La cause animale, un besoin de Communisme, une aire de l’antagonisme

Nous voulons ici parler de la cause animale, en tant que question relevant, selon nous, du Communisme. C’est là une démarche sous-jacente à notre identité politique depuis plus d’une décennie déjà, car nous sommes un courant politique portant une grande attention à la question de la vie quotidienne.

Tout au long des années 1980-1990, le véganisme est apparu dans une partie de la scène punk anglaise et américaine, ainsi que dans le mouvement autonome et les squats en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, en Suède, etc.

Il s’agit là de révoltes sociales authentiques au cœur des métropoles impérialistes. Il ne s’agit pas de phénomènes marginaux, se déroulant de manière séparée de la société. Il s’agit là de mouvements nés au cœur de l’antagonisme tel qu’il est possible dans les métropoles impérialistes.

Le poids croissant de la subjectivité dans les métropoles impérialistes implique l’affirmation consciente d’une rupture et celle-ci est totale dans sa définition même. Sinon, elle n’existe pas. Il ne peut pas en être autrement.

La RAF a bien formulé en 1982 la mentalité de ceux et celles choisissant, et ce forcément en pleine conscience, la rupture, déterminant leur identité dans la confrontation, nécessairement entière :

« L’opposition fondamentale en a plus que jamais terminé avec ce système. Elle est froide, sans illusions, inatteignable par l’État (…). Ce n’est qu’au-delà de la fin du système qu’une perspective de vie est concevable.

L’impérialisme ne dispose plus d’aucune perspective positive, productive ; il n’est plus que destruction. C’est le noyau de l’expérience à la racine de la nouvelle militance dans tous les domaines de la vie.

Une expérience matérielle avec les fondements de la vie économique, dans la course aux armements et les plans de guerre atomique, dans les conditions de vie naturelle et sociale…

Et dans la personne elle-même, sous la forme concrète de l’aliénation et de l’écrasement par la déformation massive et la mise à mort de la richesse individuelle de la pensée, du ressenti, de la structure de la personnalité. »

Le ressenti par rapport aux animaux s’appuie sur l’affirmation de la dignité du réel. Pour cette raison, il y a convergence dans les identités et les démarches de ceux et celles entendant vivre en rompant avec les valeurs dominantes. C’est le principe de lutter ensemble.

Il a toujours été clair pour nous que les affirmations de la cause animale, telles que posées par l’Animal Liberation Front, l’Animal Rights Militia et toutes les structures clandestines et offensives du même type, relèvent de la bataille pour la libération. Il s’agit d’une composante de la révolte générale contre le système dominant et ses valeurs.

Le véganisme : une contradiction au sein du peuple

Nous n’avons jamais fait du véganisme un critère d’appartenance à notre organisation. Nous avons considéré que ce serait là une erreur. Nous avons abordé le thème de manière culturelle, pourtant nous n’en avons jamais fait un critère discriminant.

Dans nos rangs, le véganisme apparaît toutefois depuis bien longtemps comme une sorte de norme, qui ne saurait être imposée, mais à laquelle on a vite fait d’appartenir. Nous avons ici appliqué la même approche que dans le mouvement autonome allemand des années 1990 : le véganisme ne peut pas être exigé, mais il est interdit de le critiquer.

Nous avons considéré que c’était là la meilleure option, car le véganisme est ce qu’on appelle une « contradiction au sein du peuple ». La notion est de Mao Zedong et désigne ce dont le peuple doit débattre, car en son sein il y a des opinions divergentes, exigeant rencontres, échanges, apprentissages, choix.

C’est le peuple lui-même qui doit faire l’expérience du véganisme, en débattre, se l’assimiler, se l’approprier concrètement, l’appliquer. Si le véganisme est une démarche historiquement correcte, alors le peuple l’assumera. C’est le peuple qui fait l’histoire. Tout est une question de déclics et ceux-ci ne peuvent pas s’imposer.

