Rapport présenté par le camarade Mao Tsé-toung à la Conférence des Militants actifs du Parti, à Wayaopao, dans le nord du Chensi, à l’issue de la réunion du Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois tenue dans la même localité en décembre 1935.
LES PARTICULARITÉS DE LA SITUATION POLITIQUE ACTUELLE
Camarades ! De grands changements sont intervenus dans la situation politique. Notre Parti a défini ses tâches en fonction de ces changements.
Quelle est donc la situation actuelle ?
Elle se caractérise principalement par les efforts de l’impérialisme japonais pour transformer la Chine en une colonie.
Nous savons tous que depuis près d’un siècle la Chine est un pays semi-colonial placé sous la domination conjointe de plusieurs États impérialistes. Grâce à la lutte du peuple chinois contre l’impérialisme et aux conflits entre les puissances impérialistes, la Chine a pu conserver un statut semi-indépendant.
Pour un temps, la Première guerre mondiale avait donné à l’impérialisme japonais la possibilité d’établir sa domination exclusive sur la Chine.
Cependant, par suite de la lutte du peuple chinois contre l’impérialisme japonais et de l’intervention des autres puissances impérialistes, les Vingt et une Demandes [de l’ultimatum japonais au gouvernement chinois], ce traité que [le chef de la clique des seigneurs de guerre du Peiyang dans les dernières années du règne de la dynastie des Tsing] Yuan Che-kai, le plus grand traître à la nation de l’époque, avait signé et qui livrait la Chine au Japon, furent déclarées nulles et non avenues.
En 1922, un traité signé à la conférence des neuf puissances, convoquée à Washington par les États-Unis, plaça de nouveau la Chine sous la domination conjointe de plusieurs États impérialistes.
Mais peu après, la situation changea encore une fois.
Avec l’incident du 18 septembre 1931 commença la colonisation actuelle de la Chine par le Japon. Comme l’agression japonaise se limitait provisoirement aux quatre provinces du Nord-Est, certains pensèrent que les impérialistes japonais n’iraient probablement pas plus loin.
Aujourd’hui, la situation est tout autre: les impérialistes japonais ont déjà laissé voir leur intention de pousser plus au sud, au-delà de la Grande Muraille, et d’occuper le pays tout entier.
Ils s’efforcent maintenant de faire de toute la Chine, qui est encore une semi-colonie partagée entre plusieurs États impérialistes, une colonie du Japon. Le récent Incident du Hopei oriental et les conversations diplomatiques sont des indices très clairs de cette tendance des événements, qui met en danger l’existence même du peuple chinois.
Une telle situation pose à toutes les classes, à tous les groupements politiques de la Chine la question « Que faire ? ».
Résister ? Capituler ? Ou balancer entre les deux solutions ?
Voyons maintenant comment les différentes classes en Chine répondent à cette question.
Les ouvriers et les paysans réclament la résistance. La révolution de 1924-19279, la révolution agraire de 1927 à nos jours et la vague antijaponaise qui déferle depuis l’Incident du 18 Septembre 1931 montrent que la classe ouvrière et la paysannerie sont les forces les plus résolues de la révolution chinoise.
La petite bourgeoisie réclame également la résistance. La jeunesse étudiante et la petite bourgeoisie urbaine n’ont-elles pas déjà déclenché un vaste mouvement antijaponais ? Cette fraction de la petite bourgeoisie chinoise avait participé à la révolution de 1924-1927.
Sa situation économique relève, comme celle des paysans, de la petite exploitation, et ses intérêts sont inconciliables avec ceux des impérialistes. Ses membres ont cruellement souffert de l’impérialisme et de la contre-révolution chinoise, qui ont acculé nombre d’entre eux au chômage et à la ruine totale ou partielle. Maintenant, sous la menace directe de se voir réduits à l’état d’esclaves coloniaux, ils n’ont plus d’autre issue que la résistance.
Mais comment la bourgeoisie nationale, la bourgeoisie compradore, la classe des propriétaires fonciers et le Kuomintang réagissent-ils devant cette question?
Les grands despotes locaux et mauvais hobereaux, les grands seigneurs de guerre, les gros bureaucrates et les gros compradores ont depuis longtemps pris parti.
Comme toujours, ils soutiennent qu’une révolution — quelle qu’elle soit — est pire que l’impérialisme. Ils ont constitué le camp de la trahison; pour eux, la question de savoir s’ils seront ou non des esclaves coloniaux ne se pose pas, puisqu’ils ont perdu tout sentiment national et que leurs intérêts sont inséparables de ceux des impérialistes.
Leur champion est Tchiang Kaï-chek.
Ce camp de la trahison est l’ennemi juré du peuple chinois. Sans cette meute de traîtres, l’impérialisme japonais ne se serait jamais lancé dans cette agression avec autant de cynisme. Ils sont les valets de l’impérialisme.
La bourgeoisie nationale pose un problème complexe. Cette classe avait pris part à la révolution de 1924-1927, mais effrayée par le feu de la révolution, elle passa dans le camp de l’ennemi du peuple – la clique de Tchiang Kaï-chek. Il s’agit de savoir s’il est possible que la bourgeoisie nationale modifie sa position dans les circonstances actuelles.
Nous estimons que cela est possible, car cette classe ne s’identifie pas avec celle des propriétaires fonciers ni avec la bourgeoisie compradore: entre elle et ces dernières, il existe une différence.
La bourgeoisie nationale n’a pas un caractère féodal aussi prononcé que la classe des propriétaires fonciers ni un caractère comprador aussi marqué que la bourgeoisie compradore.
Une fraction de la bourgeoisie nationale, son aile droite, a des liens assez étroits avec le capital étranger et les intérêts fonciers chinois et, pour le moment, nous ne spéculerons pas sur les chances d’un changement de position de sa part.
Le problème se pose pour les autres fractions de la bourgeoisie nationale, qui n’ont pas de liens de ce genre ou qui en ont peu.
Nous croyons que, dans cette situation nouvelle, où la Chine se trouve en danger d’être réduite à l’état de colonie, un changement peut se produire dans leur attitude.
Le trait caractéristique de ce changement sera l’hésitation. D’une part, elles détestent l’impérialisme, d’autre part, elles redoutent une révolution poussée jusqu’au bout: elles balancent entre les deux attitudes.
