À partir de 1952 et du XIXe congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, il y a de profondes modifications dans l’organisation sociale de l’URSS, avec une approche tournée vers l’économisme, ce qui contribuera au renversement radical que reflétera le XXe congrès en 1956.
L’impact dans les démocraties populaires de l’Europe de l’Est fut aussi important. Les fractions droitières éliminées au début des années 1950 furent réhabilitées, le libéralisme économique s’imposa, la bureaucratisation administrative se généralisa. Dans la plupart des pays, une bureaucratie soumise à l’URSS accompagnait une gestion économique où les entreprises étaient toujours plus autonomes, le « plan » toujours plus indicatif.
Il est cependant quatre pays où ce processus ne pouvait se dérouler aussi simplement. En Yougoslavie, il n’eut pas lieu, car il avait déjà eu lieu dès le début des années 1950, amenant la dénonciation de ce pays par l’URSS de Staline et les démocraties populaires.
En Albanie, il n’eut pas lieu non plus, car le pays avait manqué de se faire phagocyter par la Yougoslavie. Comme la nouvelle ligne aboutissait à la normalisation des rapports du bloc de l’Est avec la Yougoslavie, l’Albanie rua dans les brancards, car elle craignait une nouvelle offensive yougoslave à ses dépens.
En Roumanie, le processus n’eut pas lieu non plus, pour des mêmes raisons nationalistes, non pas défensives comme en Albanie, mais offensives. Ici, les forces nationalistes avaient tellement le dessus, au point que l’idéologie officielle était pétrie dans un ultra-nationalisme « socialisant ».
Cependant, cela ne dérangeait pas l’URSS : la Yougoslavie était de toute façons à l’écart, l’Albanie ne comptait guère, la Roumanie pouvait faire ce qu’elle voulait du moment qu’elle restait dans le giron du bloc de l’Est.
La Tchécoslovaquie posait un problème tout autre. C’était le seul pays, avec l’Allemagne de l’Est, à avoir été capitaliste avant 1945. Mais contrairement à en Allemagne, la bourgeoisie s’était élancée d’une manière résolument moderne et libérale. Son idéologie était tout à fait développée, de haut niveau, rompue à toutes épreuves.
Aussi, le libéralisme économique d’après 1956 s’accompagne inévitablement d’un renouveau des valeurs libérales politiques. Cela était d’autant plus vrai que l’émergence d’une couche intellectuelle slovaque – qui n’existait pas dans un pays totalement arriéré avant 1918 – avait donné naissance à un nationalisme slovaque virulent.
La Tchécoslovaquie, le plus développé des pays de l’Est européen, n’hésita donc pas à suivre son propre chemin, systématisant les décrochages libéraux. Tant que cela était économique, cela ne dérangeait pas le bloc de l’Est. Mais comme il y avait une dimension politique en découlant, l’URSS s’inquiétait de l’émergence d’une nouvelle Yougoslavie « autonome », alors que la RDA et la Pologne appréhendaient de manière violente une ouverture de la Tchécoslovaquie envers l’Allemagne de l’Ouest.
La Roumanie et la Yougoslavie, quant à elles, appuyaient le processus de toutes leurs forces, ce qui fut même vrai en partie de la Hongrie et de la Bulgarie, ces deux pays cédant finalement au rappel à l’ordre soviétique.
Ainsi, au milieu de l’année 1968, on est dans un contexte où l’on risque non seulement un effondrement du bloc de l’Est, mais même un affrontement armé généralisé, avec d’un côté l’URSS, la Pologne et la RDA, de l’autre la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Yougoslavie, voire même l’Albanie, la Hongrie, la Bulgarie.