Il existe ainsi bien un réalisme comme charge s’exprimant dans certaines œuvres belges ; cette charge ne s’exprime pas comme réalisme, mais à travers un naturalisme qui lui-même tend déjà à une forme d’impressionnisme.
Qui plus est, de par l’histoire de notre pays – l’influence du catholicisme, donc du baroque, de l’expressivité aboutissant en partie comme contribution au symbolisme – il y a également un grand soulignement de l’atmosphère, pratiquement personnifié. C’est là un trait national belge dans la peinture.
On voit cela très concrètement avec la peinture de la belge Cécile Douard (1866-1941), d’origine française et installée en Belgique, initialement à Bruges, depuis l’âge de quatre ans. Vivant ensuite à Mons, elle va porter un regard sur l’activité des mineurs du Borinage qu’on ne peut qualifier que de décisif.
Les glaneuses de charbon, de 1891, est une œuvre véritablement très réussie, avec une vraie profondeur, avec véritablement le symbolisme au service du réalisme. C’est d’ailleurs une particularité de certaines nations émergeant tardivement et alliant une forme de romantisme national – symbolisme avec le réalisme.
On a ici quelque chose de très fort, d’ici éminemment belge, avec son expressivité.
Les meilleures œuvres de sa part combinent le réalisme dans son universalisme avec l’approche symboliste soulignant la dimension atmosphérique, la tonalité. C’est cette fameuse tonalité que Paul Verlaine avait tenté de chercher justement en Belgique.
Voici La hiercheuse, de 1896, c’est-à-dire l’ouvrière qui fait circuler les wagons chargés de minerai.
Cécile Douard a connu un parcours évidemment difficile, à une époque où les écoles de peinture étaient fermées aux femmes. Après avoir perdu un œil en 1892, elle devint aveugle en 1898, ce qui ne l’empêchera pas de se mettre au violon, gagnant un Premier prix au Conservatoire royal de Mons, puis de devenir la dirigeante de la Ligue Braille en Belgique.
Voici un extrait de son ouvrage Impressions d’une Seconde Vie, qui raconte avec un très grand niveau d’expression sa situation quinze années après avoir perdu la vue.
« J’attendais une visite grave. Je m’y étais préparée mais mon esprit trop longtemps ramassé sur lui-même, fatigué, se détendait, s’éparpillait, se mettait à broder des images sur un thème qui l’amusait…
Les mains sont de beaux instruments, étonnants réceptacles de sensations, transmetteurs prompts et sûrs de la pensée.
Si vous avez un rien d’intuition, si vous savez les interroger, elles deviennent les indiscrètes, les confidentes à la façon du miroir ; comme la bouche et les yeux, elles sont en vérité un des miroirs de l’âme.
Serrez la main qui vous est tendue, laissez presser la vôtre, et ce court contact vous découvrira la nervosité, la vaillance, la ruse, la générosité du personnage qui vous aborde.
Comme elle trahit la fièvre, la main révèle l’inquiétude, l’amour ou la colère qui nous trouble. Dans ses manières si diverses de toucher, de saisir, de secouer une autre main, elle exprime des sentiments infiniment subtils, car l’appel des doigts au cerveau est aussi rapide que celui de deux regards.
Qui ne conserve la mémoire d’une première rencontre avec une certaine main, du moment de surprise, sinon d’émotion devant l’inconnu qui livrait imprudemment un peu de lui-même ?
Palper une main, c’est presque voir les yeux de qui nous parle ; s’arrêter dans la chaleur et les vibrations d’une main, c’est attendre un secret ; s’oublier, se fondre en elle, c’est pénétrer l’intimité d’un cœur qui ne se défend plus.
Il est des étreintes qui valent un baiser.
D’une légère pression naissent spontanément l’appréhension ou la sympathie.
Ne plaignez pas l’aveugle que la nature a doué de mains intelligentes : ses doigts déchiffrent, les paumes comprennent.
Les mains sont éloquentes, leurs attitudes, leur forme suggèrent les multiples lignes du corps et leur grâce est parfois plus émouvante que le timbre de la voix. »
On notera qu’elle a eu comme professeur Antoine-Joseph Bourlard, dont la vue de œuvres l’a inspiré pour se lancer en peinture. Notons ici une œuvre intéressante de ce peintre, Industria, de 1895.