniant) on adhère au principe de l’Ecole actuelle (en la réformant), donc on a une certaine conception des rapports entre les producteurs et les « intellectuels ».
L’école actuelle sert à perpétuer ce type de hiérarchie.
Si on ne veut pas démolir ce type de hiérarchie on ne veut pas détruire l’Ecole.
Si on ne veut pas détruire la séparation entre production immédiate et Ecole, si on ne veut pas abolir la division entre travail manuel et travail intellectuel, on perpétue toutes les autres séparations : séparation de l’usine et de la cité, séparation de la ville et de la campagne.
Marx disait que l’organisation dans la fabrique était un modèle pour l’organisation de la société.
Si on accepte l’organisation « hiérarchique » (dans la définition précise que nous avons donnée) dans l’atelier on accepte l’essentiel des principes de la société de type bourgeois.
L’expérience de la révolution culturelle est lumineuse : La ligne de Liou Chao Chi prônait dans l’entreprise la théorie « tout le pouvoir au directeur et aux experts », et dans la société : « l’école pour l’élite », la « culture pour une aristocratie ».
La critique de la voie bourgeoise en Chine porte sur TOUS les aspects de la vie sociale, de la base et de la superstructure.
Il est donc clair qu’il y a harmonie préétablie entre la tactique syndicaliste et le programme de « nationalisations » du p.C.
A la tête du p.C.G.T. il y a une POLITIQUE, c’est-à-dire une certaine conception du pouvoir et de la société.
Pour nationaliser les secteurs-clés de l’économie, il suffit d’un autre « gouvernement » qui adoptera un décret.
Il n’y a pas besoin de destruction de tous les appareils qui maintiennent l’organisation actuelle du travail.
Quand il y aura un gouvernement de gauche on pourra changer le conseil d’administration des entreprises, devenues nationales, en particulier on pourra y faire entrer en masse les syndicalistes qui auront fait leurs preuves dans la gestion de ces entreprises que constituent les comités d’entreprises des grosses boîtes.
On pourra « réformer » l’école… Si donc il suffit « pour changer de cap » d’avoir un nouveau gouvernement, il est tout à fait logique, tout à fait réaliste, de lutter par la voie électorale.
La politique révisionniste est une pyramide dont la base est l’égoïsme et le sommet un gouvernement sorti des urnes.
De toute façon si on refuse la démocratie de masse dans l’atelier, on la refuse dans la société ; si on accepte le légalisme dans l’usine on adhère à l’électoralisme.
Un même principe anime le légalisme et l’électoralisme : le refus de former dans la classe ouvrière un mouvement de masse collectiviste.
Le légalisme dans l’usine c’est l’acceptation des divisions objectives dans l’atelier garanties par l’appareil répressif patronal, c’est « l’atomisation » des ouvriers.
L’électoralisme achève ce mouvement dans la société : il transforme l’ouvrier en individu solitaire dans la Cité hostile.
IV.- UN SUPPLÉMENT D’ÂME POUR LE SYNDICALISME : LA C.F.D.T.
Dans le climat étouffant créé par la C.G.T., un petit syndicat aux origines douteuses essaie de se faire une place au soleil.
La C.F.D.T. multiplie les efforts « doctrinaux » pour mettre en évidence ses profondes différences avec la C.G.T.Au syndicalisme moribond (idéologiquement ; nous ne nions pas qu’il y ait des centaines de milliers de syndiqués.
C’est vraiment peu de choses d’avoir une carte.
Ça coûte un peu), la C.F.D.T. propose un supplément d’âme.
La C.F.D.T. crie partout qu’elle est pour la démocratie, et pour le socialisme démocratique et même qu’elle se bat contre la hiérarchie.
On pourrait évidemment se contenter d’analyser la misérable pratique de la C.F.D.T. quand elle est « majoritaire » par exemple dans certains coins de l’Ouest, ou bien sa pratique-croupion quand elle est « minoritaire ».
Mais nous allons commencer par la « doctrine ».
La question théorique à lui poser est claire désormais : au point de vue de la doctrine politique, la C.F.D.T. adhère-t-elle au principe de la hiérarchie capitaliste ?