Cela explique pourquoi dans la période révolutionnaire de 1924-1927 la bourgeoisie nationale avait pris part à la révolution et pourquoi elle passa du côté de Tchiang Kaï-chek à la fin de cette période. Quelle différence y a-t-il entre l’époque actuelle et celle de 1927, où Tchiang Kaï-chek trahit la révolution ?
La Chine n’était alors qu’une semi-colonie, elle est aujourd’hui en voie de devenir une colonie. Au cours de ces neuf années, qu’est-ce que la bourgeoisie nationale a gagné à abandonner son alliée, la classe ouvrière, et à lier amitié avec les propriétaires fonciers et les compradores ?
Rien du tout, sinon la ruine totale ou partielle de ses entreprises industrielles et commerciales.
C’est ce qui nous fait conclure à la possibilité d’un changement d’attitude de la bourgeoisie nationale dans les circonstances actuelles. Quelle sera l’importance de ce changement ? L’hésitation en sera la caractéristique générale.
Néanmoins, à un certain stade de la lutte, il est possible que l’une des fractions de la bourgeoisie nationale, son aile gauche, participe à la lutte, et qu’une autre passe d’une attitude hésitante à la neutralité.
Quels sont les intérêts de classe représentés par la XIXe Armée de Route, commandée par Tsai Ting-kai et ses compagnons ?
Ceux de la bourgeoisie nationale et de la couche supérieure de la petite bourgeoisie, ainsi que des paysans riches et des petits propriétaires fonciers à la campagne. Tsai Ting-kai et ses compagnons n’ont-ils pas lutté avec acharnement contre l’Armée rouge ?
Si, mais par la suite ils ont conclu avec elle une alliance contre le Japon et contre Tchiang Kaï-chek.
Dans le Kiangsi, ils avaient attaqué l’Armée rouge; mais, plus tard, à Shanghai, ils ont combattu les impérialistes japonais; puis, dans le Foukien, ils ont conclu un accord avec l’Armée rouge et se sont tournés contre Tchiang Kaï-chek.
Quelle que soit la carrière future de Tsai Ting-kai et de son groupe, de quelque esprit routinier qu’ait fait preuve leur Gouvernement populaire du Foukien en se refusant à entraîner le peuple au combat, le fait qu’ils ont tourné contre l’impérialisme japonais et Tchiang Kaï-chek leurs armes destinées à combattre l’Armée rouge doit être considéré comme un acte utile à la révolution.
Cela marqua une scission dans le camp du Kuomintang. Si la situation qui s’est créée au lendemain de l’Incident du 18 Septembre a abouti à détacher ce groupe du Kuomintang, pourquoi la situation actuelle ne pourrait-elle pas entraîner de nouvelles scissions au sein de ce parti ?
Ils se trompent, ceux de notre Parti qui considèrent le camp des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie comme uni et inébranlable et pensent qu’il ne changera en aucune circonstance. Non seulement ils ne se rendent pas compte de la gravité de la situation présente, mais ils ont même oublié l’histoire.
Permettez-moi de m’étendre un peu plus longuement sur ces données historiques.
En 1926 et 1927, lorsque l’armée révolutionnaire marcha sur Wouhan, s’en empara et poussa jusque dans le Honan, on vit Tang Cheng-tche et Feng Yu-siang se rallier à la révolution. En 1933, Feng Yu-siang coopéra un moment avec le Parti communiste dans le Tchahar, organisant l’Armée alliée antijaponaise.
Voici un autre exemple frappant. La XXVIe Armée de Route, qui avait, de concert avec la XIXe Armée de Route, attaqué l’Armée rouge dans le Kiangsi, ne déclencha-t-elle pas en décembre 1931 l’Insurrection de Ningtou et ne passa-t-elle pas du côté de l’Armée rouge ? Les dirigeants de cette Insurrection, Tchao Po-cheng, Tong Tchen-tang et d’autres sont devenus des camarades résolus dans la révolution.
Les actions de Ma Tchan-chan contre l’envahisseur japonais dans les trois provinces du Nord-Est représentèrent aussi une scission dans le camp des classes dominantes.
Tous ces exemples montrent que des divisions se produiront dans le camp ennemi lorsque la Chine entière se trouvera sous la menace des bombes japonaises et lorsque la lutte quittera son rythme habituel et avancera soudain au pas de charge.
Passons maintenant, camarades, à un autre aspect de la question.
Serait-il correct d’opposer comme objection à notre point de vue la faiblesse de la bourgeoisie nationale chinoise sur les plans politique et économique et d’en conclure que celle-ci ne peut changer d’attitude malgré la situation nouvelle où elle est placée ?
Je ne le pense pas. Si c’est en raison de sa faiblesse que la bourgeoisie nationale ne peut pas changer son attitude, pourquoi donc l’a-t-elle fait dans les années 1924-1927, lorsqu’au lieu d’hésiter devant la révolution elle est allée jusqu’à y participer ?
Peut-on dire que cette faiblesse de la bourgeoisie nationale est un défaut acquis et non pas un défaut congénital ?
Peut-on dire qu’elle est faible aujourd’hui, mais ne l’était pas à l’époque? La faiblesse de la bourgeoisie nationale est l’une des caractéristiques politiques et économiques essentielles d’un pays semi-colonial. C’est la raison pour laquelle les impérialistes osent la brimer, et c’est aussi ce qui fait qu’elle déteste l’impérialisme.
Bien sûr, loin de le nier, nous reconnaissons parfaitement que pour cette même raison les impérialistes, les propriétaires fonciers et la bourgeoisie compradore l’appâtent aisément au moyen de quelques avantages temporaires, ce qui, à son tour, explique l’inconséquence de la bourgeoisie nationale dans la révolution.
Néanmoins, on ne peut pas dire que dans les circonstances actuelles la bourgeoisie nationale ne diffère en rien des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie compradore.
C’est pourquoi nous tenons à affirmer que des scissions se produiront dans le camp du Kuomintang lorsque la nation arrivera à un tournant critique.
De telles scissions ont trouvé leur expression dans l’attitude hésitante de la bourgeoisie nationale comme dans la prise de position de personnalités antijaponaises telles que Feng Yu-siang, Tsai Ting-kai, Ma Tchan-chan, si populaires pendant un temps.
