Afin de souligner que le langage ne modifie pas la réalité, qu’il n’a ni caractéristiques magiques, ni qu’il est une superstructure (ce qui revient de fait au même), Aristote souligne que ce qui doit arriver arrive et que le langage n’y change rien.
Il affirme ainsi :
« Il est clair que la réalité n’en est pas moins ce qu’elle est, en dépit de l’affirmation ou de la négation de tel ou de tel.
Car ce n’est pas le fait d’avoir été affirmés ou niés qui fera les événements se réaliser ou non, quand bien même on les aurait annoncés dix mille ans à l’avance ou à n’importe quel autre moment. »
Ce faisant, Aristote rejette donc l’hypothèse de l’affirmation d’un choix prononcé qui déciderait de la réalité. Celle-ci est déterminée par le jeu des causes et des conséquences, dans le cadre de la nature des choses.
Il ne peut pas y avoir de « décision » exprimée modifiant le sens des choses. D’ailleurs, le fait de parler, en soi, ne dit rien. Aristote réfute que le langage, en soi, décrirait la réalité de manière directe, qu’elle serait une pure expression des choses. Il dit ainsi :
« Chaque chose, nécessairement, est ou n’est pas, sera ou ne sera pas, et cependant si on envisage séparément ces alternatives, on ne peut pas dire laquelle des deux est nécessaire.
Je prends un exemple. Nécessairement il y aura demain une bataille navale ou il n’y en aura pas ; mais il n’est pas nécessaire qu’il y ait demain une bataille navale, pas plus qu’il n’est nécessaire qu’il n’y en ait pas. Mais qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas demain une bataille navale, voilà qui est nécessaire. »
De ce principe de nécessité, on aboutit alors à de multiples remarques sur la cohérence du langage et donc, inévitablement, à la question de la contradiction entre l’universel et le particulier.
Aristote appelle à bien délimiter les termes qu’on emploie : une personne est musicienne, c’est par accident qu’elle est musicienne, ce n’est pas sa nature fondamentale, qui est d’être homme. Quand on dit d’une personne qu’elle est blanche et musicienne, ce sont deux choses différentes, on ne peut pas assimiler blanche et musicienne conceptuellement.
De même, il fait une longue présentation des différences existant dans les formulations. Ce tableau qu’il donne en résume la teneur. Cela a l’air évident aujourd’hui, mais à l’époque c’était une puissante contribution à l’orientation de la pensée.
<Ier ordre> | <IIIe ordre> |
<1> Il est possible que cela soit | <1> Il n’est pas possible que cela soit |
<2> Il est contingent que cela soit | <2> Il n’est pas contingent que cela soit |
<3> Il n’est pas impossible que cela soit | <3> Il est impossible que cela soit |
<4> Il n’est pas nécessaire que cela soit | <4> Il est nécessaire que cela ne soit pas |
<IIe ordre> | <IVe ordre> |
<1> Il est possible que cela ne soit pas | <1> Il n’est pas possible que cela ne soit pas |
<2> Il est contingent que cela ne soit pas | <2> Il n’est pas contingent que cela ne soit pas |
<3> Il n’est pas impossible que cela ne soit pas | <3> Il est impossible que cela ne soit pas |
<4> Il n’est pas nécessaire que cela ne soit pas | <4> Il est nécessaire que cela soit |
Aristote précise ici :
« Possible n’est pas un terme absolu : tantôt il exprime la réalité en tant qu’elle est en acte, quand on dit par exemple qu’un homme peut se promener parce qu’il se promène en fait, et, d’une façon
générale, une chose est possible parce que se trouve déjà réalisé en acte ce qui est affirmé être possible ; tantôt possible exprime que la chose pourrait se réaliser, quand on dit par exemple qu’un homme peut se promener parce qu’il pourrait se promener.
Cette dernière sorte de puissance n’appartient qu’aux êtres en mouvement, alors que la première peut exister aussi dans les êtres immobiles.
Dans les deux cas, aussi bien pour l’homme qui se promène déjà et est en acte, que pour ce qui en a seulement la puissance, il est vrai de dire qu’il n’est pas impossible qu’un tel être marche ou soit, mais tandis qu’il n’est pas vrai d’affirmer une telle possibilité de la nécessité absolue, nous pouvons l’affirmer de l’autre espèce de nécessité.
— Conclusion : puisque du particulier suit l’universel, du nécessaire suit aussi le possible, bien que ce ne soit pas le cas pour tout possible.
Et, sans doute, peut-on dire que le nécessaire et le non-nécessaire sont, pour toutes choses, le principe de leur être et de leur non-être, et que tout le reste doit être considéré comme en dérivant. »
On en arrive alors à un discours de vérité qui est possible :
« Si donc les choses se passent de cette façon pour le jugement, et si les affirmations et les négations proférées par la voix sont les symboles de celles qui sont dans l’esprit, il est évident que l’affirmation a pour contraire la négation portant sur le même sujet pris universellement.
Ainsi les propositions tout ce qui est bon est bon ou tout homme est bon ont pour contraires rien < de ce qui est bon n’est bon > ou nul < homme n’est bon >, et pour contradictoires quelque bon < n’est pas bon > ou quelque homme < n’est pas bon >.
Il est évident aussi que ni un jugement vrai, ni une proposition vraie ne peuvent être contraires à un autre jugement vrai ou à une autre proposition vraie. En effet, les propositions contraires sont celles qui portent sur les opposés, au lieu que les propositions vraies sont susceptibles d’être vraies en même temps : or les contraires ne peuvent simultanément appartenir au même sujet. »
C’est de là que naît le principe de syllogisme, qui est un discours où, une fois qu’on a posé des vérités, d’autres en découlant inévitablement.