Nous ne nous sommes pas amusés à prendre au sérieux les affirmations de la C.G.T.sur le « respect des libertés », « l’approfondissement de la démocratie » etc.
, nous nous sommes concentrés sur le point essentiel, le critère déterminant : la C.G.T.refuse-t-elle le type d’organisation capitaliste du travail ? nous avons vu qu’elle adhérait aux principes de l’organisation capitaliste du travail.
Nous n’allons pas non plus nous amuser à prendre au sérieux les professions de foi dans la « démocratie » de la C.F.D.T. La question déterminante est simple : sa doctrine politique c’est « l’autogestion ».
Cette autogestion s’accommode-t-elle des principes de base de la hiérarchie capitaliste ? la réponse est donnée officiellement par Ed.
Maire (Ces citations sont extraites d’une interview au Nouvel Observateur) : « Je dis que la meilleure forme d’autogestion d’entreprise actuellement – et qui pourrait n’être que transitoire – c’est un régime de double assemblée : assemblée politique et assemblée technique.
On conserverait dans cette dernière la hiérarchie, c’est-à-dire la gradation des compétences techniques.
» Plus haut il explique : « A l’intérieur de l’entreprise autogérée c’est le schéma de la démocratie parlementaire : chaque travailleur de l’entreprise, de l’ingénieur en chef au travailleur immigré a le même droit… »
Malgré la phrase « de gauche » et la prudence (« forme transitoire », sous-entendu : après on fera mieux), cette doctrine est très claire : accepter « la gradation des compétences », la hiérarchie technique », c’est accepter les principes de base de la division capitaliste du travail.
Si les producteurs immédiats n’arrachent pas « le pouvoir » de la technique (et c’est vrai c’est « tout un processus » ; encore faut-il le caractériser clairement et l’enclencher), la « voix » de l’ouvrier ne pèse pas lourd à côté de la « voix » de l’ingénieur en chef même si en principe en bonne « démocratie parlementaire », les deux voix sont égales.
On demande : quelle différence fondamentale y a-t-il entre le parti syndical révisionniste et ce parti syndical-bis (plus « attachant » pour les milieux intellectuels) ? Qu’est-ce qu’apporté ce terme-foutoir d’autogestion ? les révisionnistes veulent maintenir la gradation des compétences et prônent la démocratie parlementaire dans l’entreprise.
Mais ils sont plus clairs, plus nets.
Us disent : nationalisons d’abord, ensuite on démocratisera, on donnera plus de pouvoir aux techniciens et aux syndicalistes dans les conseils d’administration de l’entreprise nationale et on recourra bien sûr à la consultation parlementaire du personnel pour toutes les importantes décisions.
Ce que M. Maire apporte de plus c’est un langage de « gauche » très touchant : « Il est en effet permis de penser que les compétences techniques risquent à un moment ou à un autre, d’échapper au contrôle, de conditionner les décisions dites politiques.
Mais pour nous l’autogestion ne peut être une perspective crédible que si un accord profond existe entre la technique et la politique.
» Redisons les choses carrément : la doctrine politique remet-elle en question les principes de base de la hiérarchie capitaliste (le savoir est monopolisé par des catégories du personnel distinctes des producteurs immédiats ; ce qui a pour conséquence : les ouvriers sont dépossédés de leur force culturelle, et opprimés par la hiérarchie « technique » qui donc pour se protéger se double d’un appareil répressif) ? Si oui, cette doctrine est socialiste prolétarienne.
Si la doctrine politique ne remet pas en question ces principes de base, elle n’est pas socialiste prolétarienne.
Mais au mieux une doctrine socialiste petite-bourgeoise (qui vise à donner plus de pouvoir aux couches intermédiaires, « techniciennes » dans l’entreprise).
En fait, cette doctrine est incohérente, car en définitive et en réalité ce n’est pas « le petit-bourgeois » (fût-il technicien) qui prendra le pouvoir au niveau de la société.
Il n’en a pas les forces.
C’est la classe capitaliste qui conservera le pouvoir en effectuant en son sein .
des remaniements (par exemple son alliance avec les « experts sera plus solide ; plus de pouvoir leur sera conféré).
Quelque chose comme la Hongrie avec un supplément d’âme.
