Une compréhension erronée de la dialectique consiste à la voir comme un processus caractérisé par les étapes « thèse antithèse synthèse ». C’est une erreur que Mao Zedong a essayé d’éviter en soulignant qu’il n’existe pas une chose telle que la « négation de la négation ».
En France, une telle façon de voir la dialectique est très traditionnelle, un de ses promoteurs les plus importants étant Pierre-Joseph Proudhon, dont le « socialisme français » est une « synthèse » de la propriété privée et du socialisme conçus comme thèse et antithèse.
En fait, c’est le fascisme qui intervient en unifiant les pôles antithétiques. Le fameux document chinois sur « un devient deux »est ici très utile pour rejeter le principe « deux devient un ».
Selon « Le socialisme français », et nous devons y inclure ici l’anarchisme et le trotskysme, la « révolution » est le produit de la collision de la bourgeoisie et la classe ouvrière. Le fascisme réunit les deux, alors que l’anarchisme et le trotskysme prétendent les surmonter, dans le « socialisme démocratique », le « communisme libertaire », etc., ce qui n’est rien d’autre qu’une conception petite-bourgeoise.
En réalité, selon le matérialisme dialectique, chaque processus est une unité, une synthèse, consistant en l’unité des opposés. La bourgeoisie et la classe ouvrière ne se meuvent pas vers une « collision » : le syndicalisme révolutionnaire français est ici une caricature horrible d’une telle conception erronée.
La bourgeoisie et la classe ouvrière sont deux opposés de la même unité, du même processus, qui a été défini par le grand Karl Marx comme un mode de production.
La révolution socialiste n’est donc pas une lutte idéaliste d’un opposé contre un autre, mais l’expression matérielle de l’échec du mode de production. La classe ouvrière ne peut pas « décider » de faire la révolution – c’est une partie du mode de production, qui est uni et qui est limité dans le temps, en raison de transformations intérieures de la réalité elle-même.
Citons Mao Zedong qui est très précis ici :
« En fin de compte, le régime socialiste se substituera au régime capitaliste ; c’est une loi objective, indépendante de la volonté humaine. Quels que soient les efforts des réactionnaires pour freiner la roue de l’histoire dans son mouvement en avant, la révolution éclatera tôt ou tard et sera nécessairement victorieuse. »
« Les changements qui interviennent dans la société proviennent surtout du développement des contradictions à l’intérieur de la société, c’est-à-dire des contradictions entre les forces productives et les rapports de production, entre les classes, entre le nouveau et l’ancien. Le développement de ces contradictions fait avancer la société, amène le remplacement de la vieille société par la nouvelle. »
Dans la seconde citation, nous devons comprendre que la contradiction entre l’ancien et le nouveau, c’est la loi universelle de la matière en mouvement. Dans notre cas, la contradiction entre les forces productives et les rapports de production est l’aspect principal, la contradiction entre les classes est l’aspect secondaire, sa propre base étant l’aspect principal.
La contradiction entre les classes n’est pas « abstraite », avec des classes métaphysiques étant « thèse » et « antithèse », comme le syndicalisme révolutionnaire et de gauchisme essaient de l’expliquer.
Il y a en fait un mode de production, comme unité des contraires. Ce mode de production joue un rôle progressiste, puis se désintègre, comme nous pouvons le voir avec la « contradiction entre les forces productives et les rapports de production ».
Cette contradiction fait mûrir le rapport toujours plus antagoniste entre les classes.
C’est un enseignement tout à fait basique du matérialisme dialectique. Cela explique ici pourquoi la révolution démocratique chinoise n’a pas supprimé la bourgeoisie, étant donné que les conditions matérielles ne permettaient pas de procéder ainsi.
De la même manière, le Front populaire démocratique antifasciste propose une alliance de différentes classes non monopolistiques qu’il est absolument impossible à comprendre pour les gens voyant la lutte des classes comme un conflit entre une « thèse » et un « antithèse » qui devrait être surmontée en une « synthèse ».