Cela ne veut nullement dire que le peuple peut lui-même formuler le véganisme. Cela serait croire en la spontanéité. Cela amène d’ailleurs des gens à se décourager et à penser que puisque le peuple ne peut pas, de lui-même, affirmer de manière formelle le véganisme comme démarche systématique, alors cela lui est extérieur, pour toujours. C’est là incorrect, car les idées ne peuvent être synthétisées que par le Parti. C’est la base du Socialisme : les idées viennent de l’extérieur de la classe, elles sont synthétisées par l’avant-garde.

Toute la difficulté est ici de combiner une affirmation avec ce qui doit être aussi seulement une proposition, à éventuellement accepter. Il faut à la fois être démocratique – car le peuple décide – et présenter les choses de manière suffisamment avancée pour présenter l’alternative.

C’est une contradiction et en ce sens c’est un moteur pour avancer. En tant qu’avant-garde, nous avons donc saisi la question du véganisme depuis bien longtemps, bien avant que cela n’émerge dans la société comme phénomène de masse. Nous avons été à la hauteur de nos ambitions et de nos exigences politiques. Personne ne peut ici nier notre caractère avant-gardiste.

Le Communisme pour tout le monde

Nous avons ainsi laissé l’option ouverte concernant le véganisme, même si nous considérons que tendanciellement, il y a deux raisons pour laquelle c’est une démarche ayant une pertinence substantielle. La première, c’est que comme l’a formulé Mao Zedong :

« Ou bien il y aura le Communisme pour tout le monde, ou bien pour personne. »

Partant de là, nous voyons mal pourquoi les animaux échapperaient au mouvement général de la matière éternelle allant au Communisme. Tout va au Communisme, c’est la base du matérialisme dialectique.

La matière évolue et étant inépuisable, elle s’appuie sur elle-même pour devenir plus complexe. Procédant par sauts, par synthèses, elle développe des formes plus approfondies, plus développées.

L’histoire de la matière vivante le montre bien. Rien n’est statique, la vie devient davantage complexe, avec plus de sensibilité, plus d’intelligence, plus d’actions et d’interactions, développant des liens plus avancés avec son environnement. Cela est vrai en général, avec la matière vivante comme force matérielle générale, comme en particulier, pour chaque être vivant.

Le processus ne s’arrête jamais.

L’exploitation de l’Homme par l’Homme a été une nécessité historique pour développer les forces productives. Cela a été un moyen temporaire. Cela s’efface devant la société communiste.

Lorsque le grand savant soviétique Vladimir Vernadsky parle dans les années 1920-1940 de la planète comme Biosphère, ainsi que de l’autotrophie de l’humanité – c’est-à-dire d’une existence humaine sans exploitation de la matière vivante – il parle clairement du Communisme comme tendance planétaire.

En ce sens, la matière vivante n’aura logiquement plus, à terme, le besoin de s’utiliser elle-même. À un certain degré de développement, la suppression d’êtres vivants par d’autres êtres vivants, afin de pouvoir exister, sera dépassé. C’est d’ailleurs le seul justificatif qui puisse y avoir au véganisme comme manière universelle d’exister à l’avenir.

La seconde raison, c’est que s’opposant aux guerres de conquête, l’affirmation du Socialisme s’allie forcément au refus de faire du mal à des êtres vivants. Le pacifisme et le végétarisme étaient des courants de pensées présents, dès le départ, dans le mouvement ouvrier.

Pour formuler la chose concrètement, nous voyons mal comment une révolution pourrait amener la socialisation des abattoirs. Il le faudra bien, mais pour s’en débarrasser, parce que personne ne voudra à terme y travailler. Il n’y a rien d’épanouissant à assassiner en série, c’est tout simplement indigne, psychologiquement insoutenable.

Nous ne voulons toutefois pas cantonner la cause animale dans un refus du meurtre. Cela serait unilatéral. Nous nous opposons à ce que dit l’Union Communiste (trotskyste), connue sous le nom de Lutte Ouvrière, dans son exposé « Cause animale, véganisme et antispécisme », publié dans son organe théorique Lutte de Classe de juillet-août 2019.

