La Confédération Générale du Travail n’est à ses yeux pas qu’un syndicat ; en raison des Bourses du travail, elle se considère comme le laboratoire de la société future. Le paradoxe est pourtant que ce sont les municipalités qui fournissent les bâtiments et que ces Bourses accompagnent l’évolution du capitalisme, puisqu’elles sont formées là où une industrie puissante se développe.
Les Bourses du travail apparaissent ici comme des tampons produits par le capitalisme lui-même au moyen de la bourgeoisie la plus avancée, soucieuse d’encadrement. La conception même d’une Bourse du travail fut d’ailleurs élaborée principalement par Gustave de Molinari (1819-1912), un économiste belge d’orientation libérale cherchant à mettre en place un lieu de rencontre de l’offre et de la demande d’emploi.
Il fondit à cette occasion le journal Bourse du travail en 1857. Les socialistes français, d’orientation proudhoniste, fédéraliste, anarchiste, n’ont fait que reprendre le principe pour le détourner dans un sens corporatiste-revendicatif. Aristide Briand, figure à l’origine des Bourses du travail, deviendra ensuite l’une des plus grandes figures du réformisme et proposera justement le principe du contrat collectif supervisé par les syndicats.
Qui plus est, la CGT bascula justement dans le réformisme sous la pression de la cessation des subventions municipales aux Bourses du travail (Dijon et Limoges en 1906, Agen, Châlon sur Marne, Châteauroux, Lons-le-Saunier, Issoudun, La Pallice, Marmande, Villeneuve-sur-Lot, Nancy, Périgueux en 1907, Calais en 1908, Lorient, Saint-Malo, Saint-Nazaire en 1909), voire de leur fermeture (Brest, Caen et Oran en 1906).
On a ainsi une installation réformiste-sociale avec l’idée d’un lieu de rencontre pour les embauches, ensuite une phase d’occupation contestataire dans un esprit anarchiste, puis finalement une remise à zéro des compteurs, le « réalisme » l’emportant.
C’est cette dynamique qui fait que la CGT a, jusqu’en 1914, deux tendances principales en son sein : les partisans de l’anarchisme et les réformistes. C’est d’autant plus vrai que le taux de syndicalisation est terriblement faible en France et que les ressources matérielles dépendent de la quête d’un rapport constructif avec les municipalités finançant les Bourses du travail.
Pire encore sur le plan des moyens et de l’ampleur, à sa fondation, la CGT n’a initialement pas comme membre ni la Fédération des mineurs, ni celle des ouvriers du tabac, ni celle des travailleurs de la marine.
Quant au niveau interne d’organisation, il est pathétique. En 1896, la CGT dispose de 31 groupes, mais seulement 4 fournissent la cotisation normale, 7 le dixième de la cotisation normale, les autres riens et 7 ne maintiennent même plus de contact. Il y aura également quatre secrétaires les six premières années, avec une grande instabilité dans la direction. À cela s’ajoute le refus de permanents : en 1909, ils ne sont que quatre.
La CGT, à sa fondation, c’est en réalité surtout le syndicat du livre et le syndicat national des travailleurs des chemins de fer de France et des colonies. Son existence est parallèle à ceux des socialistes, qui eux sont occupés à aller dans le sens de leur unification dans le Parti socialiste Section Française de l’Internationale Ouvrière.
Elle est également parallèle l’organisation de mutuelles de santé, nécessaires en raison de l’absence de sécurité sociale : la Fédération nationale de la mutualité française fondée en 1902 rassemble rapidement trois millions d’adhérents.
La CGT vit ainsi à l’écart tant de la politique des réseaux d’entraide populaire, assumant une posture syndicaliste révolutionnaire ouverte. En 1898, Fernand Pelloutier pouvait encore affirmer la chose suivante, typiquement représentative du caractère anti-Etatiste jusqu’auboutiste du syndicalisme révolutionnaire :
« Comment les ouvriers qui ont accepté la lutte des classes viennent-ils demander des retraites à la société capitaliste ? Nous avons lutté depuis si longtemps pour faire comprendre aux ouvriers à travailleur eux-mêmes à leur bien-être naturel, et aujourd’hui, on veut soumettre au congrès des projets de loi pour demander aux capitalistes des retraites ouvrières. »
D’ailleurs, le principe faisant que chaque syndicat dispose d’une voix renforce l’idée de fédéralisme, d’assemblage uniquement pratique, d’union dans l’esprit de combat. Pour cette raison, le programme de la CGT consiste en des mobilisations pour l’action et en des actions pour la mobilisation.
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de la période syndicaliste révolutionnaire (1895-1914)