Avec Henri IV, Une équipe de protestants pour la modernisation du pays

La question n’est donc nullement le simple rapport catholicisme – protestantisme. Il faut bien avoir à l’esprit qu’on est déjà dans une situation où la féodalité de l’ancien Moyen-Âge disparaît. La monarchie absolue est déjà présente en grande partie. C’est la raison pour laquelle les états généraux n’ont pas été convoqués de 1484 à 1560.

Le régime est déjà centralisé, et se forge un appareil d’État qu’il lui faut assumer. La création de postes administratifs rémunérés mais exigeant un prix d’entrée provoque une explosion des salaires à payer : on passe de 1,2 millions de livres par an à cinq millions en 1585.

Si l’on met de côté le protestantisme de la partie sud de la France qui est lié pour beaucoup aux notables ayant des velléités d’autonomie, les protestants apparaissent ici comme l’expression la plus moderne, la plus intellectuelle du courant culturel porté par la monarchie absolue. Le protestantisme est une religion de gens cultivés, de bourgeois c’est-à-dire de marchands et de commerçants dont l’activité a donné naissance aux bourgs, ainsi que d’artistes et d’intellectuels.

Au départ du protestantisme français, on ne trouve peu ou pas de gentilshommes, même si Catherine de Bourbon, sœur du roi, fait partie initialement des protestants, avant son mariage forcé avec un prince lorrain ultra catholique.

La force du protestantisme tient véritablement aux figures les plus cultivées, les plus intellectuelles du pays. Pour cela il faut regarder ce qui se passe à Paris, car elles ont réussi à se lier au pouvoir royal qui, quittant la féodalité du Moyen-Âge, se modernise, formant les bases de l’État moderne.

Les 15 000 protestants parisiens ne forment que 1/20 de la population, mais ils sont très liés au pouvoir royal. Il y a même des cérémonies religieuses de 1500 personnes dans la salle des Cariatides du Louvre, avant que ne s’installent des temples à la périphérie parisienne : à Grigny, puis à Ablon et enfin à Charenton, toujours plus proche de la capitale, dans le dernier cas, la Seine servant de moyen de transport.

Les protestants parisiens sont souvent fonctionnaires royaux, ou bien fournisseurs royaux. On les retrouve dans l’entourage le plus proche du roi, le plus connu d’entre eux étant le duc de Sully, Maximilien de Béthune, lors du règne d’Henri IV. Mais on a également le secrétaire de la Chambre des finances Nicolas de Rambouillet, le trésorier général de France Claude Hérouard, le trésorier général de la cavalerie légère Jean du Jon, le trésorier général de la Maison de Navarre (et par ailleurs banquier) Gédéon Tallemant, le contrôleur général du commerce Barthélemy Laffemas.

On retrouve ici un aspect économique évident et il est significatif qu’un catholique important qui se convertisse soit Gilles de Maupeou, l’intendant des finances (et grand-père de Nicolas Fouquet). On retrouve des cas similaires avec le maître des comptes Antoine Le Maistre ou encore le maître de forges et auteur du Traité de l’économie politique Antoine de Montchrestien.

Les arts et techniques sont également largement présents. Le peintre Jacob Bunel décora les Tuileries, dont la galerie fut terminée par l’architecte Jacques Androuet du Cerceau. Le neveu de celui-ci, Salomon de Brosse, fut également architecte et il est notamment à l’origine du palais du Luxembourg, du Collège de France, de la grande salle du Palais de Justice.

Parmi les autres figures artistiques, on a les poètes Théodore Agrippa d’Aubigné et Guillaume du Bartas, les sculpteurs Ligier Richier et Jean Goujon, le céramiste Bernard Palissy,

On a aussi le musicien Claude Goudimel, l’ingénieur Jean Erard qui travailla dans les fortifications, Salomon de Caus qui fut hydraulicien (auteur de Raison des forces mouvantes), s’occupa des jardins de Louis XIII et travailla à installer à Paris des fontaines et à enlever les boues, alors que le médailleur Philippe Danfrie et Guillaume Dupré furent directeurs de la monnaie et s’occupaient des effigies royales.

L’orgue automatique hydraulique de Salomon de Caus, d’après le Hortus Palatinus (1621)

Ce protestantisme est d’un haut niveau intellectuel, la monarchie absolue ne peut pas se passer de lui. Toutefois, ce protestantisme est faible numériquement, alors que le catholicisme est majoritaire et agressif au possible. Telle est la situation à laquelle fait face Henri IV.

Il a besoin d’une équipe de protestants pour la modernisation du pays, mais le pays n’est pas prêt à l’admettre. L’Édit de Nantes va être un moyen politique de dépasser cette contradiction – aux dépens historiquement du protestantisme, et privant la France ici d’une grande partie de sa dimension progressiste.

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