Le coup d’État d’août 1936 porta un coup terrible au KKE : 1 000 membres furent arrêtés, les archives du bureau politique furent découvertes par les services secrets et l’organisation clandestine démantelée, alors que 150 membres furent encore arrêtés en 1938.
A la fin novembre 1939, l’ensemble du Comité Central de 1935 était en prison. Le régime pratiqua l’isolement et la torture, encourageant à des formes ouvertes de repentir, avec publications dans la presse, etc. Il mit même en place une fausse organisation du KKE se posant comme « direction provisoire » afin de saboter la reconstitution organisationnelle illégale du KKE.
Ce dernier resta donc faible, avec environ 200 activistes en 1940, alors qu’au même moment il avait 2000 de ses membres dans les prisons ou placés en exil dans des îles par le régime.
L’offensive italienne contre la Grèce changea entièrement la donne.
L’indépendance de la Grèce même étant menacée, il y avait une marge de manœuvre et Níkos Zachariádis en profita, avec une lettre ouverte au peuple grec, le 31 octobre 1940, qui fut publiée par la presse quotidienne d’Athènes le 2 novembre.
L’aspect principal était l’agression de l’Italie fasciste, il fallait par conséquent l’unité nationale. Voici le contenu de la lettre :
« Le fascisme de Mussolini a de manière meurtrière et impudente planté un couteau dans le dos de la Grèce afin de la soumettre et de la mettre en esclavage.
Aujourd’hui, tous les Grecs luttent pour la liberté, pour l’honneur, pour notre indépendance nationale.
La lutte va être très difficile et très dure. Mais une nation qui veut vivre doit combattre, méprisant les dangers et les sacrifices.
Le peuple de Grèce mène aujourd’hui une guerre de libération nationale contre le fascisme de Mussolini.
Aux côtés du front, chaque pierre, chaque ravin, chaque village, maison villageoise par maison villageoise, chaque ville, doit devenir une forteresse de la lutte de libération nationale.
Chaque agent du fascisme doit être détruit sans pitié. Nous devons donner toute notre force, sans réserve, dans cette guerre dirigée par le gouvernement Metaxás.
La récompense et le couronnement pour le peuple travailleur dans la guerre présente devra être et sera une nouvelle Grèce du travail, de la liberté, libérée de toute dépendance impérialiste étrangère. Avec une véritable culture populaire.
Tout pour la lutte, chacun à sa place et la victoire sera la victoire de la Grèce et de son peuple. Les ouvriers du monde entier sont à nos côtés.
Athènes, le 31 octobre 1940
Níkos Zachariádis, secrétaire du Comité Central du KKE »
Ce positionnement tablait sur le fait que le mouvement d’opposition à l’invasion portait en lui, nécessairement, un aspect démocratique qui pourrait triompher et qui était incontournable. La situation permettait de faire reculer Ioánnis Metaxás, obligé de reconnaître le KKE au moins partiellement par l’acceptation de la parution de la lettre ouverte au peuple grec, ainsi que de relancer le processus révolutionnaire.
C’était un coup de maître, incompris par une partie de la base du KKE, qui fut alors paralysée pour un temps. Mais le plan stratégique était posé : Níkos Zachariádis avait bien synthétisé la situation et sa pensée correspondait aux exigences de l’époque.
Initialement, la Grèce fut en mesure de battre l’Italie en 1940, réduisant en poussière les prétentions de Benito Mussolini. L’armée grecque repoussa l’armée italienne qui avait attaqué par l’Albanie jusqu’à soixante kilomètres au-delà de la frontière ; pendant seize mois, 27 divisions italiennes bien mieux équipées furent mises en échec par 16 divisions grecques.
Toutefois, comme Níkos Zachariádis le constata dans deux autres lettres ouvertes qui ne furent pas publiées en raison de la censure, ainsi que dans une longue lettre au KKE, l’armée grecque avait un esprit offensif qui en réalité servait les intérêts anglais et était en décalage total avec les intérêts grecs.
La conséquence de cette situation trop périlleuse pour l’Italie fut d’ailleurs que les troupes allemandes vinrent à la rescousse en 1941 à partir du 6 avril 1941 ; le 27 avril, elles occupaient déjà Athènes. Le gouvernement royaliste s’enfuit en Crète, puis au Caire ; le pays fut découpé en morceaux par l’Italie fasciste, l’Allemagne nazie et son allié bulgare.
L’Allemagne nazie contrôlait Athènes, Thessalonique et tout l’arrière-pays, ainsi qu’une partie de la Crète et de nombreuses îles. La Bulgarie annexa la Macédoine et la Thrace occidentale, perdus lors de la guerre balkanique de 1913. Tout le reste du pays était occupé par l’Italie.
Pendant le court laps de temps où la confusion prédominait, une partie des prisonniers politiques put s’enfuir et le KKE se réorganisa, ce qui passa par la mise au pas de directions parallèles et la republication, clandestinement, de l’organe du Parti, Rizospastis (Ριζοσπάστης, Le Radical).
Quant à la ligne, elle fut immédiatement celle de Níkos Zachariádis, c’est-à-dire la guerre antifasciste de libération nationale. Ce fut toutefois Georgios Siantos qui devint le grand dirigeant du KKE, Níkos Zachariádis ayant été envoyé au camp de concentration de Dachau par l’Allemagne nazie.
L’une des premières étapes du succès fut, dès 1941, l’unification des forces syndicales au sein de l’EEAM (Εργατικό Εθνικό Απελευθερωτικό Μέτωπο, Front Ouvrier de Libération Nationale), dont le dirigeant fut un cadre du KKE.
L’EEAM se donnait comme tâches la défense des revendications économiques quotidiennes, des droits syndicaux, le soutien au mouvement de libération nationale et le rassemblement de toutes les forces de gauche dans la perspective de l’établissement d’un programme commun une fois la libération obtenue.
C’était là une ligne tout à fait conforme au principe de Front populaire, aboutissant à une démocratie populaire.
Dans la foulée, le KKE appela à la formation de l’EAM (Εθνικό Απελευθερωτικό Μέτωπο – Front de libération nationale), ce qui se réalisa le 27 septembre 1941 avec, aux côtés du KKE, le Parti Socialiste de Grèce, l’Union Socialiste pour la Démocratie populaire, le Parti Agraire.