Dès « l’indépendance » acquise, l’Algérie devint celle des « colonels ». C’était inévitable vue la base du FLN – le féodalisme, l’idéologie religieuse, la petite-bourgeoisie urbaine visant à devenir une force bourgeoise à part entière.
Le processus fut immédiat, avec le triomphe dès 1962 du « clan d’Oujda » sur le Gouvernement provisoire de la République algérienne issu pourtant des maquis en Algérie même.
Oujda, ville marocaine, servait de base au groupe Ahmed Ben Bella-Houari Boumédiène.
Ce dernier est un personnage-clef, qui organisa toute une section militaire chargée de prendre les commandes de l’État à partir de l’armée présente aux frontières, extrêmement bien organisée et appuyée par les déserteurs de l’armée française.
Les 35 000 hommes hautement organisés et bien équipés se donnaient comme objectif de prendre en main l’État, par en haut ; nul hasard que ce regroupement prit comme mode de fumer des cigares cubains, en allusion à Fidel Castro.
Ce fut ainsi Ahmed Ben Bella qui devint le premier président algérien, adopte ainsi le style « cubain » tout en se rapprochant de l’Egypte de Nasser, qui fournit par exemple des instituteurs dans son opération d’arabisation forcée, passant également par l’écrasement des forces kabyles.
C’était là l’aboutissement inévitable de la nature du combat inité par le FLN. Il est important de voir que la guerre d’Algérie a duré plus de temps sous de Gaulle (46 mois, de juin 1958 à mars 1962) qu’auparavant (43 mois, de novembre 1954 à mai 1958). De Gaulle ne s’est pas débarrassé de l’Algérie française, il a accompagné un processus important, celui d’une pseudo indépendance algérienne.
Si le FLN a gagné, c’est que les masses arabes et kabyles étaient le véritable problème de fond de l’État français : elles exigeaient leurs droits et basculaient immanquablement du côté du FLN étant donné que personne d’autres ne leur en proposait.
Qui plus est, la répression française contre la population avait coûté la vie à pratiquement 200 000 personnes (par la suite l’État algérien gonflera les chiffres juqu’à 1,5 million de personnes tuées).
Ce caractère intenable expliquait le basculement de la population, son soutien au FLN. C’est là un aspect essentiel.
Toutefois, ce soutien n’était pas une mobilisation générale et le FLN ne concevait la guérilla que comme baroud, comme piqûres de guêpe, sans aucune stratégie de prise de pouvoir.
L’affaiblissement était inévitable et de fait, en 1962, le FLN avait perdu un peu plus de 71 000 membres dans les affrontements; il avait été terriblement affaibli par les déplacements forcés de plus de deux millions de personnes, ainsi que l’exode à travers le pays de plus d’un million de personnes.
C’est le paradoxe historique : le FLN, au moment de l’indépendance, ne comptait plus que 3400 guérilleros, 12 000 auxiliaires, avec par contre donc 35 000 hommes armés au Maroc et en Tunisie disposant d’une artillerie agressive aux frontières.
Il était évident que cette seconde force l’emporterait et la France le savait nécessairement.
Militairement, le FLN n’avait nullement gagné, il était même largement neutralisé. L’élan irrationnel permis par l’idéologie fondamentaliste avait largement mobilisé, mais pour aboutir à un échec militaire complet.
Cela, l’État français en avait totalement conscience et il savait que le nouvel Etat algérien devrait composer de manière significative avec la France et ce fut bien le cas, dès 1962.
C’était un calcul cynique, bien entendu au prix assumé de la population française restant en Algérie. Le 24 mai 1962, Charles de Gaulle put ainsi expliquer au Conseil des ministres qu’après l’auto-détermination :
« Si les gens, s’entre-massacrent, ce sera l’affaire des autorités algériennes. »
Les masses de l’Algérie indépendantes elles-mêmes manifestèrent sous le mot d’ordre « Sabaâ snin barakat », « sept ans ça suffit ! », alors que le pays basculait dans la guerre civile.