Le Parti Communiste français n’avait pas compris le caractère spécifique des Croix de Feu et du P.S.F., les assimilant avec François de La Rocque à l’extrême-droite ayant existé jusque-là sous la forme de groupes de pression nationalistes, favorables à un coup d’État. Il le paiera cher, car la conséquence sera l’incompréhension du gaullisme, qui est dans la continuité directe de la position de François de La Rocque.
Pourtant, les événements de 1934 auraient dû l’amener à comprendre cela. On sait que le 6 février 1934 a été un événement capital de l’Histoire de notre pays, avec plusieurs dizaines de milliers de manifestants des « ligues » d’extrême-droite tentant de marcher en direction du parlement, pour le prendre d’assaut.
Dans le climat d’instabilité politique – c’était le cinquième gouvernement en un an et demi –, de scandales de corruption telle « l’affaire Stavisky », les ligues tentaient le coup de force. Il s’agissait de taper fort, pour former un climat d’instabilité permettant à l’Armée de prendre le pouvoir. Il ne s’agissait pas simplement d’occuper le parlement et d’en prendre le contrôle : cela n’avait aucun sens et à part à Paris, les ligues étaient bien trop faibles, bien incapables de prendre le contrôle de l’administration nationale.
Il s’agissait de précipiter le chaos en bousculant l’ordre dominant, en ciblant le Parlement comme symbole républicain. Cependant, la police défendit avec succès le Parlement, utilisant notamment des armes à feu, tirant deux fois et tuant 14 personnes, le nombre de blessés lors des affrontements montant à 1500 personnes. Une coupure historique eut alors lieu au sein de l’extrême-droite.
On trouvait déjà d’un côté : les Jeunesses Patriotes de Pierre Taittinger, fondées en 1924 ; le Faisceau de Georges Valois, fondé en 1925, et qui n’avait quant à lui pas pu se maintenir ; l’Action française de Charles Maurras qui disposait par contre d’une solide tradition ; à quoi s’ajoutent la Solidarité Française de Jean Renaud, fondé en 1933, ainsi que le « francisme » de Marcel Bucard.
Mais la plus importante de ces ligues étaient les Croix de Feu. On peut considérer qu’au milieu des années 1930, François de La Rocque disposait de 15 000 personnes à Paris et de 20 000 en province, alors que les Jeunesses Patriotes et la Solidarité française avaient dans leurs rangs chacun autour de 5 000 personnes, l’Action française de 4 000 personnes, le Parti français national-communiste de 2500 personnes, le Parti franciste de 1000 personnes.
Or, ce qui se passa, c’est que, justement, le 6 février 1934, François de La Rocque décida de ne pas s’associer au coup de force. Cela ne fut jamais pardonné par le reste des ligues, à qui s’ajoutèrent bientôt le mouvement de type nazi de Jacques Doriot, le Parti Populaire Français.
L’Action française, placée dans l’ombre des Croix de Feu, se plaça comme son principal concurrent, avec des harcèlements, des tentatives d’infiltration, des campagnes de dénigrement, n’hésitant pas à attaquer François de La Rocque en 1937 dans une grande campagne, l’accusant de toucher des fonds secrets de la part du gouvernement.
L’accusation provint du duc Joseph Pozzo di Borgo, hostile à l’option de François de La Rocque aboutissant à la naissance du Parti Social Français à la suite de 1934. Il se rapprochera alors de l’Action française, avant de basculer dans le terrorisme avec l’Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale, connu dans la presse sous le nom de la « Cagoule ».
Toute une série de procès eurent lieu entre François de La Rocque, Joseph Pozzo di Borgo et Charles Maurras de l’Action française, en 1937-1938, en raison de cette accusation d’émargement auprès du régime. Il s’agissait pour eux de gagner la légitimité de celui qui serait le plus en « rupture ».
La question était celle de la stratégie ; Charles Maurras expliquait ainsi, en 1937, comment il concevait comme erronée la perspective de François de La Rocque, dans l’article « Plus que jamais… Politique d’abord ! » :
« L’œuvre du fameux colonel a consisté, pendant trois ans : 1° à retirer de la rue, de la politique active et militante, du « politique d’abord », quelques centaines de milliers de bons Français ; 2° à les jeter dans le social ; pour les noyer (bientôt) dans l’électoral. »
Une œuvre fameuse du côté de l’Action française fut celle de Maurice Pujo, Comment François de La Rocque a trahi, tandis que Joseph Pozzo di Borgo donna comme titre à sa dénonciation de son ancien chef François de La Rocque fantôme à vendre.