Il y est dit :

« Si la cause animale est de plus en plus prise en considération, cela tient d’abord à l’écœurement et à la révolte devant les conditions ignobles d’élevage, de transport et d’abattage des animaux destinés à l’alimentation humaine, et nous ne pouvons que partager cette indignation. »

Notre considération est tout à fait différente : nous pensons que la cause animale exprime un besoin de Communisme.

La réaffirmation du caractère sensible de l’humanité

Pour le matérialisme dialectique, l’être humain est un animal, qui a développé des facultés particulières, mais qui reste de la matière vivante parmi l’ensemble de la matière vivante. Comme le grand matérialiste Spinoza l’a parfaitement formulé, l’humanité n’est pas « un empire dans un empire ».

L’humanité, en émergeant historiquement et en éveillant sa prise de conscience d’elle-même, a fait un fétiche de sa propre apparition matérielle. Cela a produit l’anthropocentrisme. Celui-ci s’est systématisé notamment avec les religions.

Le mode de production capitaliste approfondit cette démarche, en séparant radicalement les villes et les campagnes. Cela a encore davantage éloigné l’humanité de la nature et donc l’humanité d’elle-même, puisque l’être humain est un animal et relève donc de la nature.

Le mode de production capitaliste a ainsi déformé l’humanité pour s’affirmer. Il l’a radicalement séparé des autres animaux, de la végétation, de l’océan, des montagnes, des collines, etc. L’être humain vivant dans le mode de production capitaliste est pétrifié dans l’urbanisation.

Le Socialisme est le renversement de cette pétrification, par le dépassement du mode de production capitaliste. Ce n’est pas un retour en arrière, mais un saut consistant en la réaffirmation du caractère sensible de l’humanité, de sa nature matérielle, en tant que matière vivante. Karl Marx, dans ses Manuscrits de 1844, explique ainsi que :

« Le communisme, comme abolition positive de la propriété privée – celle-ci étant aliénation de soi humaine – et, par conséquent, comme appropriation réelle de l’essence humaine par et pour l’être humain, donc comme retour complet, conscient et à l’intérieur de toute la richesse du développement antérieur, de l’être humain pour soi en tant qu’être humain social, c’est-à-dire comme être humain qui est humain.

Ce communisme est comme naturalisme achevé = humanisme, et en tant qu’humanisme achevé = naturalisme.

Il est la véritable dissolution du conflit de l’être humain avec la nature et avec l’être humain, la véritable dissolution de la dispute entre l’existence et l’essence, entre l’objectivation et l’auto-affirmation, entre la liberté et la nécessité, entre l’individu et le genre.

C’est l’énigme résolue de l’histoire et elle sait qu’elle en est sa solution. »

Nous pensons que reconnaître les animaux, c’est pour l’humanité se reconnaître elle-même, admettre sa propre sensibilité, son propre caractère entièrement matériel. C’est la grande récupération de ce qui a été déformé par le mode de production capitaliste, mais avec comme perspective l’avenir collectivisé.

L’animalité, un besoin de communisme

L’être humain est lui-même un animal. Son parcours historique sur la planète l’a amené à connaître un développement social avancé. La cause animale n’a donc de sens que si on la considère de manière juste, c’est-à-dire en considérant cette question en posant l’être humain lui-même comme un animal.

Pour nous, poser la question de l’animalité ce n’est pas seulement poser la question du rapport de l’être humain à l’animal, mais aussi celle de l’être humain à lui-même, comme animal.

Pour nous, disciples de l’enseignement de Karl Marx, il y a un besoin toujours plus universel de se rapprocher des animaux, de la nature.

Cela est sous-jacent à la séparation qu’a réalisé le mode de production capitaliste entre les villes et les campagnes. Le Socialisme vient dépasser cette situation historique. La cause animale et l’écologie sont des phénomènes parallèles correspondant à l’exigence de ce dépassement. Il s’agit d’une expression du besoin de Communisme.