Nous avons vu comment dans son fond la doctrine politique de la C.F.D.T. ne rompt pas avec le révisionnisme.
C’est bien sûr ce qui fonde le front unique syndical.
Ce front unique freine la révolution idéologique dans les usines : la campagne C.G.T./C.F.D.T. sur la retraite est une campagne commune-bidon.
Qu’on ne nous dise pas : la retraite à 60 ans c’est populaire.
C’est parfaitement exact : et même à 60 ans pour certaines catégories de producteurs c’est trop tard : ils seront usés à la tâche ou morts avant d’avoir la retraite.
C’est la campagne qui est bidon.
La seule chose que la C.F.D.T. peut faire c’est de lui apporter un supplément d’âme.
Par exemple lors de l’offensive des O.S. du Mans en 71 ou plus récemment chez les conducteurs de métro, la C.F.D.T. voulait lancer un mot d’ordre « unifiant pour généraliser la grève » : la retraite à 60 ans.
C’est plein de bonnes intentions, ça a le mérite de reconnaître indirectement qu’on n’arrachera pas cette revendication avec deux heures de grèves-bidon.
Mais l’inconvénient c’est que ça n’avait rien à voir avec les aspirations du moment ni des O.S. ni des conducteurs.
Bref, c’était une phrase en l’air.
Ce qui nous amène à analyser la pratique ambiguë de la C.F.D.T. Précisons bien que nous ne parlons pas des militants ou même de certains syndicats de base de la C.F.D.T. (De nombreux éléments de la gauche ouvrière sont entrés à la C.F.D.T. après mai 68.
Comme les syndicalistes prolétariens de la C.G.T., ils sont nos alliés naturels les plus proches).
Nous voulons parler de la pratique C.F.D.T. « orthodoxe ».
Elle est limitée par le front syndical commun (il y a un fondement commun aux deux syndicats : l’acceptation de la hiérarchie capitaliste).
Donc il y a des limites que la C.F.D.T. ne franchira pas.
Par exemple ; elle qui dit pourtant : « la démarche de l’autogestion c’est d’inverser les fondements du pouvoir, de l’autorité » (Maire) n’a jamais pris position en tant que Confédération pour la séquestration des patrons.
C’est pourtant la pierre de touche du « renversement de l’autorité ».
Pourtant à l’intérieur de ces limites, la C.F.D.T. pourra faire un petit bout de chemin : elle soutiendra en partie et pour un temps la séquestration sans le dire nettement, ou bien d’autres actions de contrôle ouvrier direct : un bris de cadences… par exemple.
Mais jamais, surtout après que la C.G.T.contre-attaque, elle ne revendiquera totalement la signification de ces actions.
Elle les « couvrira » comme des actions désespérées.
Dans le meilleur des cas.
En d’autres termes elle fait un pas en avant parce qu’il faut bien inverser les fondements de l’autorité pour « autogérer » ; deux pas en arrière parce qu’elle ne peut franchir la limite de la hiérarchie capitaliste.
Il est un intellectuel de gauche, M. Bosquet, qui a fait l’éloge de cette incohérence.
Assis dans un bureau, il a décidé de nommer cette incohérence contradiction féconde.
En gros, la CF.D.T. serait prête à être révolutionnaire, à s’abolir pour faire place aux comités de chaîne, aux organes de pouvoir élus et révocables par les masses ; donc la C.F.D.T. serait un svndicat-qui-tend-à-se-détruire-comme-syndicat.
Il faut avouer que la phrase de gauche devient sous la plume de Bosquet une phrase sublime.
On est tout émerveillé : on avait sans le savoir, à vrai dire, un syndicat antisyndicaliste et on n’est pas encore satisfait.
Comment Bosquet explique-t-il ce miracle ? La C.F.D.T. serait prête à donner tout le pouvoir aux ouvriers mais comme ce n’est possible qu’en situation prérévolutionnaire (du type 1917 en Russie) elle se réserve et se conserve pour ce grand jour.
Entre temps il faut bien un instrument de médiation entre ouvriers/patrons pour négocier l’épreuve de force, il faut bien un syndicat.
Mieux vaut que ce soit la C.F.D.T. qui nous promet, le jour J, de se détruire en tant que tel.
