Comme déjà mentionné, c’est l’aspect le moins connu de l’Amérique latine, car les latino-américains ne mettent pas cette dimension réellement en avant.
Elle saute aux yeux, néanmoins, quand on y prête l’attention. L’Amérique latine est toujours un « idéal » à atteindre et la dimension « raciale » est toujours présente.
Cette dimension « raciale » est souvent maquillée derrière le côté spiritualiste de la chose ; il n’en reste pas moins que l’idéologie latino-américaine revendique un certain « physique ».
L’Amérique latine représente un « idéal », un futur à obtenir, et ce sont des latino-américains « racialement » définis qui doivent le réaliser. Ariel résume très bien cette conception systématiquement présente dans les variantes de l’idéologie latino-américaine.
« Peut-être, dans notre caractère collectif, les contours sûrs de la « personnalité » font-ils défaut.
Mais en l’absence de cette nature parfaitement différenciée et autonome, nous, Latino-Américains, avons un héritage racial, une grande tradition ethnique à préserver, un lien sacré qui nous unit aux pages immortelles de l’histoire, confiant à notre honneur sa pérennité.
Le cosmopolitisme, que nous devons attaquer comme une nécessité irrésistible de notre formation, n’exclut ni ce sentiment de fidélité au passé, ni la force directrice et formatrice avec laquelle le génie de la race doit prévaloir dans la refonte des éléments qui constitueront l’Américain définitif du futur. »
Ainsi, l’idéologie latino-américaine est toujours au départ et à l’arrivée de l’agitation des élites criollos pour trouver une porte de sortie à leur situation irrémédiablement instable, à leur statut parasitaire cosmopolite.
Elle porte un « idéal » vers lequel il faudrait tendre, une pureté absolue de portée transcendante source d’une nouvelle civilisation.
Et comme le pays latino-américains sont divisés et s’affrontent, cet aspect est d’autant plus renforcé par José Enrique Rodó.
Ici, on voit qu’Ariel représente en fait une idéologie fasciste tournée vers la jeunesse. L’Amérique latine est l’idéologie transcendante en laquelle la jeunesse doit s’identifier et se confondre.
On lit dans Ariel :
« La jeunesse redeviendra-t-elle une réalité de la vie collective, comme elle l’est de la vie individuelle ? (…)
Ce que l’humanité doit préserver de tout déni pessimiste, ce n’est pas tant l’idée de la bonté relative du présent, mais plutôt la possibilité d’atteindre un but meilleur grâce à un développement hâtif et dirigé de la vie, guidé par l’effort humain.
La foi en l’avenir, la confiance en l’efficacité de l’effort humain, sont les préalables nécessaires à toute action énergique et à tout projet fructueux (…).
Peut-être, universellement, aujourd’hui, l’action et l’influence de la jeunesse sont-elles moins efficaces et moins intenses qu’elles ne devraient l’être dans le progrès des sociétés humaines.
[L’écrivain et archéologue français] Gaston Deschamps l’a récemment constaté en France, commentant l’initiation tardive des jeunes générations à la vie publique et à la culture de ce peuple, et le peu d’originalité avec laquelle elles contribuent à la formation des idées dominantes.
Mes impressions sur l’Amérique actuelle, pour autant qu’elles puissent avoir un caractère général malgré le pénible isolement où vivent les peuples qui la composent, justifieraient peut-être une observation semblable.
Et pourtant, je crois voir s’exprimer partout le besoin d’une révélation active de forces nouvelles ; je crois que l’Amérique a grand besoin de sa jeunesse. »
Sous des dehors lyriques et intellectuels, Ariel est une œuvre qui pousse à l’action et c’est très exactement ainsi qu’elle a été interprétée en Amérique latine et qu’on lui a accordé un immense succès.
Ariel est, en définitive, l’affirmation du culte de la « raza » en action.
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L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)