Tout cela est essentiellement désavantageux pour la contre-révolution et profitable à la révolution. Le développement inégal de la Chine sur le plan politique et économique et le développement inégal de la révolution qui en est la conséquence favorisent de telles scissions.
Camarades ! Voilà pour le côté positif de la question. Je voudrais maintenant parler du côté négatif, à savoir que souvent certains éléments de la bourgeoisie nationale sont passés maîtres dans l’art de tromper le peuple.
Pourquoi ? Parce qu’à côté de gens qui soutiennent sincèrement la cause de la révolution populaire cette classe comprend nombre de personnes qui se font passer pendant un certain temps pour des révolutionnaires ou des semi-révolutionnaires et s’assurent par là le pouvoir de tromper le peuple, de sorte qu’il est difficile à celui-ci de voir clairement combien elles sont inconséquentes dans la révolution et de percer à jour leur démagogie.
Tout cela accroît la responsabilité du Parti communiste, à qui il incombe de critiquer ses alliés, de démasquer les pseudo-révolutionnaires et de conquérir la direction dans la révolution.
Nier que la bourgeoisie nationale puisse hésiter et même rejoindre la révolution dans une période de grands ébranlements équivaudrait pour notre Parti à abandonner ou du moins à minimiser sa tâche de s’assurer la direction dans la révolution.
Car si la bourgeoisie nationale était en tout point semblable aux propriétaires fonciers et aux compradores et montrait le même visage odieux que les traîtres à la nation, le problème de la lutte pour la direction ne se poserait plus, ou ne se poserait guère.
En faisant une analyse générale de l’attitude des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie en période de grands ébranlements, il convient de tenir compte d’un autre aspect, à savoir que même dans le camp des propriétaires fonciers et des compradores l’unité n’est pas totale. Cela est dû à l’état semi-colonial de notre pays, c’est-à-dire à la rivalité de nombreux États impérialistes pour la domination de la Chine.
Lorsque la lutte est dirigée contre l’impérialisme japonais, les chiens couchants des États-Unis et même ceux de la Grande-Bretagne, se réglant sur le ton de leurs maîtres, peuvent engager une lutte secrète ou même ouverte contre les impérialistes japonais et leurs chiens couchants. De nombreux cas de ces querelles de chiens se sont présentés et nous ne nous y arrêterons pas.
Mentionnons seulement que le politicien du Kuomintang Hou Han-min, emprisonné à un moment donné par Tchiang Kaï-chek, a ajouté récemment sa signature au bas du Programme en six points pour la résistance au Japon et pour le salut de la patrie, que nous avons proposé.
Les seigneurs de guerre des cliques du Kouangtong et du Kouangsi, sur lesquels s’appuie Hou Han-min, se sont eux aussi opposés à Tchiang Kaï-chek, en lançant des mots d’ordre, d’ailleurs trompeurs, tels que « Recouvrons les territoires perdus », « Résistons au Japon tout en exterminant les bandits » (alors que le mot d’ordre de Tchiang Kaï-chek est: « Exterminons d’abord les bandits et ensuite résistons au Japon »).
Cela vous étonne? Il n’y a là rien d’étrange.
Ce n’est qu’une querelle particulièrement intéressante entre gros molosses et petits roquets, entre chiens repus et chiens affamés, une simple fêlure, une contradiction irritante et douloureuse dans le camp ennemi, mais cela est profitable au peuple révolutionnaire. Nous devons tirer parti de toutes ces querelles, fêlures et contradictions au sein du camp ennemi et les utiliser contre notre ennemi principal du moment.
Pour résumer la question des rapports de classes, nous pouvons dire que l’invasion par l’impérialisme japonais de la partie de la Chine située au sud de la Grande Muraille a provoqué un changement de situation fondamental qui a entraîné une modification des rapports entre les différentes classes du pays, renforçant le camp de la révolution nationale et affaiblissant celui de la contre-révolution.
Parlons maintenant de la situation dans le camp de la révolution nationale en Chine.
Tout d’abord, l’Armée rouge. Camarades, vous savez que depuis près d’un an et demi les trois contingents principaux de l’Armée rouge de Chine ont procédé chacun à un important déplacement de leurs positions. Au mois d’août de l’année dernière, le VIe Groupe d’Armées, conduit par Jen Pi-che21 et d’autres camarades, commença à se diriger vers la zone du camarade Ho Long, et, en octobre, nous commençâmes nous-mêmes à changer de positions.
En mars dernier, l’Armée rouge de la région frontière du Setchouan-Chensi commença à faire mouvement à son tour. Les trois contingents ont abandonné leurs positions anciennes et se sont dirigés vers de nouvelles régions.
A la suite de ces importants déplacements, les territoires anciennement occupés par nous sont devenus des régions de partisans; et l’Armée rouge elle-même s’est considérablement affaiblie au cours de cette période. Si l’on envisage la situation d’ensemble sous cet angle, on peut dire que l’adversaire a remporté une victoire temporaire et partielle et que nous avons subi une défaite également temporaire et partielle.
Cette affirmation est-elle juste ? Je le pense, car les faits sont là.
Cependant, des gens comme Tchang Kouo-tao affirment que l’Armée rouge centrale est défaite.
Est-ce exact ?
Non, car cela n’est pas conforme aux faits. En examinant une question, le marxiste doit voir le tout aussi bien que les parties. Une grenouille, dans un puits, disait que « le ciel n’est pas plus grand que la bouche du puits ». Cela est inexact, parce que le ciel n’est pas limité aux dimensions de la bouche du puits. Si elle avait dit « une partie du ciel est de la dimension de la bouche du puits », elle aurait dit vrai, parce que cela est conforme à la réalité.
Nous disons que l’Armée rouge a, en un sens, essuyé un échec (en ne réussissant pas à se maintenir sur ses positions antérieures), mais qu’en un autre sens elle a remporté une victoire (en exécutant le plan de la Longue Marche).
Quant à l’ennemi, il a en un sens remporté une victoire (en occupant nos positions primitives), mais en un autre sens, il a subi une défaite (en échouant dans ses campagnes « d’encerclement et d’anéantissement » et dans ses campagnes « de poursuite et d’anéantissement »). Voilà la seule manière correcte d’envisager la question, puisque nous avons réussi à effectuer la Longue Marche.