Voici également comment Jean Renaud, au nom de la Solidarité française qu’il dirigeait, formule sa critique dans J’accuse François de La Rocque :
« Aujourd’hui, il n’est plus possible de se taire, de cacher.
De partout, j’écris de partout, tous les nationaux de partis insultés, moqués ou dindonnés par François de La Rocque, crient : “Assez, allez devant, cet homme est plus dangereux pour la cause nationale que les maçons ou que les juifs profiteurs dont d’ailleurs son nouveau parti est farci ! Il est plus notre ennemi que le communiste lui-même ! Il faut en finir : c’est lui qui a torpillé et torpillera les élections ; c’est lui qui crée la division”… »
Henri Coston, un antisémite forcené, terminait sa brochure François de La Rocque et les Juifs, un nouveau scandale ! de la manière suivante :
« Le 21 mai 1937, à la salle des Ambassadeurs, M. Barrachin, directeur du Bureau politique du PSF, exposa la position du PSF et sa doctrine politique en présence des événements actuels.
Il rappela notamment que son parti reconnaissait l’égalité de toutes les croyances et déclara “que sans François de La Rocque, la France aurait peut-être connu l’inutile développement de l’Antisémitisme”.
M. de François de La Rocque, confirmerez-vous les déclarations de votre lieutenant ? Les Juifs ont-ils raison de se réjouir de votre attitude ? »
Voici également comment Lucien Rebatet, dans un ouvrage qui est le grand classique de la collaboration, Les Décombres, publié en 1942 (une édition avec une « critique » universitaire a été publiée en 2015 et les 5000 exemplaires imprimés vendus en une seule journée), présente les Croix de Feu.
Lié initialement à l’Action française, Lucien Rebatet sera un soutien fanatique d’une ligne plébéienne national-socialiste. A ce titre, il attaquera de manière virulente également Charles Maurras, qui en retour le qualifiera de « nabot impulsif et malsain ».
« Le colonel de François de La Rocque, cependant, inculquait à ses troupes les principes de la discipline militaire : interdiction de lever le petit doigt de la couture du pantalon avant l’heure H de l’assaut dont le chef seul déciderait, magnifique alibi pour masquer une inertie honteuse et peut-être complice, les talons en équerre, le béret à la diable bleu, le regard digne et résolu à quinze pas, mais sans bouger d’une ligne, ah ! surtout sans bouger.
Les citoyens de la France moyenne adhéraient en foules toujours plus denses à ce programme si bien fait pour eux.
Les nationaux à biceps qu’indignait ce remisage de la révolution, qui se répandaient en calembours sur Casimir de La Locque et les Froides queues, montaient leur contre-attaque. Mais c’était la contre-attaque à la cocarde (…).
La droite comptait quelques hommes d’action – pas beaucoup – dépourvus de toute doctrine, quelques excellents doctrinaires incapables d’imaginer une ombre d’action, des dilettantes que la canaille ennuyait, des hommes lucides mais sans argent, des riches assez effrayés mais qui lâchaient avec regret une infime aumône à leurs défenseurs, enfin une foule de bourgeois moutonniers, incultes, froussards et cupides, où le sieur de François de La Rocque n’avait pas eu grandpeine à recruter sa fameuse armée de Peuseufeux (…).
Durant les vingt mois de Front Populaire, il s’était dépensé en fonds politiques parmi la droite assez de millions pour financer plusieurs révolutions. Mais cette manne se répandait d’abord sur des torchons illisibles, des groupuscules de conspirateurs funambulesques.
Les prédilections des nantis, des personnages de poids allaient sans hésiter aux falots, aux farceurs, aux maîtres chanteurs, aux trembleurs, aux mollusques de la modération, des distinctions nécessaires, des nuances, béant dans la vase tiède de leur juste milieu, et par dessus tout à l’innombrable armée de la révolution selon les pantoufles et les fesses de Joseph Prud’homme, levée par le colonel Casimir, comte de François de La Rocque (…).
Pour le sieur de François de La Rocque, il fallait se féliciter qu’il s’en fût tenu à des vasouillages qui ne pouvaient être ni pour ni contre, puisqu’ils ne signifiaient exactement rien, genre où le Colonel était du reste imbattable.
La gauche aryenne en somme, se tenait beaucoup mieux. Nous avions trouvé chez elle plus de nerfs, de bon sens, d’esprit politique et de franchise. Son vieux fonds pacifiste et antimilitariste offrait dans ce danger des ressources autrement solides que le conformisme des familles où l’on fait les jésuites et les Saint-Cyriens. »
Avec François de La Rocque, c’est une nouvelle extrême-droite qui naît, qui n’est ni putschiste pro-royaliste, ni plébéiens pro-nazi.
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