Alexandre Rodtchenko est une photographe soviétique devenue une figure de la photographie mondiale. La raison de cela est qu’il a cherché à conférer à la photographie une nouvelle dignité en la reliant de manière ouverte au réel et à sa transformation.
Il y a ici un paradoxe en apparence, qui tient en réalité au processus inégal de développement. Initialement, Alexandre Rodtchenko appartient à la bourgeoisie intellectuelle qui, juste avant la révolution d’Octobre 1917, est attiré par deux choses. Tout d’abord, il y a un regard ému, attendri, sympathique avec la cause ouvrière et même, au-delà, avec les principes socialistes. De l’autre, il y a une fascination pour le remue-ménage provoqué par le développement du capitalisme en Russie.
Alexandre Rodtchenko est ainsi un fervent partisan des bolcheviks, mais de l’autre il est un peintre cubiste-futuriste, produisant des œuvres abstraites coupées de l’histoire du peuple et du peuple lui-même.
Il rompt alors avec sa peinture pour passer dans la photographie et élabore une conception qui est celle qui deviendra au début du 21e siècle celle d’Instagram, tout au moins si la démarche d’Instagram n’avait pas été entièrement corrompu par le capitalisme.
Alexandre Rodtchenko dit en effet la chose suivante. La peinture peut synthétiser un portrait, car elle est une mise en scène. La photographie ne le peut pas, à moins d’être finalement une peinture mise en photographie. Il ne faut par conséquent pas qu’une seule photo, mais beaucoup de photos.
Une seule photographie ne peut pas saisir le portrait de quelqu’un. Mais si on en a beaucoup, alors on obtient ce portrait. C’est la base de la portraitisation par série, étant la matrice culturelle d’un réseau social axé sur l’image comme présentation, tel Instagram avant son inévitable retournement en son contraire par les mises en scène, la retouche photo, la présentation d’une vie fictive.
C’est la base également du principe de la prise sur le vif comme reflet d’une partie du réel.
Dans un article pour la revue gauchiste Novi LEF, Alexandre Rodtchenko donne la conclusion suivante à son article Contre le portrait « synthétique, pour la prise de vue, en 1928 :
« Dites sincèrement, qu’est-ce qui doit rester de Lénine : des bronzes artistiques, des portraits par des peintures à l’huile, des gravures, des aquarelles, le journal quotidien de son secrétaires, les souvenirs de ses amis, ou bien un dossier de photographies, qui le montrent dans son travail et dans son temps libre, une archive de ses ouvrages, de ses notes, de ses carnets, des enregistrements à l’écrit de ses propos, des enregistrements filmés, des enregistrements pour tourne-disques ?
Je veux dire que le choix n’est pas difficile. Contre l’art, tout être humain cultivé moderne doit se mettre à lutter.
Ne mentez pas ! Photographiez, photographiez ! Fixer l’être humain non pas avec un portrait « synthétique », mais dans une pluralité de prises de vue, à l’occasion de moments les plus différents et des conditions les plus distinctes.
Peignez la vérité. Appréciez chaque chose dans sa vérité et sa modernité. Alors nous serons vrais et pas simplement des figurines. »
Le discours sur la prise de vue que tient Alexandre Rodtchenko est profondément inégal. En effet, par la prise de vue de moments différents, il vise lui-même une perspective synthétique.
On a ici une incohérence propre au constructivisme, dont il fut le principal chef de file. Le courant cubiste-futuriste en concurrence avec le constructivisme était le suprématisme de Kazimir Malevitch. Ce dernier se tournait avec l’abstraction pure.
Alexandre Rodtchenko était en désaccord. Le constructivisme était au contraire très volontaire pour se tourner vers le concret, pour se poser comme un accompagnement de la révolution technique et industrielle, appelant l’art à s’adapter à une perspective de planification et d’organisation.
La dimension subjectiviste était évidente, mais supervisée par le Parti dans le cadre du socialisme, la photographie d’Alexandre Rodtchenko put devenir productive.
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