La tentative bourgeoise de construire sa propre République et de supprimer les forces bolchéviks avait échoué. Sous la direction de Lénine, les bolchéviks avaient démasqué le régime et possédaient la majorité dans les Soviets des députés ouvriers et soldats de Moscou et Saint-Pétersbourg.
Lénine rentra d’exil en Finlande pour participer à la réunion du Comité Central, qui prit une résolution historique :
« Le Comité central reconnaît que la situation internationale de la révolution russe (insurrection dans la flotte allemande comme manifestation extrême de la croissance, dans toute l’Europe, de la révolution socialiste mondiale ; menace du monde impérialiste d’étrangler la révolution russe), ainsi que la situation militaire (décision indéniable de la bourgeoisie russe et de Kérenski et consorts, de livrer Pétrograd aux Allemands), de même que la conquête de la majorité dans les Soviets par le Parti du prolétariat, – tout cela joint au soulèvement paysan et au revirement de confiance populaire en faveur de notre Parti (élections de Moscou) ; enfin, la préparation manifeste d’une deuxième aventure Kornilov (retrait des troupes de Pétrograd, transport de cosaques sur cette ville, encerclement de Minsk par les cosaques, etc.), – tous ces faits mettent à l’ordre du jour l’insurrection armée.
Reconnaissant ainsi que l’insurrection armée est inévitable et arrivée à pleine maturité, le Comité central invite toutes les organisations du Parti à s’inspirer de ce fait et à examiner et résoudre de ce point de vue toutes les questions pratiques (congrès des Soviets de la région du Nord, retrait des troupes de Pétrograd, actions de Moscou et de Minsk, etc.). »
Cette décision eut des opposants : Kaménev et Zinoviev étaient contre, Trotsky qui venait de rejoindre le Parti entendait repousser l’insurrection. Mais le plan se déroula à merveille : la Garde rouge et les troupes révolutionnaires occupèrent les gares, la poste, le télégraphe, les ministères, la banque d’Etat, alors qu’était pris le Palais d’Hiver à Saint-Pétersbourg, siège du gouvernement provisoire.
Dans la foulée, le IIe congrès des Soviets qui s’ouvrait adopta le décret sur la paix, appelant à l’armistice pour la signature d’un traité de paix (qui sera réalisé en mars 1918 avec le traité de Brest-Litovsk) et d’un décret sur la terre, en vertu duquel le « droit de propriété des grands propriétaires fonciers sur la terre était aboli immédiatement, sans aucune indemnité ».
Un peu plus d’un an après, pratiquement 97% des terres sont cultivés par des petits paysans, le reste l’étant dans des coopératives ou des fermes d’État,
La paix d’un côté, et de l’autre la remise des terres des grands propriétaires fonciers, des apanages et des couvents aux paysans : les bolchéviks donnaient ses premières assises au nouveau régime celui des Soviets, avec un gouvernement organisé par le IIe congrès des Soviets de Russie comme « Conseil des commissaires du peuple », avec Lénine comme président du Conseil.
C’est donc ce sovnarkom – le Conseil des Commissaires du Peuple – qui dirige le pays, comme gouvernement, avec uniquement des bolchéviks. Il dépend du Comité Central exécutif panrusse des Soviets, qui est alors élu dans un deuxième congrès des Soviets ouvriers et militaires ; sont nommés 62 bolcheviks, 29 Socialistes-révolutionnaires de gauche (ceux de droite boycottant l’élection en protestation contre l’insurrection) et 10 socialistes. Par la suite, le comité intègre des délégués paysans, des délégués de l’armée et de la flotte, ainsi que des délégués syndicaux.
Ce nouveau cadre donne naissance, en juillet 1918, à la République Socialiste Fédérale des Soviets de Russie.
Cette victoire avait été facile et les bolchéviks en avaient conscience. Voici comment le Précis d’histoire du PCUS(b) caractérise cette situation ayant permis le triomphe très rapide de la révolution socialiste en Russie :
« Parmi les raisons qui ont déterminé cette victoire relativement facile de la Révolution socialiste en Russie, voici les principales :
1° La Révolution d’Octobre avait en face d’elle cet ennemi relativement faible, mal organisé, peu expérimenté en politique qu’était la bourgeoisie russe.
Parce qu’elle manquait encore de force économique et qu’elle dépendait entièrement des commandes du gouvernement, la bourgeoisie russe n’avait ni l’indépendance politique, ni l’initiative suffisante pour trouver une issue à la situation. Elle n’avait pas l’expérience des combinaisons et des mystifications politiques d’envergure que possède, par exemple, la bourgeoisie française ; elle n’avait pas non plus été à l’école des compromissions malhonnêtes de grand style, qui est celle, par exemple, de la bourgeoisie anglaise.
En quête, hier encore, d’une entente avec le tsar renversé par la révolution de Février, elle n’avait rien su trouver de mieux, une fois au pouvoir, que de continuer dans ses grandes lignes la politique du tsar exécré. Tout comme le tsar, elle était pour « la guerre jusqu’au bout », bien que la guerre fut devenue une charge insupportable pour le pays et eût totalement épuisé le peuple et l’armée.