A propos de la Longue Marche, d’aucuns posent la question: « Quelle en est la signification? » Nous répondrons que la Longue Marche est la première de ce genre dans les annales de l’histoire. Elle est à la fois un manifeste, un instrument de propagande et une machine à semer.
Depuis Pan Kou, qui sépara le Ciel de la Terre, depuis les Trois Souverains et les Cinq Empereurs, l’histoire a-t-elle jamais connu une longue marche comme la nôtre ?
Pendant douze mois, dans le ciel, des dizaines d’avions nous traquaient et nous bombardaient chaque jour; sur terre, une force colossale de plusieurs centaines de milliers d’hommes nous encerclait, nous poursuivait, s’opposait à notre avance et nous arrêtait au passage; sur notre chemin, nous nous sommes heurtés à des difficultés et à des dangers incalculables.
Cependant, en nous servant seulement de nos deux jambes, nous avons fait plus de 20.000 lis, traversant en long et en large onze provinces. Dites-moi, est-ce que dans l’histoire il y a jamais eu une longue marche comme la nôtre?
Non, jamais. La Longue Marche est un manifeste.
Elle a annoncé au monde entier que l’Armée rouge est une armée de héros, que les impérialistes et leurs valets, Tchiang Kaï-chek et ses semblables, ne sont bons à rien. Elle a proclamé la faillite de l’impérialisme et de Tchiang Kaï-chek dans leur tentative de nous encercler, de nous poursuivre, de s’opposer à notre avance et de nous arrêter au passage.
La Longue Marche est un instrument de propagande.
Elle a fait savoir aux quelque deux cents millions d’habitants des onze provinces traversées que la voie suivie par l’Armée rouge est la seule voie de leur libération. Sans cette Longue Marche, comment les larges masses populaires auraient-elles pu apprendre aussi rapidement l’existence de la grande vérité incarnée par l’Armée rouge ?
La Longue Marche est aussi une machine à semer.
Elle a répandu dans les onze provinces des semences qui germeront, porteront des feuilles, des fleurs et des fruits, et qui donneront leur moisson dans l’avenir.
En un mot, la Longue Marche s’est terminée par notre victoire et par la défaite de l’ennemi.
Qui l’a conduite à la victoire ? Le Parti communiste.
Sans lui, une longue marche de ce genre eût été inconcevable. Le Parti communiste chinois, sa direction, ses cadres et ses membres n’ont peur d’aucune difficulté, d’aucune épreuve.
Quiconque met en doute notre capacité de diriger la guerre révolutionnaire tombe dans le bourbier de l’opportunisme. Une situation nouvelle s’est créée aussitôt après la Longue Marche.
Dans la bataille de Tchelouotchen, l’Armée rouge centrale et l’Armée rouge du Nord-Ouest, unies fraternellement dans le combat, ont brisé la campagne « d’encerclement et d’anéantissement » lancée par le traître Tchiang Kaï-chek contre la région frontière du Chensi-Kansou, posant ainsi la première pierre de l’œuvre entreprise par le Comité central du Parti — la fondation d’un quartier général national de la révolution dans le Nord-Ouest.
Telle est la situation de l’Armée rouge; qu’en est-il de la guerre de partisans dans les provinces méridionales? Là, nos détachements de partisans ont subi quelques revers, mais n’ont nullement été anéantis. En bien des endroits, ils se reconstituent, grandissent et se développent.
Dans les régions contrôlées par le Kuomintang, les ouvriers ont déjà porté la lutte hors de l’usine, passant de la lutte économique à la lutte politique. La lutte courageuse de la classe ouvrière contre l’impérialisme japonais et les traîtres à la nation est en pleine fermentation et, à en juger par la situation, le jour n’est pas loin où elle éclatera.
La lutte paysanne n’a jamais cessé. Accablés par l’agression étrangère, les désordres intérieurs et les calamités naturelles, les paysans ont largement développé leur lutte sous forme de guerre de partisans, de soulèvements populaires, d’émeutes de la faim, etc.
La guerre de partisans antijaponaise dans le Nord-Est et le Hopei oriental est leur réplique aux attaques de l’impérialisme japonais.
Le mouvement étudiant a pris un essor considérable et s’étendra certainement dans l’avenir.
Mais pour poursuivre sa marche et briser tous les obstacles créés par la loi martiale qu’ont imposée les traîtres et par la politique de sape et d’assassinats massifs que pratiquent la police, les agents secrets, les fripouilles du monde de l’enseignement et les fascistes, il doit coordonner son action à la lutte des ouvriers, des paysans et des soldats.
Nous avons déjà parlé des hésitations de la bourgeoisie nationale, des paysans riches et des petits propriétaires fonciers et de leur participation éventuelle à la lutte antijaponaise.
Directement menacées par l’impérialisme japonais, les minorités nationales, et en particulier celle de la Mongolie intérieure, se sont levées pour la lutte.
Dans l’avenir, leur lutte se fondra avec celle du peuple de la Chine du Nord et avec les actions de l’Armée rouge dans le Nord-Ouest.
Tout cela montre que la révolution perd son caractère local et prend une ampleur nationale, qu’elle passe progressivement de son état de développement inégal à une certaine égalité de développement. Nous nous trouvons à la veille de grands ébranlements.
Notre Parti a pour tâche de constituer un front uni national révolutionnaire en coordonnant l’action de l’Armée rouge et celle des ouvriers, des paysans, des étudiants, de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie nationale dans toute la Chine.
LE FRONT UNI NATIONAL
Après avoir examiné la situation dans le camp de la contrerévolution comme dans les rangs de la révolution, nous pouvons maintenant définir aisément les tâches tactiques du Parti.
Quelle est la tâche tactique fondamentale du Parti??
C’est la création d’un large front uni national révolutionnaire, et rien d’autre.
Lorsque la situation de la révolution se modifie, la tactique et les méthodes de direction de la révolution doivent être modifiées en conséquence. La tâche que se proposent l’impérialisme japonais, les collaborateurs et les traîtres est de transformer la Chine en une colonie; la nôtre est de faire de la Chine un État libre et indépendant, jouissant de son intégrité territoriale.
C’est une grande tâche pour la Chine que de conquérir son indépendance et sa liberté. Elle implique une guerre avec l’impérialisme étranger et avec la contre-révolution intérieure. L’impérialisme japonais est résolu à foncer droit devant lui.
