L’Animal Liberation Front est un mouvement de masse qui a émergé en Angleterre dans les années 1970. Il s’agit du produit de la lutte des classes, dans les conditions propres à ce pays alors.
L’antagonisme y était particulièrement asséché : le mouvement ouvrier avait basculé dans le réformisme ouvert des syndicats, les trade-unions, ainsi que du parti travailliste, le Labour Party ; à aucun moment les communistes n’ont su développer une ligne de masses, en raison de leur incompréhension fondamentale tant de la réalité de leur pays que du matérialisme dialectique.
Pour cette raison, la lutte des classes ne pouvait pas passer par les domaines sous le contrôle du réformisme des trade-unions et du parti travailliste ; l’autonomie prolétaire prit alors la forme d’une confrontation violente avec un secteur très précis du mode de production capitaliste : l’utilisation des animaux.
Il y avait deux raisons essentielles pour cela :
– la réalisation du compromis ente l’aristocratie et la bourgeoisie à travers la monarchie constitutionnelle avait permis la continuation d’activités aristocratiques spécifiques, devenant spécifiques à leur identité (course de lévriers, chasse à courre, etc.) ;
– la généralisation de la consommation de produits d’origine animale se heurtait à une sensibilisation au rapport avec les animaux et plus globalement avec l’environnement.
La contradiction entre villes et campagnes sous sa forme britannique s’est ainsi exprimée sous la forme de l’Animal Liberation Front, consistant en une vague d’opérations de libération d’animaux de laboratoires et de destructions ciblant des boucheries, des véhicules, des laboratoires, etc.
L’Animal Liberation Front a atteint une telle dimension dans la société britannique que ce mouvement est devenu une composante en tant que telle de la culture de la vie quotidienne de ce pays. A son point culminant, l’Animal Liberation Front menait plusieurs actions par jour, dans un élan durant une décennie et marquant très profondément les esprits.
En fait, si les luttes de classes ne sont en Angleterre jamais parvenues à une maturité scientifique, elles ont su générer des formes romantiques de combat, trouvant dans le rapport entre les villes et les campagnes une source d’énergie qu’on ne trouvait pas dans le rapport entre le travail manuel et le travail intellectuel, de par le verrou syndical.
L’exemple le plus connu et le plus significatif de remise en cause du rapporentre les villes et les campagnes est le roman Les nouvelles de nulle part, publié en 1890, de l’immense artiste William Morris, grande figure des Arts & Crafts et proche des artistes dits les « préraphaélites ».
L’esprit de remise en cause d’une société entièrement bloquée par un conservatisme pesant, sous l’égide d’une monarchie sacrée et d’un nationalisme insulaire systématique, a profité de la dénonciation du caractère abstrait, invivable, anti-naturel des conditions de vie imposées par le capitalisme.
Cette approche se fonde donc principalement sur un ressenti, une aigreur fondamentale vis-à-vis de la société anglaise.
Pour cette raison, l’Animal Liberation Front est la conjugaison immédiate de trois phénomènes :
– la sentiment intense de frustration des structures de lutte en faveur des animaux, faisant face à un véritable mur, notamment en ce qui concerne la vivisection ;
– l’existence dans les décombres du mouvement punk de velléités de révolte orientées dans une perspective positive ;
– le décrochage de personnes d’extrême-droite de leur cantonnement dans une esthétique nazie nihiliste pour tenter de réaliser une vraie contribution « communautaire ».
Cela sous-tend un profond apolitisme et l’ALF n’est pas ici différente en soi des très nombreux mouvements de jeunesse née dans une Angleterre façonnée par un rapport à la ville, aux campagnes, qui a produit toute une série d’attitude rebelles à différents degrés (punks, skinheads, mods, rock progressif, british wave of heavy metal, etc.).
La particularité du développement britannique dans son ensemble tient à cette caractéristique. Il n’y a pas eu de Lénine et de Mao Zedong, mais les Beatles et Pink Floyd, les Rolling Stones et Led Zeppelin, Genesis et Iron Maiden, Joy Division et The Smiths, The Cure et New Order, etc.
Tous ces artistes ne présupposent pas simplement une musique, mais également une esthétique, un look, un style, une manière de voir la vie, certaines attitudes, etc.
Si on ne saisit pas cette dimension, on ne peut pas comprendre ce qu’a été l’ALF, qui a été un mouvement apolitique, anti-politique, et pourtant totalement politique.
Ce point est très important également pour savoir comment traduire l’acronyme ALF et sa signification anglaise d’« Animal Liberation Front ».
La traduction la plus répandue est « Front de Libération des Animaux ». Pourtant, la traduction à l’origine, si l’on remonte à juin 1984 avec la toute première génération de gens de l’ALF en France, donne « Front de Libération de l’Animal ».
Qui plus est, une traduction vraiment littérale donnerait « Front de Libération Animale », voire « Front de la Libération Animale ».
Or, on se doute bien que le terme a été choisi en allusion aux « fronts de libération nationale ». La question nationale est ici remplacée par la question animale. Ce que pose l’ALF comme concept, c’est la « libération animale », expression largement employée dans les documents du mouvement.
Il ne s’agit pas que de libérer des animaux, mais d’obtenir la libération de tous les animaux, à travers un front de lutte le plus large possible, ce que l’ALF britannique ne cessera de souligner. La libération animale est le concept au cœur de la stratégie proposée.
La traduction « Front de Libération des Animaux » n’a donc aucun sens, car elle parle de la libération d’animaux – ce que fait l’ALF – sans poser le rapport avec l’objectif à long terme de l’ALF : la libération animale.
La traduction sous la forme de « Front de Libération de l’Animal » semble donc davantage pertinente, mais elle n’a pas de sens eu égard au décalage par rapport au concept de « libération animale ».
La véritable traduction est donc clairement « Front de Libération Animale ». Sans cette traduction, on perd de vue la base morale du mouvement, son exigence du véganisme comme rapport non conflictuel avec les animaux, et au-delà, même, d’un rapport positif.