Tout comme le tsar, elle était pour le maintien, dans les grandes lignes, de la propriété seigneuriale de la terre, malgré la disette de terre et le joug des propriétaires fonciers dont se mourait la paysannerie. En ce qui concerne la politique à l’égard de la classe ouvrière, la bourgeoisie russe, dans sa haine des ouvriers, surpassait le tsar, puisqu’elle s’appliquait, non seulement à maintenir et à renforcer l’oppression des usiniers et des fabricants, mais encore à la rendre intolérable par l’application de lock-outs massifs.
Rien d’étonnant que le peuple n’ait point vu de distinction substantielle entre la politique du tsar et celle de la bourgeoisie et qu’il ait reporté sa haine du tsar sur le Gouvernement provisoire de la bourgeoisie.
Tant que les partis de conciliation, socialiste-révolutionnaire et menchévik, exercèrent quelque influence sur le peuple, la bourgeoisie put se retrancher derrière eux et conserver le pouvoir. Mais du jour où les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires se furent démasqués comme agents de la bourgeoisie impérialiste, perdant du même coup leur influence sur le peuple, la bourgeoisie et son Gouvernement provisoire restèrent sans appui.
2° A la tête de la Révolution d’Octobre se trouvait cette classe révolutionnaire qu’est la classe ouvrière de Russie, classe trempée dans les combats, qui avait traversé en un court laps de temps deux révolutions, et qui, à la veille de la troisième, avait acquis l’autorité de chef du peuple dans la lutte pour la paix, la terre, la liberté, le socialisme.
Sans ce chef de la révolution, jouissant de la confiance du peuple, qu’était la classe ouvrière de Russie, il n’y aurait pas eu d’alliance des ouvriers et des paysans : et sans cette alliance, la Révolution d’octobre n’aurait pas pu vaincre.
3° La classe ouvrière de Russie avait, dans la révolution, ce sérieux allié qu’était la paysannerie pauvre formant l’immense majorité de la population paysanne.
L’expérience des huit mois de révolution, que l’on peut sans hésiter assimiler à l’expérience de plusieurs dizaines d’années de développement « normal », n’avait pas été perdue pour les masses laborieuses de la paysannerie.
Durant ce temps, elles avaient pu juger à l’œuvre tous les partis de Russie et se rendre compte que ni les cadets, ni les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks n’entendaient se brouiller sérieusement avec les grands propriétaires fonciers et verser leur sang pour les paysans ; qu’il n’y avait qu’un seul parti en Russie qui ne fut point lié aux grands propriétaires fonciers, et qui fut prêt à les écraser pour satisfaire aux besoins des paysans : le Parti bolchévik.
Et ce fut là la base réelle de l’alliance du prolétariat et de la paysannerie pauvre. Cette alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre déterminera aussi la conduite des paysans moyens qui hésiteront longtemps et qui, à la veille seulement de l’insurrection d’Octobre, se tourneront franchement vers la révolution, en s’unissant à la paysannerie pauvre. Inutile de démontrer que sans cette alliance, la Révolution d’Octobre n’aurait pas pu vaincre.
4° À la tête de la classe ouvrière se trouvait ce parti rompu à la lutte politique qu’est le Parti bolchévik. Seul un parti comme le Parti bolchévik, suffisamment hardi pour mener le peuple à l’assaut décisif et suffisamment circonspect pour éviter les écueils de tout genre sur le chemin du succès, seul un tel parti pouvait fondre de façon aussi judicieuse, en un seul flot révolutionnaire, des mouvements révolutionnaires aussi divers qu’étaient le mouvement démocratique général pour la paix, le mouvement démocratique paysan pour la mainmise sur les terres seigneuriales, le mouvement de libération nationale des peuples opprimés en lutte pour l’égalité nationale et le mouvement socialiste du prolétariat pour le renversement de la bourgeoisie, pour l’instauration de la dictature du prolétariat.
Il est évident que c’est la fusion de ces divers courants révolutionnaires en un flot révolutionnaire unique et puissant qui a décidé du sort du capitalisme en Russie.
5° La Révolution d’Octobre a commencé à un moment où la guerre impérialiste battait encore son plein ; où les principaux Etats bourgeois étaient divisés en deux camps ennemis, où, occupés à se faire la guerre et à s’affaiblir les uns les autres, ils ne pouvaient sérieusement s’ingérer dans les « affaires russes » et se dresser activement contre la Révolution d’Octobre.
Il est évident que cette circonstance a grandement facilité la victoire de la Révolution socialiste d’Octobre. »
Par la suite, les bolchéviks tinrent leur VIIe congrès, faisant en sorte que leur parti s’intitule désormais Parti Communiste (bolchévik) de Russie. Avec 270 000 personnes dans ses rangs, il était prêt à diriger le pays.