L’humanité cherche dialectiquement à revenir à elle-même, mais en s’étant développée et donc, en même temps, dialectiquement, transformée. Elle porte en elle le besoin de revenir à sa propre nature, qui en même temps est nouvelle, sociale, et se pose comme réalité communiste.

Les deux obstacles au Communisme

L’affirmation de l’animalité humaine a toujours dû faire face à la religion. Cette dernière a cependant un double caractère particulièrement marqué, puisqu’elle est à la fois le rejet de l’animalité et en même temps son affirmation totalement déformée. De par son appel à aller au Paradis, la religion s’appuie sur des dynamiques du communisme primitif. Elle est un opium du peuple.

Il en va différemment de deux obstacles actuels au Communisme.

Tous les courants philosophiques idéalistes – fascistes, ainsi que bourgeois – modernistes contemporains, s’acharnent à nier la nature humaine comme animale-socialeet encore plus le fait qu’elle s’affirme justement dans la bataille pour la libération prolétarienne.

C’est un point très important. Le fascisme affirme que l’être humain est avant tout une brute, répondant à un besoin vitaliste de dominer ; l’idéologie libérale prétend que l’émancipation individuelle est par définition la négation de l’animalité humaine et de la nature.

1. Nous pensons ici que le fascisme italien et que le national-socialisme allemand ont justement triomphé en raison de cette sous-estimation fondamentale de cet aspect de la révolution socialiste qu’est l’appropriation de l’humanité par elle-même.

La démagogie des idéologies fascistes s’est appuyée sur le rejet de la « grande ville ». L’idéalisme fasciste prétend régénérer l’être humain, organiser une révolte contre la machine, contre le monde moderne. Sa démagogie vise à enlever le sol revenant au Communisme et faisant sa force historique.

2. L’idéologie libérale du capitalisme avancé prône des solutions ultra-individualistes comme émancipation censée être authentique, au nom du rejet complet de l’universel, de l’affirmation unilatérale du particulier. Le mode de production capitaliste a besoin de consommateurs ayant chacun leur « identité » propre.

Ces deux obstacles sont des ennemis de l’affirmation de l’être humain comme animal social.

La cause animale et son affirmation positive

Il va de soi que la condition animale au 21e siècle, totalement ignoble, révulse une partie significative des masses. Ce n’est pas pour rien que le mode de production capitaliste cache les abattoirs et les laboratoires pratiquant l’expérimentation sur les animaux.

Mais c’est la petite-bourgeoisie seulement qui réduit la cause animale à cet aspect, car elle espère freiner le capitalisme et c’est là pour elle un vecteur pour essayer de le faire.

L’aspect principal de la cause animale, sa substance même, est en réalité un rapport positif aux animaux.

Les démarches associatives comme celle de l’association L214 ne sont que des expressions petites-bourgeoises de panique devant le triomphe général du mode de production capitaliste, devant ses immenses capacités d’accumulation.

Cela se lit de manière nette dans les postures morbides, les discours culpabilisateurs résolument sinistres, l’absence de toute perspective utopique, le rejet de toute lecture de classe, l’acceptation de la domination totale et pour toujours du capitalisme, etc.

Nous ne parlons pas ici de la base des sympathisants de mouvements comme la ZAD ou l’association L214, car leur moteur est souvent une volonté de vivre différemment, dans le sens d’un besoin de Communisme. Mais cela est détourné par la petite-bourgeoisie.

Le moteur de la cause animale, c’est la sensibilité et l’universalité de cette sensibilité. C’est une affirmation matérielle, qui par conséquent doit assumer une démarche matérialiste. La cause animale, c’est celle de la matière vivante en générale et de son besoin de Communisme.

La cause animale et la dignité du réel

Nous avons cité le document de l’Union Communiste (trotskyste), connue sous le nom de Lutte Ouvrière,sur la cause animale, car c’est selon nous un signe que la question est désormais posée ouvertement, qu’une certaine maturité a été atteinte par la société. C’est pourquoi nous l’abordons désormais de manière si ouverte. Nous considérons qu’il fallait qu’un cap soit passé.

