Aristote se fonde entièrement sur le principe de la réciprocité. Reste à savoir une chose : quelle est sa nature ? On sait que pour Aristote, l’entéléchie est quelque chose de dynamique. Il y a un potentiel, activé par une force mettant en branle un processus, on a alors un résultat.
Maintenant, il y a deux possibilités. Soit Aristote maintient la dynamique naturelle dans toutes les choses, ou bien il l’abandonne. Soit en matérialiste, il voit tout en mouvement – au sens de mis en mouvement -, soit il privilégie la réciprocité qui, par définition, peut être statique parfois, car non existante.
S’il assumait le premier point, il irait dans le sens du matérialisme dialectique : il n’est pas de temps morts, tout est tout le temps en mouvement, tout est pris dans les flots du mouvement car étant soi-même en mouvement. On a le principe de la transformation.
Aristote, vivant à une époque plus arriérée, ne pouvait pas saisir cela. Il est obligé de dire qu’il n’y pas de réciprocité tout le temps dans tout, même s’il se doute qu’il y a là incohérence :
« Il semble par ailleurs que les relatifs soient simultanés par nature. Et dans la très grande majorité des cas, c’est vrai.
En effet, double et demi existent ensemble. Et s’il y a demi, il y a double, comme s’il y a maître, il y a esclave, et s’il y a esclave, il y a maître. Et c’est comme cela pour le reste.
D’ailleurs, ils se suppriment aussi réciproquement. Car sans double, il n’y pas de demi et sans demi, il n’y a pas de double. Et il en va encore de même dans tous les autres cas de ce genre. »
Voilà qui est tout à fait dialectique. Cependant, Aristote ajoute alors :
« Cependant, tous les cas de relatifs ne permettent pas de vérifier, semble-t-il, cette simultanéité naturelle.
En effet, ce qui peut être connu scientifiquement est antérieur à la science, à ce qu’il peut sembler, puisque le plus souvent, les choses sont déjà préalablement là quand nous arrivons à obtenir les connaissances scientifiques.
Ce n’est que rarement, en effet, sinon jamais, qu’on peut voir la science advenir en même temps que ce qui peut être su.
De plus, la suppression de ce qui peut être su entraîne avec elle la suppression de la science, tandis que celle de la science n’entraîne pas la suppression de ce qui peut être su.
En effet, sans ce qui peut être su, il n’y a pas de science, puisqu’il n’y aurait plus de science de quoi que ce soit, tandis que sans la science, rien n’empêche l’existence de ce qui peut être su. »
C’est là en opposition avec le principe de la dignité du réel, où tout est reflet et où la science ne peut pas se développer « abstraitement » mais uniquement en rapport avec ce qui la porte, ici l’humanité, qui est elle-même le produit d’une évolution synthétique et qui n’apparaît pas de manière séparée ou isolée.
Le matérialisme dialectique ne pose pas la simultanéité, car il y a développement inégal, il y a un retard de par le principe du reflet. Mais il y a une liaison interne.
Aristote voit bien qu’il bute sur un véritable problème. Pour lui, tout est cohérent, alors logiquement la science devrait émerger de manière cohérente. Mais ne saisissant pas le mouvement comme étant la réalité matérielle, considérant le mouvement comme une dynamique s’appliquant à la matière (même si par la matière, mais par impulsion extérieure), alors il est obligé de s’enliser sur la question de la simultanéité dans son lien avec la réciprocité.
C’est également cela qui explique son problème de la définition de « l’intellect agent » qui existe de manière « séparée » de « l’intellect patient », les humains ayant un intellect passif où ils retrouvent la cohérence logique de l’univers dans ses principes : penser de manière cohérente c’est penser bien, car comme l’univers cohérent.
Le matérialisme dialectique ne place pas l’intellect agent comme séparé, car la conscience reflète la transformation du monde. Mais chez Aristote le monde est statique en soi, il ne pouvait donc que séparer abstraitement tant l’intellect agent et l’intellect patient que les éléments réciproques.