En fait, avec le mode de production capitaliste, nous avons déjà une nouvelle unité (d’opposés), une synthèse, et le socialisme est une nouvelle synthèse dépassant l’ancienne. Le communisme sera également une nouvelle synthèse dépassant l’ancienne, c’est-à-dire le socialisme. Le processus sera éternel.
Mais qu’en est-il de la dictature du prolétariat, alors ? N’est-ce pas une conception appartenant à la perception de la lutte des classes comme une « collision » entre une thèse et une antithèse ?
Absolument pas. Il est erroné de considérer la dictature du prolétariat en tant qu’« antithèse » prolétarienne à la « thèse » de la dictature bourgeoise, avant la période socialiste de la « synthèse ».
Bien sûr, nous pouvons précisément voir comment l’anarchisme et le trotskysme soutiennent cette conception erronée.
La dictature du prolétariat n’est pas une négation de la négation. C’est une partie du mode de production socialiste en tant que tel. C’est un processus de réorganisation de la société, à tous les niveaux, avec le matérialisme dialectique prenant le commandement dans tous les domaines.
Il est incorrect d’imaginer que la dictature du prolétariat est une transition avant le socialisme – c’est en fait une partie du socialisme lui-même. Lénine, dans le classique qu’est L’Etat et la révolution, nous enseigne ici que:
« Cela, Engels l’a admirablement exprimé dans sa lettre à Bebel, où il disait, comme le lecteur s’en souvient : « … tant que le prolétariat a encore besoin de l’Etat, ce n’est point pour la liberté, mais pour réprimer ses adversaires. Et le jour où il devient possible de parler de liberté, l’Etat cesse d’exister comme tel. »
Démocratie pour l’immense majorité du peuple et répression par la force, c’est-à-dire exclusion de la démocratie pour les exploiteurs, les oppresseurs du peuple; telle est la modification que subit la démocratie lors de la transition du capitalisme au communisme (…).
L’expression [de l’extinction de l’État] est très heureuse, car elle exprime à la fois la gradation du processus et sa spontanéité. Seule l’habitude peut produire un tel effet et elle le traduira certainement, car nous constatons mille et mille fois autour de nous avec quelle facilité les hommes s’habituent à observer les règles nécessaires à la vie en société quand il n’y a pas d’exploitation, quand il n’y a rien qui excite l’indignation, qui suscite la protestation et la révolte, qui nécessite la répression.
Ainsi donc, en société capitaliste, nous n’avons qu’une démocratie tronquée, misérable, falsifiée, une démocratie uniquement pour les riches, pour la minorité. La dictature du prolétariat, période de transition au communisme, établira pour la première fois une démocratie pour le peuple, pour la majorité, parallèlement à la répression nécessaire d’une minorité d’exploiteurs. Seul le communisme est capable de réaliser une démocratie réellement complète; et plus elle sera complète, plus vite elle deviendra superflue et s’éteindra d’elle-même. »
La dictature du prolétariat n’est pas une antithèse, une nécessité « militaire » abstraite, mais toujours une composante du mode suivant de production : le socialisme.
Dans les années 1970, nous avons pu voir comment le guévarisme a défendu la lutte armée comme une « solution » technique, une « antithèse », alors que le maoïsme a proposé la guerre populaire, c’est-à-dire la lutte armée toujours connecté à la tâche de donner naissance à la nouvelle société, à travers des zones rouges où les rapports sociaux sont modifiés.
Le guévarisme a proposé le militarisme, le maoïsme a proposé les zones libérées militarisées – parce que pour le maoïsme, c’est-à-dire la troisième étape du matérialisme dialectique, la dictature du prolétariat n’est pas une « antithèse ».
Par conséquent, pour éviter l’erreur d’admettre une conception abstraite du type « thèse antithèse synthèse », nous devons avoir à l’esprit que la synthèse est un processus. Elle n’existe que dans la mesure où elle avance, à travers la dynamique de l’unité des opposés.
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