Avec le maréchal Hubert Lyautey à l’arrière-plan, on ne s’étonnera guère que François de La Rocque se soit rapproché des Croix de Feu, initialement un mouvement d’anciens combattants d’orientation nationaliste.
Tout part de Maurice-Lucien Hanot, dit lieutenant d’Hartoy, au moment où il se rapproche de Joseph Marie François Spoturno dit François Coty, qui est alors un des hommes les plus riches du monde grâce à son industrie de parfum.
Finançant l’extrême-droite, tout en ayant dans ce cadre pris le contrôle du Figaro où le « monarcho-syndicaliste » et antisémite fanatique Urbain Gohier prend une place importante, il soutient Maurice d’Hartoy dans sa volonté de rassembler les anciens combattants sur une base nationaliste.
François Coty avait tenté de faire de la politique avec l’Action française, puis avec Georges Valois et son Faisceau, justement dans ce cas en attirant les anciens combattants.
C’est cependant Maurice d’Hartoy qui a trouvé le concept. Tout part du scandale dit « des décorations », en 1926. Un chef du bureau du ministère du commerce, Marcel Ruotte, avait réussi à monnayer les nominations de conseiller du commerce extérieur et des légions d’honneur. Il créa également un insigne, non officiel, des « décorés au péril de leur vie ».
Lui-même fut condamné, à la suite d’un procès qui se déroula dès 1927, à 3 ans de prison, ramenés à 18 mois en appel. La mansuétude de la condamnation fut prétexte à une vaste critique nationaliste, dont Maurice d’Hartoy se fit le porte-parole. Il pris notamment à la tête d’une délégation d’amputés ayant eu la Légion d’honneur, menaçant que 2000 croix de la Légion soient jetés sur la tombe du soldat inconnu si continuent les nominations au titre du commerce.
Dans ce cadre, il fonde – sans qu’on sache véritablement comment – une « association des membres de la Légion d’honneur décorés au péril de leur vie (faits de guerre et d’héroïsme civil) », sous le « haut patronage », naturellement symbolique, du soldat inconnu.
Fort d’un soutien bourgeois solide, avec François Coty au centre, la fondation de cette association est annoncée dans Le Figaro, ainsi que L’Echo de Paris, alors que la première assemblée générale se tient à la mairie du IVe arrondissement de Paris ; le siège est voisin de celui de l’association des Plus Grands Invalides de guerre.
On retrouve d’ailleurs au « comité directeur » Léon Démogé qui est le président des grands mutilés, Georges Scapini qui est le président des aveugles de guerre, le colonel Picot qui est le président des gueules cassées, le colonel Fabry qui est le président des officiers mutilés, Lucien Garans qui est le vice-président des grands mutilés de guerre.
Est également présent un radiologue amputé des deux jambes, puis rapidement d’autres personnalités liées à l’Armée, comme le colonel Josse, sénateur de l’Eure, ainsi que Louis Ménétrel, un docteur vieil ami du maréchal Pétain.
A l’Armée s’ajoute la religion : Maurice d’Hartoy parvient à gagner à sa cause Jacques Péricard, journaliste et écrivain, président de la Ligue des Droits des Religieux Anciens Combattants.
Maurice d’Hartoy tentera, sans succès véritable, de monter un pèlerinage auprès de la tombe du curé Jean-Marie Vianney, un saint du XIXe siècle ayant obtenu la Légion d’honneur, avec le soutien de l’éditeur Dunod et de l’archevêque de Paris.
Il réussira par contre à ce que Georges Demartial perde sa légion d’honneur pour cinq ans pour avoir formulé la thèse que la France s’était lancée de manière trop volontaire dans la guerre.
L’association est alors élargie par la fondation d’une autre, parallèle, qui elle rejoint les locaux du Figaro, au rond-point des Champs-Élysées, et s’ouvre aux titulaires de la médaille militaire et ceux de la croix de guerre, Jacques Péricard en devient le président d’honneur.
C’est la naissance de l’« Association des combattants de l’avant et des blessés de guerre cités pour action d’éclat, dite les Croix de Feu », Maurice d’Hartoy fondant dans la foulée les « Croix de Feu, association des combattants de l’avant et des blessés de guerre cités pour action d’éclat ».
Son but est « l’action patriotique par tous les moyens » ; son approche, celle du coup d’éclat. Au défilé du 11 novembre 1928, les membres des Croix de Feu ne saluent pas les autorités, tournant leur tête vers la soldat inconnu.
En mars 1929, lors des obsèques du maréchal Foch, le service à Notre-Dame est suivi de violents incidents provoqués par les Croix de Feu tentant d’encercler le parlement.
C’est la naissance du style « Croix de Feu », dont le nom se fonde sur les croix de guerre « gagnées au feu », ce qui associe le principe religieux au militarisme. Le symbole reste dans cette démarche, pratiquement baroque, avec une tête de mort au centre d’une croix de Malte, deux glaives se croisant, six flammes sur chaque branche.
Il fut façonné par Paul Moreau-Vauthier, sculpteur ayant construit de très nombreux monuments au mort de la guerre de 1914-1918, ainsi que des « bornes » aux endroits historiques de la ligne de front.
Pour se justifier ce symbole relativement agressif, voire extravagant, Maurice d’Hartoy faisait référence à un texte de Victor Hugo, Le dernier carré, dans la partie Waterloo des Misérables. On y lit, dans un passage fantastique typique du réalisme français pétri de catholicisme mystique :
« Ces combattants avaient autour d’eux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes d’hommes à cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu à travers les roues et les affûts ; la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait. »
D’ailleurs, Maurice d’Hartoy parlera plus tard « d’élan de poésie pure » pour expliquer la fondation des Croix de Feu, « de création purement sentimentale et romantique, quoique orientée vers la moralité nationale ».
C’était l’irruption des anciens combattants comme vecteur politique nationaliste.
=>Retour au dossier sur les Croix de Feu et le Parti Social Français