Choudhry Rahmat Ali et le concept de Pakstan

L’affirmation en faveur d’une entité musulmane sur un territoire déterminé, théorisée de manière romantique par Mohamed Iqbal, fut par la suite repris par un jeune étudiant, Choudhry Rahmat Ali, qui forma alors le concept de « Pakstan ».

Étudiant à l’université anglaise de Cambridge, Choudhry Rahmat Ali reprenait directement la conception de Syed Ahmed Khan.

Choudhry Rahmat Ali publia en janvier 1933 un pamphlet intitulé Now or Never; Are We to Live or Perish Forever (Maintenant ou jamais ; allons-nous vivre ou périr pour toujours).

Il y proposa l’unification étatique des cinq zones du nord-ouest de l’Inde, en tant que « Pakstan », acronyme des régions concernées : le Pendjab, la North-West Frontier (Afghan), le Cachemire, le Sind et le Baloutchistan. Cette unification devait se faire dans un cadre extérieur à l’Inde, de manière explicitement contraire à la ligne de Mohamed Iqbal, qui lui souhaitait maintenir le cadre fédéral.

Choudhry Rahmat Ali

Il est à noter la construction intellectuelle choisie : en persan, en ourdou et en pachtoune, pak signifie « pur », alors que le suffixe persan -stan signifie « pays », « terre de ». Le « Pakstan », par la suite le « Pakistan », c’est ainsi « la terre des purs ».

Choudhry Rahmat Ali proposa le « Pakstan » aux délégués indiens de la troisième des Round Table Conferences organisées par le gouvernement britannique pour discuter du futur de l’Inde avec des délégués indiens.

Dans sa lettre accompagnant le pamphlet, Choudhry Rahmat Ali expliqua ainsi sa démarche :

« Je joins à la présente un appel au nom des trente millions de musulmans du Pakistan, qui vivent dans les cinq régions du nord de l’Inde : le Pendjab, la province de la Frontière du Nord-Ouest (Afghanistan), le Cachemire, le Sind et le Baloutchistan.

Cet appel incarne leur demande de reconnaissance de leur statut national, distinct de celui des autres habitants de l’Inde, par l’octroi au Pakstan d’une Constitution fédérale distincte sur des bases religieuses, sociales et historiques. »

Le pamphlet commençait de la manière suivante :

« En cette heure solennelle de l’histoire de l’Inde, alors que les hommes d’État britanniques et indiens posent les bases d’une Constitution fédérale pour ce pays, nous vous adressons cet appel, au nom de notre héritage commun, au nom de nos trente millions de frères musulmans qui vivent au PAKSTAN – par lequel nous entendons les cinq unités du nord de l’Inde, à savoir : le Pendjab, la province de la frontière du Nord-Ouest (province afghane), le Cachemire, le Sindh et le Baloutchistan. »

Le pamphlet attaque ensuite violemment les responsables de la Ligue musulmane pour accepter des discussions sur Inde indépendante et unie, qui se ferait selon lui aux dépens des musulmans.

« La délégation musulmane indienne à la Table ronde a commis une erreur inexcusable et prodigieuse. Elle s’est soumise, au nom du nationalisme hindou, à la soumission perpétuelle de la nation musulmane malchanceuse.

Ces dirigeants ont déjà accepté, sans la moindre protestation ni objection et sans la moindre réserve, une Constitution fondée sur le principe d’une Fédération pan-indienne.

Cela revient, en substance, à signer l’arrêt de mort de l’islam et de son avenir en Inde. Ce faisant, ils se sont abrités derrière le prétendu Mandat de la communauté (…).

En ce moment critique, alors que cette tragédie se joue, permettez-nous de faire appel à votre compassion et à votre soutien actif pour la revendication d’une Fédération séparée – une question de vie ou de mort pour les musulmans d’Inde – telle que décrite et expliquée ci-dessous.

L’Inde, telle qu’elle est constituée actuellement, n’est pas le nom d’un seul pays, ni le foyer d’une seule nation. Il s’agit en réalité de la désignation d’un État créé pour la première fois dans l’histoire par les Britanniques.

Elle comprend des peuples qui n’ont jamais fait partie de l’Inde à aucune période de son histoire, mais qui, depuis l’aube de l’histoire jusqu’à l’avènement des Britanniques, ont possédé et conservé leurs propres nationalités.

Dans les cinq provinces du nord de l’Inde, sur une population totale d’environ quarante millions d’habitants, nous, les musulmans, représentons environ trente millions.

Notre religion, notre culture, notre histoire, nos traditions, notre système économique, nos lois sur l’héritage, la succession et le mariage sont fondamentalement différents de ceux des populations du reste de l’Inde.

Les idéaux qui poussent nos trente millions de frères et sœurs vivant dans ces provinces à consentir aux plus grands sacrifices sont fondamentalement différents de ceux qui inspirent les hindous. Ces différences ne se limitent pas aux grands principes fondamentaux, loin de là.

Elles s’étendent aux plus infimes détails de nos vies.

Nous ne dînons pas entre nous ; nous ne nous marions pas entre nous. Nos coutumes nationales, nos calendriers, et même notre alimentation et nos vêtements sont différents (…).

Nous sommes confrontés à une tragédie de premier ordre, sans précédent dans la longue et mouvementée histoire de l’islam.

Il ne s’agit pas de la disparition d’une secte ou d’une communauté ; il s’agit du problème suprême qui affecte le destin de l’islam tout entier et des millions d’êtres humains qui, jusqu’à récemment, étaient les gardiens de la gloire de l’islam en Inde et les défenseurs de ses frontières.

Un avenir encore plus grand s’ouvre à nous, si seulement notre âme pouvait être sauvée de l’esclavage perpétuel forgé dans une Fédération pan-indienne.

Ne nous y trompons pas. L’enjeu est maintenant ou jamais. Soit nous vivons, soit nous périssons à jamais.

L’avenir ne nous appartient que si nous vivons fidèlement à notre foi. Il ne repose pas entre les mains des dieux, mais entre nos mains.

Nous pouvons le construire ou le gâcher. L’histoire du siècle dernier est pleine d’avertissements clairs, et ils sont aussi clairs que ceux qui ont jamais été adressés à une nation.

Devra-t-on dire de nous que nous avons ignoré tous ces avertissements et laissé notre héritage ancestral périr entre nos mains ?

Il y aurait donc une prétendue opposition intrinsèque aux non-musulmans en Inde. La séparation est donc catégoriquement nécessaire. C’est Muhammad Ali Jinnah qui va en devenir le porte-drapeau.

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