Dans les Topiques, Aristote présente les champs, la méthode pour les distinguer, ne pas les confondre, bien les définir, etc. En voici un exemple :
« Par exemple, que c’est la même [chose] la sérénité dans la mer et la tranquillité dans l’air, car chacune est un calme; de même le point dans la ligne et l’unité dans le nombre, car chacun est principe.
Par conséquent, c’est en produisant à titre de genre ce qu’il y a de commun à tous [les cas semblables] qu’il fera figure d’endoxe [=opinion certaine devenant principe] que nous ne définissons pas étrangement. »
Aristote multiplie les conseils, tel :
« Il est évident aussi qu’on définit mieux par les choses antérieures et plus connues; de sorte que les deux définitions s’appliqueraient à la même chose. Mais cela ne saurait être; car chaque chose n’est uniquement que ce qu’elle est; or, s’il y a plusieurs définitions d’une même chose, il faudra que l’essence donnée dans chacune des définitions soit identique à l’essence de la chose définie.
Mais ces essences ne sont pas identiques, puisque les définitions sont diverses; donc il est évident qu’on n’a point défini, quand on n’a point défini par des choses antérieures au défini et plus connues que lui. »
Seulement voilà, une telle démarche est impossible à réaliser, du moins pour Aristote. Il faudrait ici arriver à une énorme compilation – et c’est d’ailleurs le but d’Aristote, car il sait que l’intellect agent est le grand compilateur et que par conséquent la science a comme but de re-dire tout ce qu’il formule lui-même comme principes premiers.
L’entreprise est cohérente, mais les Topiques apparaissent de ce fait comme des remarques intéressantes et ininterrompues, dont on ne finit par ne plus se sortir. Dans l’édition des Topiques de 1967, par la société d’édition Les Belles Lettres, des Topiques, on lit ainsi dès le début de l’introduction :
« Ce n’est assurément pas sur les Topiques que repose aujourd’hui la gloire d’Aristote. Comme philosophe et comme logicien, il a d’autres titres à notre admiration que ce livre qu’on ne lit plus beaucoup, et qu’on éprouve peu de remords à ne pas lire.
Des six traités que les éditeurs anciens de son œuvre ont réunis sous le nom collectif d’Organon, parce qu’ils intéressaient tous la logique, du moins à leurs yeux, et parce que la tradition aristotélicienne tenait cette discipline pour l’instrument de la science, plutôt que pour une science proprement dite, les Topiques sont certainement le plus long, et probablement le plus facile ; mais ils ne sont ni le plus génial, ni le plus stimulant, ni le plus fécond, ni même le plus lisible (…).
Aux yeux d’un lecteur moderne, toutefois, il semble que l’indifférence d’Aristote à rendre son texte d’une lecture agréable atteigne dans les Topiques un degré ailleurs inégalé.
Ses autres œuvres ne sont pas moins elliptiques ni moins sèches ; mais sous l’aridité de leur forme, elles laissent presque toujours apercevoir le mouvement d’une recherche laborieuse et obstinée.
Dans leur quasi-totalité, au contraire, les Topiques offrent l’aspect décourageant d’une mosaïque d’éléments juxtaposés, indépendants les uns des autres, tous taillés, à peu de choses près, sur le même patron, alignés à la suite comme les fiches d’un interminable fichier. »
C’est là une critique à la fois juste et injuste – juste, car les Topiques sont indigestes et se perdent, mais injustes car c’est une tentative de généraliser le principe de systématisation. En ce sens, les Topiques forment un manifeste matérialiste de par sa démarche.
Aristote est un titan du matérialisme ; il marque le début de son affirmation, ouvrant la séquence poursuivie après lui par Avicenne, Averroès, Spinoza.