Si l’on prend les poèmes traditionnels, Paul Verlaine n’a aucun intérêt. C’est un auteur relevant du Parnasse, cherchant un esthétisme raffiné et orientalisant au moyen d’un langage à la fois concis et pittoresque. Il suffit citer le poème Vœu qu’on trouve dans les Poèmes saturniens, son premier recueil, datant de 1866.
Ah ! les oarystis ! les premières maîtresses !
L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs,
Et puis, parmi l’odeur des corps jeunes et chers,
La spontanéité craintive des caresses !
Verlaine ne se départira jamais de cette quête élitiste de la tournure raffinée, de la poésie comme forme la plus haute, etc. Voici un exemple avec un poème, toujours des Poèmes saturniens, somme toute très réussi du point de vue du formalisme,
C’est encore et toujours du Parnasse, avec une volonté d’esthétisation extrêmement marquée, ainsi qu’une fluidité très forcée même si on a déjà une tournure mélodique. La tension nerveuse est omniprésente, mais esthétisée.
CRÉPUSCULE DU SOIR MYSTIQUE
Le Souvenir avec le Crépuscule
Rougeoie et tremble à l’ardent horizon
De l’Espérance en flamme qui recule
Et s’agrandit ainsi qu’une cloison
Mystérieuse où mainte floraison
— Dahlia, lys, tulipe et renoncule —
S’élance autour d’un treillis, et circule
Parmi la maladive exhalaison
De parfums lourds et chauds, dont le poison
— Dahlia, lys, tulipe et renoncule —
Noyant mes sens, mon âme et ma raison,
Mêle, dans une immense pâmoison,
Le Souvenir avec le Crépuscule.
Il faut bien voir le rôle idéologique du Parnasse. Ce mouvement était ouvertement reconnu par les institutions étatiques, il était officiellement le style littéraire considéré comme correspondant à la France, à la République.
C’était vraiment un moyen de précipiter les couches intellectuelles littéraires dans le formalisme le plus complet. Paul Verlaine n’échappe pas à cela et son œuvre va s’enliser en général dans cette approche, avec bien souvent pour se débrider des facilités outrancières, la vulgarité, etc.
Il y a toutefois des moments où la nervosité entraîne une rupture. Cela n’est vrai que pour très peu de poèmes, une poignée simplement. Ils ont la particularité de rompre dans la forme avec les autres.
Dans le premier recueil, les Poèmes saturniens, on retrouve donc des poèmes reflétant une fluidification propre à l’utilisation plus générale d’une langue soutenue parmi les masses, sans fioritures pour autant.
Dans la série dénommée Eaux-fortes,dédiée à François Coppée, une figure du Parnasse, les poèmes sont dans l’esprit du Parnasse, à ceci près qu’il y a chez eux tous les traits d’une chanson, leur forme assumant ouvertement un côté balancé, une volonté de retourner sur les mots, sur les sons.
Le premier de la série n’est pas en soi de très haute qualité, mais on y trouve déjà des éléments précis, ou plus précisément pointus ; on a d’ailleurs le mot. On a également la ville, comme obsession.
CROQUIS PARISIEN
La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.
Des bouts de fumée en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.
Le ciel était gris, la bise pleurait
Ainsi qu’un basson.
Au loin, un matou frileux et discret
Miaulait d’étrange et grêle façon.
Moi, j’allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l’œil clignotant des bleus becs de gaz.
Le troisième poème est véritablement flagrant de cette démarche musicale et minimaliste de Paul Verlaine.
MARINE
L’Océan sonore
Palpite sous l’œil
De la lune en deuil
Et palpite encore,
Tandis qu’un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D’un long zigzag clair,
Et que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des récifs,
Va, vient, luit et clame,
Et qu’au firmament,
Où l’ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.
Le souci est bien entendu qu’on est ici dans le Parnasse, dans l’art pour l’art. Ce que raconte Marine n’a pas vraiment de sens, c’est une description esthétisante de l’océan à un moment donné. On a pourtant déjà clairement le principe d’un certain « compactage » et il va suffire qu’il se tourne vers la nature pour que cela aboutisse à un saut qualitatif.
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