La langue française est largement marquée par la prévalence de l’écrit, au sens où savoir bien parler, c’est avant tout savoir bien écrire. Cela tient au cadrage de la langue par la monarchie, depuis François Ier jusqu’à Louis XIV, à travers les poètes de la Pléiade à l’origine, puis les auteurs classiques.
La comédie de Molière est une exception, mais elle confirme la règle au sens où son niveau de langage se veut ouvertement un raccourci, une ébauche, une facilité. La comédie assume depuis cette légèreté dans le langage, au point même d’encore plus forcer le trait.
Celui qui a tenté de modifier cet état de fait, ce fut Victor Hugo, mais son théâtre n’a eu qu’un succès d’estime pour des raisons politiques et les propos des personnages sont un mélange de langage parlé et de discours littéraire en modèle réduit, Victor Hugo cherchant à s’en sortir au moyen de traits forcés masqués derrière la rencontre du « grotesque » et du « sublime ».
Celui qui a réussi à modifier cet état de fait, c’est Paul Verlaine. En profitant d’une lecture véritablement dialectique de la sensibilité et de son rapport avec la nature, Paul Verlaine a réussi à formuler une démarche synthétique pour exprimer oralement le français, tout en maintenant un haut niveau de complexité.
Il faut bien saisir ici le paradoxe. Tout d’abord, il y a le fait que Paul Verlaine a théorisé ce « compactage » dans la formulation, en appelant cela la « musicalité », que cela est largement connu, mais que son impact sur la culture française n’a pas été reconnu en tant que tel.
Ensuite, il y a le fait que Paul Verlaine a cru que c’était Arthur Rimbaud qui avait réussi à révolutionner l’expression française. Lui-même dans un processus de transformation, il a cru voir en Rimbaud ce que lui-même avait entrepris.
Enfin, il y a le fait que Paul Verlaine ne fut pas à la hauteur de sa démarche et sombra entièrement dans la décadence. La quasi totalité de son œuvre consiste en des déchets, alors que sa vie fut un mélange de perversions, d’alcoolisme et de violences sordides, de comportements anti-sociaux, ponctués d’une crise mystique ultra-catholique.
Les paroles d’Edmond de Goncourt écrites dans son journal sont ici tout à fait juste :
« Malédiction sur ce Verlaine, sur ce soûlard, sur ce pédéraste, sur cet assassin, sur ce couard traversé de temps en temps par des peurs de l’enfer qui le font chier dans ses culottes, malédiction sur ce grand pervertisseur qui, par son talent, a fait école, dans la jeunesse lettrée, de tous les mauvais appétits, de tous les goûts antinaturels, de tout ce qui est dégoût et horreur! »
Cela est d’autant plus vrai que Paul Verlaine a sciemment choisi cette destruction, gage selon lui d’une sorte de transcendance. C’était une fuite en avant, pour compenser l’incapacité à trouver une perspective.
Le paradoxe est donc qu’une partie infime de l’œuvre de Paul Verlaine réussit le saut qualitatif dont la langue française avait besoin, sans que Paul Verlaine ne l’ait compris.
Ce paradoxe s’explique par deux aspects, eux-mêmes en liaison dialectique.
Tout d’abord, il fallait un écrivain connaissant ses classiques pour être capable de refléter l’évolution propre à la langue française. Paul Verlaine a été le lieu de passage d’une tendance historique, il se situe dans la tradition du Parnasse, extrêmement civilisée, éduquée, maniérée, etc.
Ensuite, il y avait une contradiction fondamentale entre Paul Verlaine voulant en dire qualitativement plus et l’exigence historique de la langue française qui exigeait qu’on en dise moins, au sens où l’on feutre la passion pour la conter de manière assouplie.
On doit ici penser à Racine, où dans les pièces les passions sont immenses, mais contées avec distance, pour ne pas dire maîtrise ; même les figures dépassées par les passions ont un regard extérieur, étant comme coupées en deux moralement, spirituellement.
Paul Verlaine a alors combiné ces deux aspects. Il a cherché à en dire moins, de manière feutrée, mais en plaçant de l’intensité de par la structure musicale, la tournure générale du poème. Cela reflète une évolution, qui fait que la langue française, de par l’évolution historique et de par l’importance agrandie de l’oralité (non dialectale, non argotique, etc.), a eu comme point de fixation le bon mot.
Cela est évidemment tout à fait logique puisque le peuple est précis et que l’élévation de son niveau culturel l’amène à avoir une expression plus grande, plus approfondie.
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