Peut-être cela a-t-il été une erreur, car nous connaissons la question de manière concrète depuis plus d’une décennie, cependant le matérialisme historique explique qu’il y a un temps pour tout.

Et justement, de manière dialectique, le futur a aussi ses exigences aujourd’hui. Si l’on admet que demain il faudra aborder de manière différente la question animale, alors il faut le faire tout de suite, sinon c’est nier l’avenir.

On ne peut pas aborder la question animale et nier la dignité du réel. On ne peut pas dire : la souffrance s’arrêtera demain, tout en acceptant la souffrance d’aujourd’hui. On ne peut pas dire : demain les gens ne mangeront plus de viande et continuer soi-même à le faire.

L’identité révolutionnaire s’affirme précisément dans la contradiction entre aujourd’hui et demain. La dignité du réel, c’est l’affirmation du besoin de Communisme !

L’Union Communiste (trotskyste), connue sous le nom de Lutte Ouvrière, a donc tort d’affirmer dans son document qu’on ne sait pas à quoi ressemblera le rapport aux animaux demain :

« Comment les hommes d’une société communiste organiseront-ils la production de nourriture ? Continueront-ils à produire et à manger de la viande ? Se contenteront-ils de produits végétaux, abandonneront-ils même complètement l’agriculture et l’élevage et choisiront-ils de se nourrir de produits synthétiques ?

Nous ne savons pas comment évolueront les rapports entre humains et animaux sous le communisme. La seule chose que nous pouvons affirmer avec certitude est que ce sera complètement différent d’aujourd’hui, et que nous sommes totalement incapables d’imaginer ce que ça pourra être ! »

Dire que tout va changer, mais refuser de changer soi-même dès aujourd’hui, ne tient pas une seule seconde. L’Union Communiste (trotskyste), connue sous le nom de Lutte Ouvrière, expose ici son incapacité à porter le Communisme humainement, tant subjectivement que matériellement.

Le Communisme n’est pas une société idéale se réalisant mécaniquement dans un horizon messianique. Il se formule dès à présent comme exigence historique devant se réaliser.

Le matérialisme dialectique permet justement la compréhension de la réalité et de ses exigences.

En l’occurrence, la contradiction villes-campagnes – comprise dans le sens de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong – permet bien de voir que la guerre à la nature cessera inéluctablement.

L’être humain reprendra sa place dans le mouvement général de la matière vivante, dépassant la situation de développement inégal qui l’a caractérisé. D’ailleurs, à l’échelle planétaire, l’humanité n’aura eu une évolution particulière que pendant une période extrêmement courte.

La classe ouvrière est en ce sens bien la classe la plus révolutionnaire de l’Histoire : elle va amener l’humanité à un nouveau rapport avec l’ensemble de la planète elle-même. L’ennemi à vaincre est, pour cette raison même, d’une ampleur inégalée.

Consommation aliénée et production aliénante

La question du véganisme se relie à celle de la vie quotidienne dans une société particulièrement développée, particulièrement organisée, particulièrement encadrante. La société, caractérisée par le 24 heures sur 24 de la domination du capitalisme, forme un obstacle énorme à la prise de la conscience de la réalité, mais également au fait d’en arriver à une action concrète.

Le poids croissant de la subjectivité dans la métropole impérialiste s’explique par le fait qu’il ne suffit pas de comprendre le capitalisme pour arriver à la rupture : il faut la choisir, la porter humainement.

Beaucoup de gens voient et fuient. Beaucoup de gens choisissent de ne pas voir.

C’est pratiquement une contre-révolution préventive, au moyen du temps brûlé pour des choses secondaires voire inutiles, de l’esprit accaparé par autre chose, de l’énergie psychique investie sur des fétiches ou bien au contraire totalement éparpillée, etc.

Avec la consommation capitaliste, il y a toujours quelque chose à faire, y compris pour perdre son temps.