Conclusion : la C.F.D.T. a une pratique contradictoire mais c’est parce que la C.F.D.T. c’est une contradiction en acte.
Une contradiction parfaitement féconde pour la révolution.
[N.D.L.R. – Ces remarques visent un article de Michel Bosquet qui, dans le Nouvel Observateur du 24 janvier 1972, analysait comme suit à l’adresse de la C.F.D.T., les contradictions d’un syndicat qui voudrait se transformer en mouvement révolutionnaire de masse : « Dans les périodes creuses qui séparent les situations chaudes, le syndicat, par la force des choses, ne peut être qu’un organisme de négociation et de médiation, représentant les travailleurs auprès du patronat et de l’État.
Son intervention demeure alors centrale, quasi institutionnelle et bureaucratique, comme aux États-Unis et en Allemagne, par exemple, mais aussi en France.
Or le type de militants et de dirigeants « institutionnels » que produisent ces périodes creuses est totalement différent des militants et cadres de masse (en gros : « gauchistes ») capables d’exploiter à fond les situations « chaudes ».
« Inversement, pas plus que les groupes « gauchistes », les organes de démocratie directe et de pouvoir ouvrier (conseils, délégués de base révocables) ne peuvent être récupérés et formalisés par la structure syndicale : s’ils deviennent de nouvelles institutions (comme ce fut le cas, en Italie, l’année dernière), ils perdent aussitôt leur puissance de rupture et se vident de leurs meilleurs éléments.
Ces organes de « double pouvoir », autrement dit, ne peuvent exister que par éclipses, comme une négation vivante du pouvoir patronal, pour disparaître – jusqu’à la prochaine fois – si ce pouvoir n’a pas pu être vaincu pour de bon.
« En fin de compte, un syndicat qui, comme la C.F.D.T., se veut révolutionnaire, doit assumer deux fonctions contradictoires qu’il est impossible d’exercer simultanément.
D’une part, il doit avoir la permanence d’une institution reconnue, négociant des compromis et des accords avec le patronat et l’État, oeuvrant dans le cadre d’un système qu’il rejette et dont, dans la pratique, il lui faut cependant accepter les limites puisqu’il ne peut l’abattre.
D’autre part, il doit être prêt, dans les situations chaudes, à devenir autre chose qu’un syndicat, à savoir : un mouvement politique de masse, prêt à se liquider en tant qu’institution et appareil, prêt à donner la parole à la base, aux groupes de militants politisés et aux cadres de masse s’affirmant dans la lutte.
« II n’y a pas de solution à cette contradiction.
Il faut vivre avec elle, en acceptant une effervescence et des tensions permanentes, en considérant les conflits entre les groupes politisés et l’appareil comme un ferment utile.
Les dirigeants de la C.F.D.T. paraissent conscients que tel est bien leur destin.
Tout comme Pierre Carniti, leur homologue italien, ils semblent convaincus que « tant que le syndicat est obligé de mener des négociations de sommet, c’est pure illusion de croire que la bataille contre les tendances à la bureaucratisation pourra être gagnée une fois pour toutes ».]
Nous sommes obligés de revenir sur terre après ce magnifique voyage dans les cieux.
Où est le vice dans la démonstration ? dans la référence à la « situation pré-révolutionnaire ».
En effet c’est dès maintenant que les actes de contrôle ouvrier sont possibles et nécessaires.
Et il n’y a aucune raison pour que la négociation de l’épreuve de force soit confiée à des « instruments de médiation syndicaux ».
Un comité de chaîne ou un comité de grève peut négocier.
Il n’y a pas des moments « creux » où la négociation est laissée au syndicat et des moments forts (d’ailleurs un moment fort, le moment pré-insurrectionnel) où l’on fait du « contrôle ouvrier » et où l’on n’a plus besoin du syndicat.
Les actes de contrôle constituent la pratique constante et continue de la contestation et les organes élus par les ouvriers à travers cette pratique du « contrôle » peuvent parfaitement comme cela se fait tous les jours dans de nombreux ateliers négocier directement avec le patron.
Pour finir, nous reconnaissons l’utilité des contradictions de la C.F.D.T. En effet, bien exploitées, elles permettent de faire éclater le front syndical contre-révolutionnaire.