Dans notre pays, les forces contre-révolutionnaires des despotes locaux, des mauvais hobereaux et de la bourgeoisie compradore sont, pour le moment, supérieures aux forces révolutionnaires du peuple.
Les forces de l’impérialisme japonais et de la contre-révolution chinoise ne peuvent pas être écrasées en quelques jours et nous devons nous préparer à y consacrer beaucoup de temps; elles ne peuvent l’être avec des forces infimes et nous devons accumuler des forces puissantes. En Chine comme dans le monde entier, les forces de la contre-révolution sont plus faibles que dans le passé et les forces de la révolution ont grandi.
C’est là une appréciation correcte, qui porte sur un aspect de la question. Mais nous devons souligner que les forces de la contre-révolution en Chine et dans le monde sont pour l’instant plus puissantes que celles de la révolution. C’est là également une appréciation juste, qui représente l’autre aspect de la question.
Le développement inégal de la Chine sur le plan politique et économique engendre le développement inégal de la révolution. La révolution commence, se développe et triomphe toujours en premier lieu dans les régions où la contre-révolution est relativement faible, alors que dans les régions où la contre-révolution est forte, la révolution ou bien n’a pas encore surgi, ou bien se développe très lentement.
Telle fut longtemps la situation dans laquelle se trouvait la révolution chinoise.
Un développement général de la situation révolutionnaire est à prévoir dans l’avenir, à certains moments, sans que ce caractère d’inégalité cesse pour autant. Pour passer de cette inégalité à une égalité générale, beaucoup de temps et beaucoup d’efforts sont encore nécessaires et il faut que le Parti adopte une ligne tactique correcte.
La guerre révolutionnaire dirigée par le Parti communiste de l’U.R.S.S. fut achevée en trois ans, mais celle que dirige le Parti communiste chinois exige que nous soyons prêts à y consacrer encore tout le temps nécessaire — et elle en a déjà demandé beaucoup — pour en finir complètement et définitivement avec les forces de la contre-révolution intérieure et extérieure. Une impatience excessive, comme celle qui s’est manifestée dans le passé, est inadmissible.
De plus, nous devons élaborer une saine tactique révolutionnaire; si l’on ne sort toujours pas de son cercle étroit, comme cela a été le cas dans le passé, on ne peut rien accomplir de grand.
Cela ne signifie pas qu’en Chine les choses ne doivent être menées qu’avec lenteur; non, il faut agir avec beaucoup d’énergie, car le danger de l’asservissement national nous interdit de nous relâcher ne fût-ce qu’une minute.
Désormais, la révolution va se développer beaucoup plus rapidement que par le passé, car la Chine et le monde entier approchent d’une nouvelle période de guerres et de révolutions.
Néanmoins, la guerre révolutionnaire en Chine sera longue, cela découle de la puissance de l’impérialisme et du développement inégal de la révolution.
Nous disons que la situation présente est caractérisée par l’imminence d’un nouvel essor de la révolution nationale, et que la Chine est à la veille d’une nouvelle et grande révolution englobant tout le pays; c’est là l’une des caractéristiques de la situation révolutionnaire actuelle.
C’est un fait et il montre un aspect des choses. Mais nous devons dire, également, que l’impérialisme demeure une force considérable, que le développement inégal des forces révolutionnaires constitue un sérieux point faible et que, pour écraser l’ennemi, il nous faut nous préparer à mener une guerre de longue durée; c’est là une autre caractéristique de la situation révolutionnaire actuelle.
C’est également un fait et il représente l’autre aspect de la question. Ces deux caractéristiques, ces deux faits sont là pour nous instruire et nous presser de nous adapter à la situation en changeant notre tactique et en modifiant nos méthodes de disposition des forces pour la poursuite du combat.
La situation présente exige que nous renoncions hardiment à l’attitude sectaire de « porte close », que nous formions un large front uni et que nous nous gardions de tomber dans l’aventurisme. Tant que n’a pas sonné l’heure de la bataille décisive et que nous n’avons pas les forces nécessaires pour livrer cette bataille, nous ne devons pas nous y jeter inconsidérément.
Je ne parlerai pas ici des rapports entre l’attitude de « porte close » et l’aventurisme, ni du danger que pourra représenter celui-ci dans l’avenir lorsque les événements prendront une grande ampleur; nous pourrons en discuter plus tard. Je me bornerai, pour l’instant, à expliquer que la tactique du front uni et celle de la « porte close » sont diamétralement opposées.
La première implique le recrutement de forces puissantes pour encercler et détruire l’ennemi.
La seconde, par contre, signifie combattre seul, dans un corps à corps acharné contre un ennemi redoutable.
La première se fonde sur l’idée qu’une juste estimation des changements possibles dans l’alignement des forces révolutionnaires et contre-révolutionnaires en Chine, à la suite de la tentative de l’impérialisme japonais de réduire celle-ci à l’état de colonie, est nécessaire pour apprécier correctement la possibilité de former un large front uni national révolutionnaire.
Sans une juste estimation des points forts et des points faibles de la contre-révolution japonaise comme de la contre-révolution et de la révolution chinoises, nous ne serons capables ni de comprendre pleinement la nécessité de former un large front uni national révolutionnaire, ni de prendre des mesures énergiques pour liquider l’attitude de « porte close », ni d’utiliser le front uni comme moyen d’organiser et de rallier des millions et des millions d’hommes ainsi que toutes les armées susceptibles de devenir des amies de la révolution, pour nous lancer à l’attaque de notre objectif principal, l’impérialisme japonais et ses valets, les traîtres chinois; et nous ne serons pas capables non plus d’appliquer notre tactique à la lutte pour l’objectif principal, nous disperserons au contraire notre feu de telle façon que nos balles atteindront nos ennemis secondaires, voire nos alliés, plutôt que notre ennemi principal.
Cela s’appelle de l’incapacité à repérer la bonne cible et du gaspillage de munitions.
En agissant ainsi, nous ne pourrons pas acculer l’ennemi et l’isoler, nous ne pourrons pas attirer à nous tous ceux qui ont rejoint le camp et le front ennemis sous la contrainte, tous ceux qui étaient hier nos ennemis mais qui peuvent aujourd’hui devenir nos amis. En fait, ce serait aider l’ennemi, ce serait freiner et isoler la révolution, la faire reculer, entraîner son reflux et même la conduire à la défaite.