À cela s’ajoute le noyau dur de l’exploitation capitaliste, qui brise les esprits et les corps, qui épuise mentalement, qui aliène. Karl Marx nous dit dans Le capital :

« L’analyse de la plus-value relative nous a conduit à ce résultat : dans le système capitaliste toutes les méthodes pour multiplier les puissances du travail collectif s’exécutent aux dépens du travailleur individuel ; tous les moyens pour développer la production se transforment en moyens de dominer et d’exploiter le producteur : ils font de lui un homme tronqué, fragmentaire, ou l’appendice d’une machine ; ils lui opposent comme autant de pouvoirs hostiles les puissances scientifiques de la production-, ils substituent au travail attrayant le travail forcé ; ils rendent les conditions dans lesquelles le travail se fait de plus en plus anormales et soumettent l’ouvrier durant son service à un despotisme aussi illimité que mesquin (…).

Il en résulte que, quel que soit le taux des salaires, haut ou bas, la condition du travailleur doit empirer à mesure que le capital s’accumule.

Enfin la loi, qui toujours équilibre le progrès de l’accumulation et celui de la surpopulation relative, rive le travailleur au capital plus solidement que les coins de Vulcain ne rivaient Prométhée à son rocher.

C’est cette loi qui établit une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »

On est ainsi pris entre Charybde et Scylla. Plus le capitalisme se développe, plus sa consommation enferre les gens dans de véritables prisons mentales, les dispersant comme individus consommateurs. Et pour cela, il y a davantage d’engagement des travailleurs dans la production, ce qui les amène à être encore plus aliénés, brisés.

Il est d’autant plus marquant que le véganisme s’exprime avec cette situation à l’arrière-plan. La cause animale parle des animaux, de manière universelle. Ce n’est pas un mouvement identitaire proposant une fuite individualiste (religions, communautarismes ethniques, LGBT, etc.) comme le capitalisme en propose tant.

La cause animale implique une transformation de toute la vie quotidienne, elle se définit par une critique des conditions existantes et a comme exigence un avenir censé être radieux. Son irruption historique comme thème dans l’ensemble de la population est ainsi bien plus qu’une anomalie : c’est un signal d’une déchirure dans tout le mode de production capitaliste. Cela se lit dans sa dimension culturelle.

La contestation et sa dimension culturelle

La France, une puissance impérialiste majeure, peut tout à fait se permettre d’avoir une pseudo-opposition contestataire, même à prétention révolutionnaire. L’Union Communiste (trotskyste), connue sous le nom de Lutte Ouvrière, dans le texte cité, prend cela comme argument pour rejeter la « mode vegan » :

« Le capitalisme est en train de « digérer » le véganisme, comme il a digéré bien des modes précédentes qui pouvaient apparaître comme contestataires. Car il est capable de tout digérer sauf la révolution prolétarienne ! Avec tout ce qui ne le remet pas en cause, il y a toujours moyen de faire des affaires. »

On peut utiliser comme contre-argument que lors de l’élection présidentielle de 2002, Arlette Laguiller de l’Union Communiste (trotskyste), connue sous le nom de Lutte Ouvrière, recevait plus de 1,6 million de voix et Olivier Besancenot, de la Ligue communiste révolutionnaire, plus de 1,2 million. Cela n’a rien apporté, ni rien changé. Et cela n’a évidemment même pas duré.

Pourquoi ? Parce qu’il n’y avait pas de dimension culturelle. Or, le véganisme est justement une culture. Le véganisme pose une question concrète. On ne peut pas se dire vegan et ne pas l’être, sans que cela ne se voit. Il y a une dimension jouant dans toute la vie quotidienne, dans le rapport aux animaux, morts comme vivants. Il y a des principes stricts s’appuyant sur une morale, ce qui se heurte aux traditions, aux réactionnaires, aux normes dominantes.

Un tel caractère strict peut en partie être utilisé par le capitalisme sur le plan de la consommation, mais s’il porte l’universel, alors c’est la confrontation, inévitable. Les vegans assumant leur démarche de manière authentique savent d’ailleurs très bien que leur dynamique, portée dans son entièreté, signifie la guerre aux valeurs dominantes, au système en tant que tel.

En ce sens, cela converge avec l’affirmation de la rupture dans les métropoles impérialistes !