Nous disons donc : quand la C.F.D.T. fait un pas en avant dans la perspective du « renversement de l’autorité », nous la soutenons, en nous préparant aux deux pas en arrière qu’elle fera, quand la lutte de classe se radicalisera.
Quand elle est deux pas en arrière, au coude à coude avec la police C.G.T., il n’y a plus d’unité possible.
V .- LE COMITÉ DE LUTTE, LE COMITÉ DE CHAÎNE
La critique du syndicalisme va nous permettre de présenter de manière synthétique et concise les principes du comité de lutte.
En effet critiquer la ligne erronée c’est dégager la ligne juste.
Il suffit de présenter explicitement ce qui était parfois implicite dans la critique du syndicalisme.
I. Le comité de lutte ne fait pas de « politique », dans le sens où l’entendent partis et syndicats, vise à conquérir l’unité de classe des ouvriers sur la base de l’atelier, quelles que soient « les opinions politiques ».
Nous affirmons que la conquête de l’unité de classe, donc la lutte contre la hiérarchie despotique dans l’atelier est POLITIQUE dans un sens nouveau.
Elle vise à renverser le pouvoir dans l’atelier.
Cette lutte d’atelier prépare donc l’élargissement de la lutte dans la cité pour que s’édifie un pouvoir populaire.
C’est dans l’atelier, par la lutte antihiérarchique antidespotique, que la masse ouvrière commence la lutte pour un pouvoir populaire.
La politique ne va pas venir du dehors à la masse ouvrière.
Elle s’élabore à partir de l’intelligence collective des ouvriers dans l’atelier puis elle sort de la sphère ouvrier/patron, elle s’élargit à l’échelle de la cité.
H est parfaitement vrai comme le disait Lénine que pour accéder à une conscience politique de classe il faut sortir de la sphère ouvrier/patron.
Mais c’est une masse ouvrière rendue consciente par la lutte dans l’atelier, lutte collectiviste, lutte visant à renverser le pouvoir dans l’atelier, qui sort de la sphère ouvrier/patron.
Ce ne sont pas les intellectuels qui viennent apporter la conscience politique à la masse ouvrière.
Les intellectuels peuvent aider à élargir le point de vue de la masse des ouvriers rendue d’abord consciente POLITIQUEMENT par les luttes de contestation.
Par exemple un intellectuel qui vient à la porte de l’usine pour discuter avec les ouvriers et se mettre à leur école, ça élargit le point de vue politique des ouvriers, puisque ça apporte une démonstration pratique que l’antique division travail manuel/travail intellectuel peut disparaître.
Donc la politique, c’est-à-dire la lutte pour le pouvoir, la politique révolutionnaire, c’est-à-dire la lutte pour une société collectiviste, cela commence dans la contestation d’atelier [Débarrassons-nous une fois pour toutes de l’hypothèque de Que faire ?, grand ouvrage marxiste de Lénine, manipulé par des petits professeurs marxistes en vue de dénaturer le marxisme.
La thèse centrale de Lénine dans cet ouvrage, c’est : «La conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, de l’extérieur de la lutte économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons.»
Cette thèse est juste : tant que l’ouvrier n’est pas sorti de la sphère étroite ouvrier/patron, il n’a pas une conscience politique de classe qui le rende donc conscient de son devoir d’abattre le pouvoir bourgeois central.
Mais dans la première partie de cet ouvrage Lénine emprunte une thèse philosophique à l’opportuniste allemand Kautsky qui semble fonder la thèse précédente : « Le porteur de la science n’est pas le prolétariat mais les intellectuels bourgeois… La conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat et non quelque chose qui en surgit spontanément.»
Cette thèse est fausse, dépassée par le marxisme, démentie par la vie.
En effet, elle « éternise » la division travail manuel/travail intellectuel.
Lénine, dans la pratique, l’a en partie réfutée.
La réfutation complète a été rendue possible par l’expérience ultérieure, en particulier l’expérience soviétique du principe « tout le pouvoir aux experts » qui fut un des grands principes de la dégénérescence de l’expérience soviétique.
Mao Tsé-Toung a fait le bilan de cette expérience.
