Léon Lhermitte (1844-1925) est une très haute figure du réalisme du XIXe siècle en France. Né en Picardie, dans l’Aisne, il put mener une véritable carrière d’artiste reconnue, bien que son réalisme le fit cataloguer comme passéiste et l’amena à sombrer dans l’oubli lorsque le modernisme triompha entièrement dans la bourgeoisie.
Dans la seconde partie du XIXe siècle, de par les contradictions historiques, la bourgeoisie ne fut pas en mesure de nier l’activité de Léon Lhermitte, alors que faisait encore rage le conflit avec l’aristocratie. Il reçut la grand médaille à l’exposition universelle de 1889, la légion d’honneur en 1884 puis devint commandeur de la Légion d’honneur en 1910, il participe comme jury à l’Exposition universelle de 1900 à Paris, etc.
Le tableau suivant fut ainsi acheté par l’État dès l’ouverture du Salon de 1882 ; on y voit la cour de la ferme appelée Ru Chailly, près de Château-Thierry das l’Aisne, au moment de La paie des moissonneurs.
On reconnaît une certaine approche esthétisante chez Léon Lhermitte, mais cela n’en reste pas moins un travail réaliste de la plus haute valeur, faisant de lui l’un des plus grands peintres de l’art véritable, bien plus que Gustave Courbet, sans même parler de Jean-François Millet. Voici Les glaneuses (1887), La fenaison, ainsi qu’une oeuvre dont on a malheureusement uniquement une copie du catalogue.
Une œuvre magistrale consiste en Les halles. Le caractère vivant du marché est admirablement bien représenté, on a ici une œuvre essentielle au réalisme de notre pays, rangeant Léon Lhermitte parmi les titans de l’art.
Portons un regard plus précis sur certains aspects de cette fresque magistrale. L’attention des personnes travaillant au marché est parfaitement représentée, on lit une grande intensité.
L’inquiétude de la négociation, de la discussion, propre au marché populaire, est montrée de manière formidable.
La partie suivante du tableau est indéniablement parisienne : même dans la pire des situations au travail, le parisien et la parisienne conservent grâce et esthétisme !
Les cadavres d’animaux ne sont, par contre, montrés que de manière assez floue, comme s’il ne s’agissait, somme toute, que d’alimentation. Le peintre n’a pas voulu conserver cet aspect forcément essentiel d’un marché où l’odeur pestilentielle et la vue de cadavres prédominaient nécessairement.
Même les détails pouvant avoir l’air insignifiant pour un bourgeois – tel cet homme commandant un bol de soupe – ne sont pas oubliés.
L’œuvre fut bien entendu aussi vilipendée pour son thème. Voici toutefois des remarques saluant l’œuvre, dans le journal Le Temps du 24 avril 1895, par François Thiébault-Sisson dans son compte-rendu du Salon :
« M. Lhermitte est un vivant exemple de ce qu’une volonté opiniâtre, aidée d’une infatigable conscience, peut fournir. On n’oserait affirmer qu’il fût né pour aborder les grands sujets en peinture. Longtemps confiné dans le crayon, il en avait gardé dans la manœuvre du pinceau une facture hésitante et mince, qui ne permettrait guère de prévoir, dans le peintre d’épisodes rustiques et d’obscurs intérieurs de campagne, le décorateur brillant d’aujourd’hui […].
Inutile de décrire la toile destinée à l’Hôtel de Ville. Sans l’avoir vue, tous les Parisiens la connaissent. C’est la grande artère des halles, entre neuf et dix heures du matin, avant que la cloche sonne et rende à la circulation ce gigantesque marché en plein vent. C’est bien là le Ventre de Paris décrit par Emile Zola […].
L’exécution, dans un morceau de cette nature, n’est pas indifférente ; elle doit être, comme le sujet, truculente. Elle l’est. Irréprochablement solide, elle défie, dans la couleur comme dans le dessin, toute critique ; elle est moins tendue que de coutume, elle est même empreinte d’une largeur dont il faut féliciter hautement M. Lhermitte. »
La fileuse est une œuvre indéniablement réussie ; au-delà de l’approche typique, on trouve dans la grâce du mouvement une reconnaissance réelle du travail, de la travailleuse.
Il est intéressant de voir comment Le vin présente cette boisson comme associée à une vie saine, agréable, rustique, forte, etc. Il y a bien entendu ici une esthétisation, qu’on a vu réactionnaire chez bien des pseudo-réalistes.
Voici Le verre de vin, du même esprit.
Il est intéressant de voir, comme chez les Ambulants russes, que même une thématique religieuse est largement soumise à l’approche réaliste, typique, comme ici avec L’Ami des humbles (Le Souper à Emmaüs).
La luminosité est une composante essentielle de la peinture de Léon Lhermitte ; malheureusement, c’est au prix d’un certain compromis avec un certain impressionnisme nuisant au réalisme. Voici Le réveil du faucheur, Glaneuses – la fin du jour.
Il est très intéressant de voir comment le naturalisme a littéralement pourri le réalisme, avec son approche expérimentale s’opposant à l’esprit de synthèse. Le tableau suivant de 1889, intitulé La leçon de Claude Bernard, fait l’éloge de la méthode du prince des vivisecteurs, dont Émile Zola fait l’éloge dans son ouvrage théorique Le roman expérimental.
On y retrouve ici une négation infâme du réel, avec un animal représenté alors qu’il se fait disséquer vivant. L’absence de reconnaissance de la dignité du réel témoigne bien des limites de ce réalisme tournant au naturalisme. Le tableau est d’ailleurs d’un formalisme, dans l’esprit universitaire, tout à fait évident.
La tendance à l’impressionnisme, de par l’influence du naturalisme, était inévitable. Voici par exemple Récolte, Glaneuses en avant de vieilles meules, A la fontaine.
Mais voici, pour conclure, des œuvres pertinentes, frappantes, puissantes contributions au réalisme, avec Le marché au pomme de Landerneau, Le marché de Ploudalmézeau, Le repas de Midi.