Le capitalisme ne se laisse pas ébranler par des « mouvements sociaux », des revendications économiques, des manifestations ni même par des protestations, voire des grèves. Sans dimension culturelle et sans aspect politique, toute contestation s’enlise inéluctablement. C’est un simple constat que l’on peut faire depuis les années 1950 et l’émergence du capitalisme dans sa forme moderne, tout à fait développée.

Il a fallu le mouvement hippie pour que les États-Unis connaissent une véritable opposition interne d’ampleur significative et il en va de même en Allemagne de l’Ouest où c’est pareillement un mouvement de critique de la vie quotidienne qui a porté la nouvelle contestation dans les années 1960.

En Angleterre, le seul mouvement de rupture avec l’idéologie dominante a été justement porté par les défenseurs des animaux, qui ont réussi à développer un mouvement de masse.

Le processus révolutionnaire dans les métropoles impérialistes

En Italie, les ouvriers qui sont passés dans la confrontation se fondaient également sur un rejet de l’institutionnalisation, du corporatisme et du capitalisme tentaculaire sur la vie quotidienne. Le Collectif Politique Métropolitain, dans Lutte sociale et organisation dans la métropole en 1970, constate :

« Processus révolutionnaire métropolitain. Il n’a pas été encore suffisamment compris ce que cela signifie pour développer un processus révolutionnaire dans une aire métropolitaine de développement capitaliste tardif.

Les modèles révolutionnaires du passé ou les zones périphériques sont inapplicables. Notre problème est aujourd’hui de prendre acte de la réalité dans laquelle nous nous trouvons à opérer ; la difficulté de cette recherche ne doit pas nous conduire à faire semblant d’être en Russie en 1917 ou en Chine en 1927 (…).

Dans les aires métropolitaines nord-américaines et européennes, il existe déjà les conditions objectives pour la transition vers le communisme : la lutte est essentiellement la révolte pour créer les conditions subjectives (…).

Le rapport muté (par rapport au capitalisme classique) entre la structure et la superstructure, qui tend de plus en plus à coïncider, fait que le processus révolutionnaire se présente aujourd’hui comme à la fois global, politique et « culturel ».

Ce qui signifie que mutent substantiellement les rapports entre le mouvement de masse et l’organisation révolutionnaire, et par conséquent viennent également à muter radicalement les principes d’organisation (…).

À la violence globale d’un système qui tend à contrôler les citadins dans chacun de leurs actes publics et privés, il est nécessaire d’opposer l’engagement global du révolutionnaire, capable de transformer chacun de ses geste, chaque lieu de travail ou de résidence en un centre de lutte.

La révolution culturelle d’aujourd’hui fait corps avec la révolution politique : à cette opposition globale qui est capable de transformer en force son immense supériorité politique, culturelle et morale, le système ne peut seulement opposer que le poids de son oppression, de son chantage, de sa corruption.

Avec ces armes, aucun système n’a jamais réussi à survivre. »

Le fait est pour nous entendu :

Le processus révolutionnaire se présente aujourd’hui comme à la fois global, politique et « culturel ».

Le véganisme et la question de la supériorité morale de la révolution

Le véganisme a ceci d’exigeant qu’il porte une dimension morale. Or, il n’y pas de mouvement révolutionnaire sans un haut niveau permettant de poser une supériorité politique, culturelle et morale sur l’ancien système. Cela est même vrai en général pour tout remplacement d’un gouvernement, d’un régime par un autre, au moins en apparence.

Si François Mitterrand a été élu président en 1981, au lieu qu’il y ait un mouvement révolutionnaire issu de mai 1968, c’est que ce sont les socialistes qui ont, avec le programme commun, posé une démarche supérieure qualitativement aux yeux de masses. L’un des vecteurs du succès de François Mitterrand, c’est ainsi son obstination à réfuter la peine de mort. Cela lui a donné une grande aura morale, cela a parlé aux masses soucieuses de l’exigence de civilisation.