Il n’est plus question d’accepter la thèse : « Le porteur de la science c’est l’intellectuel bourgeois.
» Ce n’est pas l’intellectuel bourgeois qui importe la conscience politique dans une masse ouvrière dont la conscience serait spontanément fausse].
II. Le comité de lutte peut être au départ une forme de regroupement des ouvriers révoltés, antisyndicalistes mais son objectif n’est pas de se former en petit syndicat antisyndicaliste ; son objectif c’est d’encourager la formation de comités de chaîne et de comités d’atelier ; c’est-à-dire d’une organisation démocratique de masse d’action directe.
Le comité de chaîne s’appuie sur l’unité de classe élémentaire (tous les ouvriers d’une chaîne moins le mouchard sauf s’il accepte d’être rééduqué), il est élu directement par l’assemblée de chaîne et révocable par elle.
Son rôle est d’impulser la pratique du contrôle ouvrier continu sur la chaîne.
III. La pratique du contrôle continu c’est la lutte contre la hiérarchie capitaliste, c’est la pratique du renversement de pouvoir, c’est imposer ce qui est juste pour l’ouvrier contre ce qui est légal pour le patron mais oppressif [Précisons, pour qu’il n’y ait pas de malentendu : nous n’hésitons pas quand il le faut à utiliser la loi bourgeoise contre la loi patronale.
Par exemple, l’acte de justice des mineurs marocains, c’est de réclamer la « liberté du travail », l’application de la loi : on veut une carte de travail].
Un acte de contrôle ouvrier c’est un acte de justice à force ouverte.
Il brise en un point la hiérarchie capitaliste ; il libère l’unité de classe et l’idéologie collectiviste : c’est un acte de justice.
Mais comme il brise, comme il affronte l’appareil répressif c’est un acte de justice à force ouverte.
On reconnaît bien un acte de contrôle ouvrier au petit air de renversement des rôles qu’il a.
Voici quelques exemples mentionnés par ordre d’importance.
(On trouvera dans le texte suivant l’analyse de plusieurs d’entre eux.)
– On a raison de licencier le patron (qui veut licencier les ouvriers) : Richard Continental, filiale de Renault à Villeurbanne.
Le patron est chassé et interdit de séjour dans l’usine pendant plusieurs jours.
– On a raison de séquestrer les patrons.
Exemples désormais par centaines.
– On a raison de tourner sur les postes dans une chaîne, afin d’éliminer les différences de paie, les différences dans le travail qui divisent, et les postes de mouchards.
Exemple (mais il y en a d’autres) : 5ème étage peinture de l’Ile Seguin.
– On a raison de chronométrer nous-mêmes le rythme de la chaîne pour s’opposer à la « cadence théorique instantanée ».
1er étage mécanique de l’Ile Seguin.
– On a raison de mettre un chef à la chaîne pour lui faire comprendre ; rez-de-chaussée mécanique de l’Ile Seguin.
– On a raison de reprendre son poste de travail quand on a été licencié arbitrairement (exemples fréquents à Renault ou exemple de Saint-Nazaire).
– On a raison de juger les chefs (exemple d’actions antichefs).
Les exemples tirés de Renault seront étudiés dans le rapport d’enquête qui suit.
Nous avons simplement voulu les énumérer, pour donner une image claire de la pratique du contrôle.
On peut d’ailleurs dans certains cas élargir la pratique du contrôle et abolir la séparation entre l’usine et la population : c’est l’exemple des délégations qui sont entrées dans la Régie pour contrôler au nom des citoyens ce qui se passait dans une entreprise nationale.
Ce n’est pas la veille du petit matin du grand soir que les ouvriers commenceront à contrôler le travail.
C’est dès main-tenant.
L’union des comités de lutte d’atelier constitue l’instrument de cette pratique continue de la contestation.
La nouvelle démocratie que nous voulons conquérir dans la société, la société libérée de l’organisation capitaliste hiérarchique que nous voulons, il faut savoir qu’elle prend sa source dans ces actes de contrôle ouvrier, dans ces actes de justice à force ouverte, dans ces premiers comités de chaîne ou d’atelier encore embryonnaires qui sont comme les premières lueurs dans la France d’aujourd’hui soumise au règne de la racaille.