La seconde, la tactique de « porte close », se fonde sur l’idée que tous les arguments ci-dessus sont erronés. Il faut que les forces de la révolution soient on ne peut plus pures, le chemin de la révolution on ne peut plus droit. N’est vrai que ce qui est inscrit dans nos canons.
La bourgeoisie nationale, dans sa totalité, est et restera éternellement contre-révolutionnaire. Il ne faut pas faire la moindre concession aux paysans riches. Les syndicats jaunes doivent être combattus à mort. Si nous serrons la main de Tsai Ting-kai, nous devons en même temps le traiter de contre-révolutionnaire.
Existe-t-il un chat qui n’aime pas le poisson ou un seigneur de guerre qui ne soit pas un contre-révolutionnaire?
Les intellectuels ne restent pas révolutionnaires plus de trois jours, et il est dangereux de les enrôler. En conclusion, l’attitude de « porte close » est l’unique baguette magique, et le front uni une tactique opportuniste.
Camarades, qu’est-ce qui est juste? Le front uni ou l’attitude de « porte close » ? Laquelle est la tactique marxiste-léniniste? Je répondrai sans la moindre hésitation: c’est le front uni et non l’attitude de « porte close ».
Un enfant de trois ans a beaucoup d’idées justes, mais on ne peut lui confier les grandes affaires de l’État ou du monde parce qu’il ne les comprend pas encore.
Le marxisme-léninisme est opposé à la maladie infantile qui se manifeste dans les rangs de la révolution. Or, c’est justement cette maladie infantile que défendent ceux qui s’en tiennent fermement à leur tactique de « porte close ».
La révolution, comme toute activité dans le monde, suit une voie toujours tortueuse et jamais rectiligne. L’alignement des forces dans les camps de la révolution et de la contre-révolution est susceptible de modifications, comme toutes choses dans le monde.
Deux faits essentiels ont servi de point de départ au Parti pour élaborer une nouvelle tactique, celle de la formation d’un large front uni: d’une part, l’impérialisme japonais veut transformer toute la Chine en une colonie, et d’autre part, il existe encore de sérieux points faibles dans le camp de la révolution chinoise.
Ce dont les forces révolutionnaires ont besoin aujourd’hui pour attaquer les forces contre-révolutionnaires, c’est d’organiser les masses populaires par millions et de mettre en mouvement une armée révolutionnaire puissante. Seule une force aussi importante est en mesure d’écraser l’impérialisme japonais ainsi que les traîtres et les collaborateurs, c’est là une vérité évidente pour tous.
Il s’ensuit que la tactique du front uni est la seule tactique marxiste-léniniste. La tactique de la « porte close » est au contraire celle du splendide isolement. Elle « fait fuir le poisson au plus profond des eaux et les moineaux au cœur des fourrés »; aux applaudissements de l’ennemi, elle repousse dans le camp ennemi ces millions et millions d’hommes, cette armée puissante.
En pratique, l’attitude de « porte close » sert fidèlement l’impérialisme japonais, ainsi que les collaborateurs et les traîtres. La pureté et la rectitude que ses partisans exaltent, voilà ce que condamnent les marxistes-léninistes et qui est bien fait pour réjouir l’impérialisme japonais. Nous rejetons résolument l’attitude de « porte close »; ce que nous voulons, c’est un front uni national révolutionnaire qui portera un coup mortel aux impérialistes japonais, ainsi qu’aux collaborateurs et aux traîtres.
LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE
Si notre gouvernement a été fondé jusqu’à présent sur l’alliance des ouvriers, des paysans et de la petite bourgeoisie urbaine, il nous faut dès maintenant le réorganiser de façon qu’il comprenne des membres de toutes les autres classes désireux de participer à la révolution nationale.
Pour le moment, un tel gouvernement aurait pour tâche essentielle de s’opposer à l’annexion de la Chine par l’impérialisme japonais.
Il sera assez largement représentatif pour inclure non seulement des personnes intéressées à la révolution nationale sans l’être à la révolution agraire, mais également, si elles le désirent, des personnes prêtes à lutter contre l’impérialisme japonais et ses valets sans être en état de s’opposer aux impérialistes d’Europe ou d’Amérique à cause des liens qui les unissent à eux. C’est pourquoi le programme d’un tel gouvernement doit être dans son principe adapté à la tâche essentielle, la lutte contre l’impérialisme japonais et ses valets, et nous devons en conséquence réviser la politique que nous avons suivie jusqu’ici.
L’existence d’un Parti communiste et d’une Armée rouge bien trempés constitue actuellement le trait distinctif du camp de la révolution. Cela est d’une importance primordiale. Si ce Parti communiste et cette Armée rouge n’existaient pas, d’énormes difficultés surgiraient devant nous.
Pourquoi ?
Parce que les collaborateurs et les traîtres, qui sont aussi nombreux que puissants en Chine, vont certainement s’ingénier à saper notre front uni; ils y créeront des dissensions en employant la menace et la corruption, en manœuvrant les différents groupements, et ils se serviront de leurs armées pour faire céder, pour écraser l’une après l’autre toutes les forces d’une puissance inférieure à la leur et qui veulent se séparer d’eux et s’unir à nous pour lutter contre le Japon.
Tout cela serait difficile à éviter si ce facteur vital— l’existence du Parti communiste et de l’Armée rouge — faisait défaut au gouvernement antijaponais et à l’armée antijaponaise.
La cause principale de la défaite de la révolution en 1927, c’est que, au temps où la ligne opportuniste prévalait à l’intérieur du Parti communiste, aucun effort ne fut fait pour élargir nos propres rangs (le mouvement ouvrier et paysan et l’armée conduite par le Parti communiste), et qu’on s’est contenté de s’appuyer sur un allié temporaire, le Kuomintang.
Finalement, l’impérialisme donna l’ordre à ses valets — les despotes locaux, les mauvais hobereaux et la bourgeoisie compradore— d’étendre leurs tentacules pour attirer à eux d’abord Tchiang Kaï-chek, ensuite Wang Tsing-wei, entraînant ainsi l’échec de la révolution.
A cette époque, le front uni révolutionnaire ne possédait pas de pilier central, pas de forces armées révolutionnaires puissantes; aussi, lorsque les défections commencèrent à se multiplier, le Parti communiste dut lutter seul et ne put déjouer la tactique des impérialistes et de la contre-révolution chinoise qui était d’écraser leurs adversaires l’un après l’autre.