Pareillement, le retour de De Gaulle en 1958 s’est présenté comme une exigence d’ordre et de civilisation et il en va de même pour les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en 1940 ou le coup d’État de Napoléon III.

Or, on peut voir que le véganisme, comme exigence morale, se heurte directement aux formulations politiques réactionnaires proposant un retour en arrière comme solution à tous les maux. Le véganisme n’a pas existé dans le passé, il est donc irrécupérable par les réactionnaires et les nostalgiques de temps censés avoir été glorieux.

Le véganisme contient une charge idéologique violente : celle de la négation de tout romantisme passéiste, celle de l’affirmation de comportements moraux quitte à rompre avec les traditions.

Il est impossible de ne pas en voir la dimension révolutionnaire.

La vacuité des fausses alternatives

Il est aisé de voir que l’absence de dimension culturelle chez les révolutionnaires n’a jamais empêché l’existence en France d’un courant qu’on peut appeler le communisme « crème glacée ». C’est même le prix à payer pour la faiblesse du niveau culturel, idéologique, politique du camp révolutionnaire. Des formes pseudos révolutionnaires viennent emplir les espaces laissés libres, proposant un « communisme » censé être rebelle, contestataire, véritablement d’opposition, etc.

Telle la crème glacée ou la gelée, facile à avaler mais sans aucune consistance, cette forme de « communisme » émerge à chaque élection, à chaque « mouvement social », en fait à chaque occasion, pour proposer une rébellion en réalité superficielle et stérile, absolument sans lendemain.

On prétend qu’il suffirait de faire ceci ou cela pour que les choses changent radicalement, il y aurait un « tournant » et il faudrait s’engouffrer dans telle démarche. Ce qui compterait, ce serait l’action immédiate, se précipiter dans telle ou telle activité, car les choses vont vite changer, etc.

Il n’y a pas d’analyses historiques de la société, il n’y a aucune valeur concrète sur le plan de la vie quotidienne, le niveau culturel est affligeant, alors que le populisme est prépondérant. L’urgentisme anesthésie toute intellectualité. La nature petite-bourgeoisie de cette démarche aboutit à des initiatives théâtrales, jusqu’au grotesque.

Concrètement, ce « communisme » sert de tremplin pour les opportunistes électoralistes, le syndicalisme, ainsi que pour les regroupements sectaires cherchant à faire du bruit pour faire leur auto-promotion. Ces dernières années, Jean-Luc Mélenchon (notamment lors des élections présidentielles de 2017) et la CGT ont sciemment agi ainsi, cherchant à forcer le cours des choses de manière particulièrement marquée.

Or, on peut voir justement que le coup de Jean-Luc Mélenchon mangeant du quinoa pour draguer les personnes intéressées par le véganisme a été un moment fort de sa campagne de 2017. C’est très significatif et il est d’autant plus parlant que cela a été un échec dans la durée.

On ne peut pas tricher avec le véganisme, avec la cause animale. Le véganisme est incompatible avec un communisme « crème glacée ». Cela montre sa pertinence comme question historique et cela implique un rapport dialectique à construire avec cela, concrètement, dans la pratique révolutionnaire.

La cause animale, une aire d’expression des contradictions historiques

Encore une fois, tout doit se lire par rapport au poids croissant de la subjectivité dans les métropoles impérialistes. Il n’est pas d’identité révolutionnaire sans rupture concrète avec les valeurs dominantes, sans établissement d’un état d’esprit tourné vers le Communisme et saisissant qu’un haut niveau de conflictualité est nécessaire. Il ne s’agit pas d’aller à l’autonomie ouvrière, mais bien de partir de l’autonomie ouvrière pour ouvrir les espaces d’affirmation du Communisme.

La cause animale exprime un besoin de Communisme, formant naturellement une aire relevant de la bataille pour la révolution.

Recomposer le tissu prolétarien en développant l’antagonisme sur la base de la confrontation avec les exigences de l’idéologie dominante !
Construire, protéger et développer les aires de l’autonomie prolétarienne !
Lutter, c’est vivre ! Pour le Communisme !

Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)
Août 2019

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