Pour comprendre la critique qu’a reçu Alexandre Rodtchenko de la part des communistes, il faut saisir l’aboutissement de son parcours.
Après une première phase cubo-futuriste, Alexandre Rodtchenko s’inséra donc dans les activités de la jeune Russie soviétique. Il participa à la réalisation de publicités pour des organismes d’État, comme le grand magasin Gum, les épiceries Mossel’prom, la compagnie aérienne Dobrolet, de produits en caoutchouc de Rezinotrest, les éditions Gosizda, Krasnaïa Nov, Transpetchat, Molodaïa Gvardiïa. Entre 1923 et 1925, il réalisa plus d’une centaine d’entre elles, notamment en coopération avec le poète Vladimir Maïakovsky, qui se chargea des slogans.
Ce poète russe s’était en effet tourné, dans un esprit futuriste, vers des mots qui claquent pour servir la Cause révolutionnaire, tels :
« Moi,
toute mon éclatante force de poète,
je te la donne,
classe attaquante »
A cela s’ajoute pour Alexandre Rodtchenko des affiches politiques, mais également certaines pour la promotion de films, voire même des décors de films (ainsi pour La journaliste de Lev Koulechov, La poupée aux millions de Sergueï Komarov, Albidum de Leonid Obolenski), de spectacle, de théâtre, etc.
Parallèlement, il assume sa position de « constructiviste » et reste un activiste du milieu cubo-futuriste. Il est membre de la revue LEF (acronyme du Front gauche de l’art) puis Novyi Lef qui, De 1923 à 1928, assembla les éléments les plus dynamiques de cette mouvance. C’est Vladimir Maïakovski lui-même qui en fut à l’initiative, Alexandre Rodtchenko se chargeant notamment de toutes les couvertures de la revue.
Exemple du caractère gauchiste de l’initiative, Alexandre Rodtchenko demanda par exemple que des émissions de radio diffusent les bruits d’une gare, d’une salle de restaurant, d’une administration, d’un chantier, de la rue, d’une salle de cours, etc.
Par la suite, Alexandre Rodtchenko rejoignit Octobre, l’Union panrusse des travailleurs des nouvelles formes du labeur artistique, dont les membres se définissaient comme :
« des artistes de premier plan, producteurs dans le domaine de l’architecture, des arts industriels, de la cinématographie, de la photographie, de la peinture, du graphisme et de la sculpture, capables de subordonner leur activité créatrice aux besoins spécifiques du prolétariat dans le domaine de la propagande idéologique, de la production et de la conception de la vie collective dans le but de élever le niveau culturel et idéologique des travailleurs. »
Rapidement, la section photographique du groupe Octobre fut autonome. Or, la photographie soviétique s’était parallèlement elle-même mise en place.
En 1923 sont lancés les magazines illustrés Ogoniok (La flamme), Projektor, Kransaia niva (Le champ rouge). En avril 1926 commence la publication de Sovetskoe foto, la revue principale consacrée à la photographie soviétique.
L’éditorial anonyme du premier numéro présenta la situation comme la suivante :
– il y a les professionnels, artisans de la « photographie artistique » ;
– il y a les « cercles étroits des photos-artistes raffinés, des gastronomes de la photographie » ;
– il y a un petit nombre de reporters photos ;
– il y a une masse de photographes amateurs, livrés à eux-mêmes.
Le groupe Octobre, Alexandre Rodtchenko en tête, fut alors critiqué. Il lui fut reproché le formalisme. Il était considéré que cela correspondait à une conception élitiste, avec une fascination pour la forme.
Alexandre Rodtchenko voyait son travail placé comme convergeant directement avec ceux de l’Allemand Albert Renger-Patzsch, ainsi que du Hongrois László Moholy-Nagy. Il suffit de fait de voir les photographies d’Albert Renger-Patzsch pour voir effectivement le rapprochement, le formalisme étant flagrant chez celui-ci, le contenu n’étant qu’un très lointain arrière-plan.
Alexandre Rodtchenko se défendit en 1928 par un article de la Novy Lef, Grande inculture ou petite vilenie ?, cherchant à montrer que ses photographies étant même antérieures à celles occidentales, ratant ici le fond du problème qui était la convergence de son activité avec le formalisme des pays capitalistes.
Il parvint cependant à se remettre en cause. Ses initiatives seront alors incessantes, comme par exemple les reportages photographiques aux usines de camion Amo et de machines-outils et d’instruments Kasnyï proletariï en 1929, ou sur la construction du canal de mer blanche à la Baltique en 1933, la construction du canal Moscou-Volga en 1934.
La réorganisation des organisations artistiques en 1932 sous l’égide du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) permit également de poser un cadre solide.
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