Nous avions, il est vrai, l’armée de Ho Long et de Yé Ting, mais elle n’était pas encore assez forte politiquement et le Parti ne sut pas la diriger, aussi fut-elle finalement défaite. Cette leçon, payée de notre sang, nous a enseigné que l’absence d’un solide noyau de forces révolutionnaires voue la révolution à l’échec.
Maintenant, les choses sont différentes. Nous avons déjà un puissant Parti communiste, une puissante Armée rouge et nous avons aussi les bases d’appui de l’Armée rouge.
Non seulement le Parti communiste et l’Armée rouge se présentent aujourd’hui comme les promoteurs d’un front uni national contre le Japon, mais ils deviendront nécessairement dans l’avenir le puissant pilier du gouvernement antijaponais et de l’armée antijaponaise, capable d’empêcher les impérialistes japonais et Tchiang Kaï-chek de faire aboutir leur politique de dislocation du front uni.
Cependant, nous devons faire preuve de la plus grande vigilance, parce que les impérialistes japonais et Tchiang Kaï-chek auront certainement recours à toutes sortes d’actes d’intimidation et de corruption, à toutes sortes de manœuvres parmi les différents groupements.
Bien entendu, nous ne pouvons attendre de toutes les parties composantes du large front uni national antijaponais une fermeté semblable à celle du Parti communiste et de l’Armée rouge. Il peut arriver qu’au cours de leurs activités, certains mauvais éléments, sous l’influence de l’ennemi, se retirent du front uni.
Nous ne devons pas redouter la perte de ces gens-là. Pendant que, sous l’influence de l’ennemi, les mauvais s’en iront, sous notre influence, les bons éléments viendront nous rejoindre.
Le front uni national antijaponais subsistera et se développera tant que le Parti communiste et l’Armée rouge subsisteront et se développeront.
Tel est le rôle dirigeant du Parti communiste et de l’Armée rouge au sein du front uni national. Les communistes ne sont plus des enfants, ils savent ce qu’ils doivent faire et comment se comporter avec leurs alliés. Si les impérialistes japonais et Tchiang Kaï-chek sont capables d’user de manœuvres parmi les forces révolutionnaires, le Parti communiste est également capable de le faire au sein des forces de la contre-révolution.
S’ils peuvent attirer à eux les mauvais éléments existant dans nos rangs, nous pouvons aussi bien attirer à nous leurs « mauvais éléments » (qui sont pour nous de bons éléments). Si nous réussissons à attirer vers nous un grand nombre de personnes, les rangs de l’ennemi s’éclairciront et les nôtres grossiront. Bref, deux forces essentielles sont actuellement en lutte; toutes les forces intermédiaires devront se rallier à un camp ou à l’autre par la logique des choses.
Et la politique d’asservissement de la Chine pratiquée par les impérialistes japonais comme la politique de trahison que poursuit Tchiang Kaï-chek pousseront infailliblement vers nous un grand nombre de personnes, soit qu’elles rejoignent directement les rangs du Parti communiste et de l’Armée rouge, soit qu’elles constituent avec nous un front uni. Tout cela arrivera à condition que notre tactique ne soit pas celle de la « porte close ».
Pourquoi transformer la république des ouvriers et des paysans en république populaire?
Notre gouvernement ne représente pas seulement les ouvriers et les paysans, mais toute la nation. Cela était exprimé implicitement dans notre formule de république démocratique des ouvriers et des paysans, étant donné que les ouvriers et les paysans constituent les 80 à 90 pour cent de la population.
Le Programme en dix points, adopté par le VIe Congrès de notre Parti, exprime non seulement les intérêts des ouvriers et des paysans, mais aussi ceux de la nation tout entière. La situation présente exige cependant que nous remplacions notre formule par celle de république populaire.
En effet, l’agression japonaise a modifié les rapports de classes en Chine et rendu possible la participation à la lutte antijaponaise de la petite bourgeoisie et même de la bourgeoisie nationale.
Il va de soi que la république populaire ne représentera point les intérêts des classes ennemies.
Au contraire, elle sera directement opposée aux despotes locaux, aux mauvais hobereaux et à la bourgeoisie compradore, laquais de l’impérialisme, et ne les considérera pas comme faisant partie du peuple, exactement comme, à l’inverse, le « Gouvernement national de la République chinoise » de Tchiang Kaï-chek représente seulement les ploutocrates et non les gens du peuple, qui, pour lui, ne font pas partie de la nation.
La population de la Chine étant constituée dans une proportion de 80 à 90 pour cent par les ouvriers et les paysans, la république populaire devra en premier lieu représenter leurs intérêts.
Cependant, en rejetant l’oppression impérialiste pour donner la liberté et l’indépendance à la Chine et en brisant le pouvoir d’oppression des propriétaires fonciers de façon à libérer la Chine du régime semi-féodal, la république populaire profitera non seulement aux ouvriers et aux paysans, mais également aux autres couches du peuple.
Les intérêts des ouvriers, des paysans et du reste du peuple représentent, dans leur totalité, les intérêts de la nation chinoise.
La bourgeoisie compradore et la classe des propriétaires fonciers vivent sur le sol chinois, mais elles ne tiennent pas compte des intérêts de la nation, et leurs intérêts sont en conflit avec ceux de la majorité.
Comme nous ne rompons qu’avec cette petite minorité et n’entrons en lutte que contre elle, nous avons le droit de nous appeler les représentants de toute la nation.
Il y a, bien entendu, confit d’intérêts entre classe ouvrière et bourgeoisie nationale.
Il est impossible de développer avec succès la révolution nationale sans donner à son avant-garde, la classe ouvrière, les droits politiques et économiques ainsi que la possibilité de diriger ses forces contre l’impérialisme et ses valets, les traîtres à la nation. Cependant, si la bourgeoisie nationale adhère au front uni antiimpérialiste, la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale auront des intérêts communs.
Durant la période de la révolution démocratique bourgeoise, la république populaire n’abolira pas la propriété privée, à l’exception de celle revêtant un caractère impérialiste ou féodal, et, loin de confisquer les entreprises industrielles et commerciales de la bourgeoisie nationale, elle en encouragera le développement.
