La ligne présentait le plus grand danger dans le travail de Rodtchenko. De par sa formation de peintre cubo-futuriste – ce qu’il est en premier lieu, avant de se transformer en photographe – il aurait pu faire de la ligne quelque chose qui relève du fétiche. Si parfois il n’échappe pas à cette tendance, son travail sur la lumière lui permet heureusement de faire de la ligne un outil pour le renforcement de la vision réaliste des choses.
Cette photographie d’un chantier témoigne de l’intense activité, de l’activité planificatrice, du labeur créatif qui se développe, et cela à grande échelle. Les lignes permettent d’appuyer la dimension du chantier, mais de souligner qui plus est qu’il s’agit d’une entreprise collective.
Bien souvent, la photographie de Rodtchenko est par ailleurs résumée, de manière trop simple, à un jeu sur la lumière et sur les lignes. C’est là une erreur, car le photographe russe ne place pas la lumière et les lignes comme une fin en soi. Il n’est pas un photographe constructiviste ; il est flagrant que son activité de photographe exprime une rupture avec sa peinture cubo-futuriste.
C’est bien pour cela qu’à la fin de sa vie, il reviendra à celle-ci, après avoir épuisé ce qu’il pouvait apporter à la photographie réaliste. Rodtchenko est un contributeur, il ouvre des perspectives, alors que la photographie est en plein développement historique.
La photographie suivante reflète bien cette dynamique à la croisée de l’expérimentation, de la contribution, et du réalisme le plus vif. On a ici un portrait qui, de par la grâce exposée, est d’une véritable modernité. Le mouvement qui se dégage, la linéarité des traits, la légèreté qui s’affiche, tout se combine au point qu’on a l’impression de voir le moment d’une scène de film.
La photographie suivante est un autre exemple d’anticipation de la modernité photographique. Un nombre incalculable de photographes se sont évertués à photographier des objets similaires, pour s’entraîner ou chercher à se rapprocher de l’élégance, de la pureté de la représentation graphique obtenue par Rodtchenko.
Mais si l’on sort de la dignité du réel, de la reconnaissance de la matière, alors l’approche est entièrement formelle. La photographie n’a ici de sens que dans le cadre d’un reportage. Sinon, elle est vaine.
C’est en sachant placer cette perspective dans le cadre de la valorisation du labeur, de la construction socialiste, que Rodtchenko a pu s’inscrire dans l’histoire. Il apporte un témoignage particulièrement développé, mettant en avant les exigences d’organisation propre au travail.
Il ne suffit pas que la photographie soit de qualité, son contenu n’a de sens que lié à la réalité. La photographie suivante est un exemple de tendance au formalisme, même si dans un cadre relevant du reportage, on peut y voir une contribution à la saisie de la matière, pour en montrer les contours, les formes, la complexité, la subtilité.
Il est évident ici que Rodtchenko profite du vaste travail mené par le constructivisme sur les formes géométriques. Cela aurait pu être vain si cela en était resté aux abstractions métaphysiques d’une peinture sans représentation d’objets. Au lieu de cela, on a quelque chose qui a pu être ramené à quelque chose d’utile et fournissant une véritable plasticité.
La plasticité des meilleures photographies de Rodtchenko est évidente ; la densité, la texture, la matérialité qu’on y retrouve est d’ailleurs ce qui a toujours le plus ébloui chez lui.
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