Le président a, dans le cadre de la Ve République, une place centrale ; tout passe par lui. La constitution de 1958 exige ainsi que le président valide les lois ainsi que les décisions gouvernementales. S’il ne valide pas, et rien ne l’oblige à cela, il bloque la chaîne.
Bien entendu, il peut accepter à contre-cœur, pour ne pas gripper la machine. Mais son positionnement dans l’appareil d’État en fait une plaque tournante, et pour cette raison un intermédiaire inévitable, neutralisant immanquablement la portée de tout processus.
Tout devant passer par le président, il faut au minimum s’en accommoder. Pour bien appuyer ce fait, il y a de toute manière son élection. Ce « premier consul » n’est pas élu par le peuple dans la conception originelle. Il ne serait sinon pas l’incarnation organique de la nation. C’est pourquoi il est élu par un collège électoral.
Ces représentants sont :
— le maire pour les communes de moins de 1.000 habitants ;
— le maire et le premier adjoint pour les communes de 1.000 à 2.000 habitants ;
— le maire, le premier adjoint et un conseiller municipal pris dans l’ordre du tableau pour les communes de 2.001 à 2.500 habitants ;
— le maire et les deux premiers adjoints pour les communes de 2.501 à 3.000 habitants ;
— le maire, les deux premiers adjoints et trois conseillers municipaux pris dans l’ordre du tableau pour les communes de 3.001 à 6.000 habitants ;
— le maire, les deux premiers adjoints et six conseillers municipaux pris dans l’ordre du tableau pour les communes de 6.001 à 9.000 habitants ;
— tous les conseillers municipaux pour les communes de plus de 9.000 habitants ;
— en outre, pour les communes de plus de 30.000 habitants, des délégués désignés par le conseil municipal à raison de un pour 1.000 habitants en sus de 30.000.
Dans les territoires d’Outre-Mer de la République, font aussi partie du collège électoral les représentants élus des conseils des collectivités administratives dans les conditions déterminées par une loi organique.
La participation des Etats membres de la Communauté au collège électoral du Président de la République est fixée par accord entre la République et les Etats membres de la Communauté.
Ce collège électoral est, on l’aura compris, composé des notables locaux, capables de superviser leur territoire. Dans le cas d’un basculement politique, cela se ressentira de manière relative, suffisamment pour former une zone tampon qu’il faudra prendre en compte, mais qui sera aisément contournable dans les grandes lignes.
Le président est ici réellement à côté de la politique, il est le grand ordonnateur, le grand neutralisateur.
Il est un appendice de ce qu’on doit appeler un corporatisme municipal. De la même manière que les Länder allemands et les États américains annulent la possibilité de poser la question politique au niveau du pays tout entier, le municipalisme réduit à la dimension locale, avec les notables, toutes les questions qui se posent.
Le président est d’ailleurs élu pour sept ans par le collège électoral, afin de poser un ancrage complet. C’est lui qui nomme à la fois le premier ministre et les ministres, même si officiellement ces derniers sont proposés par le premier. Seulement comme celui-ci est nommé par le président, c’est bien lui qui décide de tout. Il peut d’ailleurs démettre celui-ci comme il l’entend, même si, officiellement, c’est le premier ministre qui démissionne.
De la même manière, le président a le droit de « prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale », ayant également donc la possibilité, encore une fois selon les opportunités, de modifier la balance politique.
Le président peut également « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics », soit contribuer à modifier les institutions dans un sens ou dans un autre, selon les moments opportuns. C’est un droit énorme.
Si on ajoute le fait que le président « nomme aux emplois civils et militaires de l’Etat », qu’il préside le Conseil Supérieur de la Magistrature, qu’il « négocie et ratifie les traités » et qu’il « accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères », alors on voit que le président est le grand gestionnaire.
Comme le premier ministre dépend qui plus est du président, il faut pratiquement remplacer dans l’article 13 « Conseil des ministres » par « président de la République » :
« Les conseillers d’Etat, le grand chancelier de la Légion d’Honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des Comptes, les préfets, les représentants du Gouvernement dans les territoires d’Outre-Mer, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales sont nommés en Conseil des Ministres. »
Tout cela semble rentrer en opposition avec le point suivant, précisant la nature du gouvernement :
Article 20.
Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation.
Il dispose de l’administration et de la force armée.
Cela ne se comprend que si l’on voit que le président est le consul organisant la stratégie, le gouvernement appliquant la tactique. Il est souvent dit en France que même en cas de cohabitation, le président garde pour lui la diplomatie. C’est un leurre, en réalité cela signifie que la stratégie de la France, pays impérialiste, reste toujours dans les mains du président.
Même des mesures politiques en opposition au président ne sont que relatives, car les institutions ont leur centre de gravité du côté du président.
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