Nous devons protéger tout capitaliste national qui n’accorde pas son soutien aux impérialistes ou aux traîtres à la nation. A l’étape de la révolution démocratique, la lutte entre le Travail et le Capital a des limites.
La législation du travail de la république populaire protégera les intérêts des ouvriers, mais elle ne s’opposera pas à ce que la bourgeoisie nationale obtienne des profits et développe ses entreprises industrielles et commerciales, car ce développement nuit aux intérêts de l’impérialisme et sert ceux du peuple chinois. Il s’ensuit que la république populaire représentera les intérêts de toutes les couches du peuple en lutte contre l’impérialisme et les forces féodales.
Le gouvernement de la république populaire s’appuiera principalement sur les ouvriers et les paysans et comprendra des représentants des autres classes en lutte contre l’impérialisme et les forces féodales.Mais n’est-il pas dangereux de permettre à ces représentants de participer au gouvernement de la république populaire?
Non. Les ouvriers et les paysans constituent la masse fondamentale de cette république.
En accordant à la petite bourgeoisie urbaine, aux intellectuels et aux autres éléments de la population qui soutiennent le programme anti-impérialiste et antiféodal le droit de s’exprimer et de travailler au sein du gouvernement de la république populaire, ainsi que celui d’élire et d’être élus, nous ne devrions pas compromettre les intérêts des ouvriers et des paysans, masse fondamentale de la population.
La défense des intérêts de ces derniers doit constituer une partie essentielle de notre programme. La présence d’une majorité ouvrière et paysanne, le rôle dirigeant et l’action du Parti communiste au sein d’un tel gouvernement écarteront tout danger présenté par la participation des autres classes. Il est évident que la révolution chinoise, à son étape actuelle, est encore de caractère démocratique bourgeois et non socialiste prolétarien.
Seuls les contre-révolutionnaires trotskistes peuvent être assez insensés pour affirmer que la révolution démocratique bourgeoise en Chine est déjà accomplie et que tout développement ultérieur de la révolution ne saurait être que socialiste. La révolution de 1924-1927 est une révolution démocratique bourgeoise qui ne fut pas menée à son terme mais essuya une défaite.
La révolution agraire qui se poursuit sous notre direction depuis 1927 est également une révolution démocratique bourgeoise, parce qu’elle est dirigée contre l’impérialisme et le féodalisme et non contre le capitalisme. Pour un temps assez long encore, notre révolution conservera ce caractère.Les forces motrices de la révolution restent, pour l’essentiel, les ouvriers, les paysans et la petite bourgeoisie urbaine, auxquels peut actuellement se joindre la bourgeoisie nationale.
La transformation de notre révolution s’effectuera plus tard. Dans l’avenir, la révolution démocratique se transformera inévitablement en révolution socialiste. Quand ce passage se produira-t-il ?
Cela dépendra de la présence de certaines conditions nécessaires et peut requérir un temps assez long.
Nous ne parlerons pas inconsidérément de ce passage tant que toutes les conditions politiques et économiques nécessaires à cette transformation ne seront pas réunies, tant qu’une telle transformation ne sera pas utile mais nuisible à l’immense majorité de notre peuple.
On aurait tort de concevoir des doutes sur ce point et de s’attendre à un passage rapide à la révolution socialiste, comme l’ont fait certains camarades en soutenant que le jour où la révolution démocratique commencerait à triompher dans les principales provinces du pays marquerait le début de la transformation de la révolution.
C’est que ces camarades ne comprenaient pas la nature politique et économique de la Chine et ne se rendaient pas compte que l’accomplissement de la révolution démocratique, dans les domaines politique et économique, serait bien plus difficile en Chine qu’en Russie et demanderait beaucoup plus de temps et d’efforts.
L’AIDE INTERNATIONALE
Pour terminer, il convient de dire quelques mots sur les rapports entre la révolution chinoise et la révolution mondiale.
Depuis qu’est apparu ce monstre, l’impérialisme, tous les événements dans le monde sont si intimement liés qu’il est impossible d’en isoler aucun. Nous autres Chinois, nous sommes prêts à combattre l’ennemi jusqu’à la dernière goutte de notre sang, nous sommes résolus à recouvrer par nos propres efforts ce que nous avons perdu et nous sommes capables de tenir notre rang dans le concert des nations.
Néanmoins, cela ne signifie pas que nous pourrions nous passer de l’aide internationale. Non, de nos jours, l’aide internationale est nécessaire à tout pays, à toute nation qui mène une lutte révolutionnaire. Il y a un vieil adage qui dit: « A l’époque de Tchouentsieou, il n’y avait pas de guerres justes. »
Cela est encore plus vrai, actuellement, de l’impérialisme; il n’y a de guerres justes que pour les nations opprimées et les classes opprimées. Dans le monde entier, toutes les guerres menées par le peuple contre ses oppresseurs sont des guerres justes.
La Révolution de Février et la Révolution d’Octobre en Russie furent des guerres justes. Les révolutions menées par le peuple dans divers pays d’Europe à l’issue de la Première guerre mondiale furent des guerres justes.
En Chine, la Guerre de l’Opium, la Guerre des Taiping, la Guerre des Yihotouan, la Révolution de 1911, l’Expédition du Nord des années 1926-1927, la Guerre révolutionnaire agraire menée de 1927 à nos jours, la résistance actuelle au Japon et les actions punitives contre les traîtres sont toutes des guerres justes.
Avec l’essor actuel de la lutte antijaponaise dans l’ensemble du pays et de la lutte antifasciste dans le monde entier, les guerres justes s’étendront à toute la Chine et à tout le globe. Toutes les guerres justes se soutiennent mutuellement et toutes les guerres injustes doivent être transformées en guerres justes: telle est la ligne léniniste.
Dans notre résistance au Japon, nous avons besoin de l’aide des peuples du monde entier et, avant tout, de celle du peuple soviétique, qui ne manquera pas de nous l’accorder, car nous sommes liés avec lui par une cause commune.
Pendant un certain temps, les forces révolutionnaires chinoises furent coupées par Tchiang Kaï-chek des forces révolutionnaires dans le monde et, de ce point de vue, nous étions isolés. Maintenant, la situation a changé, et en notre faveur.
Dorénavant, cette évolution se poursuivra toujours à notre avantage. Nous ne serons plus isolés. C’est là une condition nécessaire à la victoire dans la résistance de la Chine au Japon et dans la révolution chinoise.