Al-Farabi et les critères du prince

L’incohérence d’Al-Farabi dans la question du chef se lit dans les critères qu’il donne à ce sujet.

Il faut bien voir cependant qu’Al-Farabi a fait émerger la science politique dans l’aire arabo-persane, en posant une identité entre le philosophe et l’Imam dans la position du chef.

Même si cette incohérence s’explique alors historiquement par l’émergence du chiisme (comme force politique) dont il relève ou auquel il converge, on dépasse en effet en même temps la situation particulière pour atteindre l’universel. C’est cela qui sera marquant par la suite.

Lorsque Al-Farabi dit que le but de la cité ne peut pas être seulement de subsister, ni même de disposer de la richesse ou de profiter des plaisirs (ou des passions individuelles), d’avoir de la renommée ou de la puissance, il pose une exigence de contenu, de bonheur naturel.

D’où le contenu des « dispositions » que le philosophe-Imam doit posséder afin d’être authentique :

– avoir les organes au complet et assez puissant pour ce qui doit être accompli ;

– être doué pour comprendre ce qu’on lui dit selon le sens visé ;

– avoir une bonne mémoire ;

– avoir l’esprit perspicace ;

– avoir une belle élocution et pouvoir énoncer avec une clarté parfaite ce qui est voulu ;

– aimer s’instruire et y parvenir sans peine ;

– être contre les excès dans la nourriture, le plaisir charnel, etc. ;

– aimer la vérité et les véridiques, haïr le mensonge et les menteurs ;

– avoir de la grandeur d’âme et aimer la dignité ;

– mépriser les richesses et les biens de la terre ;

– aimer la justice et les justes, haïr l’injustice et la tyrannie et ceux qui les commettent ;

– être d’une forte décision, audacieux et entreprenant dans ce qui doit être accompli.

Mais en même temps, comme un tel chef est bien rare, Al-Farabi relativise et dit qu’il faut au moins les critères suivants, ce qui le fait basculer dans le conservatisme et le traditionalisme :

– être sage ;

– être savant, connaître les lois et traditions établies par les premiers chefs et s’y conformer fidèlement ;

– exceller dans l’art de la déduction au sujet des cas non prévu par les prédécesseurs ;

– avoir une grande puissance de réflexion et de déduction pour prévoir les événements non prévus par les premiers chefs, et pouvoir les résoudre pour améliorer l’état de la cité ;

– avoir une excellence de direction par la parole vers les lois des premiers chefs et celles qui ont été déduite à leur suite ;

– avoir une fermeté corporelle pour pouvoir mener les opérations de guerre, et posséder l’art militaire.

La démarche d’Al-Farabi l’amène à toujours à se retourner en son contraire. D’où l’incohérence de la définition générale du chef en témoigne :

« Le chef de la cité idéale ne peut pas être n’importe quel être humain, car la présidence suppose deux conditions : l’une d’elles est que le chef soit préparé par la disposition et l’aptitude, et la deuxième qu’il ait en lui une disposition et une habitude volontaire. »

Cette définition est en effet abstraite, tombant dans le formalisme en n’étant pas capable de se tourner vers la dignité du réel. C’est une définition « métaphysique » au sens erroné du terme.

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