Comenius: le jeu de l’esprit et l’être humain formé par le travail

On sait à quel point l’obscurantisme religieux est un obstacle à la science, car il affirme qu’il faut partir de la « révélation » comme base « scientifique ». On trouve bien sûr chez Comenius la position matérialiste inverse ; s’il reconnaît la religion, il le fait toujours en la considérant comme base morale finale, nullement comme socle clérical.

Il affirme ainsi que dans l’enseignement :

« Il faudra procéder graduellement, en commençant par les choses matérielles, en continuant sa route avec les choses de l’esprit, et en la terminant par les choses révélées. »

Comenius inverse donc la position qui est celle du baroque et des jésuites, pour qui l’extase mystico-religieuse est la seule base réelle de la « science » qui est, de ce fait religion. Comenius est sur une base matérialiste, qui s’oppose directement au catholicisme dans son approche.

Portrait de Comenius
par Karol Miloslav Lehotský
(1846-1915)

Comenius appelle à la raison, et non à la mystique; il est pour l’apprentissage de tous et de tous, de manière ouverte, et non pour un élitisme fabriqué par les jésuites. Il est pour un cerveau capable de refléter l’ensemble de la réalité matérielle – ce que précisément le baroque considère comme impossible.

Comme on le sait d’ailleurs, pour le matérialisme dialectique, la pensée est un reflet ; par conséquent, un cerveau ne peut pas reconstituer à lui tout seul, séparément, isolément, tous les éléments scientifiques. Il y a besoin d’amener au cerveau les informations.

Comenius dit de la même manière :

« L’homme, par sa propre vertu, grandit avec des formes humaines, oui, comme une bête sauvage grandit avec ses propres formes, mais il ne peut devenir un être raisonnable, savant, honnête et pieux, si on ne lui a pas d’abord inculqué (comme on opère le greffage) des éléments de science et des principes d’honnêteté et de piété. »

Comenius s’avère alors le fondateur de la pédagogie, car il propose alors deux perspectives concrètes pour que le cerveau soit façonné dans une direction concrète et cohérente.

D’abord, le cerveau reflétant la réalité en s’appuyant sur les sens, Comenius considère qu’il faut profiter du jeu pour avancer, c’est-à-dire pour combiner les sens et la réflexion. Mao Zedong, dans De la pratique, disait que :

« Si l’on veut acquérir des connaissances, il faut prendre part à la pratique qui transforme la réalité. Si l’on veut connaître le goût d’une poire, il faut la transformer : en la goûtant. »

Comenius dit pareillement, au sujet de l’enseignement et de son rapport à la pratique :

« C’est en écrivant qu’on apprend à écrire ; en dessinant, l’art de dessin ; en chantant, on apprend à chanter, etc. De même, c’est en agissant que nous apprenons à agir, et c’est par la pratique que nous apprenons à exécuter différents travaux.

D’où la devise qui dit, providentiellement : Fabricando fabricamur, ce qui veut dire : c’est le travail qui fait l’homme (l’homme se fait par le travail). »

Seulement, ce travail ne doit pas borner l’esprit, il doit au contraire s’appuyer sur lui comme moteur.

A l’opposé de René Descartes, Comenius ne sépare pas abstraitement le corps et l’esprit. Il faut donc que les deux soient en action, pour que l’enseignement se déroule de manière adéquate. Comenius explique ainsi au sujet du développement de « l’agilité extérieure du corps » :

« Par jeux nous entendons les mouvements du corps et de l’âme. Il ne faut pas les interdire à la jeunesse ; bien au contraire, ils doivent être recherchés et soutenus. Mais la raison doit présider au choix des jeux, pour qu’on en retire du profit.

Les exercices qui s’y rattachent consistent en mouvements variés, tels que la course ou le saut, divers jeux compétitifs, pratiqués avec modération, jeux de balle, lancement du poids, exercices avec la massue, jeu de colin-maillard et d’autres jeux pratiqués, décemment.

On pensera aussi à organiser des sorties et des promenades à l’intérieur de l’école ou au jardin.

Il vaut mieux que ces promenades soient collectives et non individuelles, pour donner l’occasion aux élèves de converser les uns avec les autres, et par là, de s’exercer, se détendre et se récréer.

On peut aussi permettre les jeux pendant lesquels on est assis, à condition qu’ils fournissent une occasion pour exercer l’esprit, tels les échecs, etc. Il faut interdire absolument les jeux de cartes et de dés parce que, d’une part, dans ceux-ci, c’est le hasard qui décide de tout et, d’autre part, en raison de l’anxiété et de la tension d’esprit qu’ils causent à certains gens ; encore faut-il dire qu’ils ne jouissent pas d’une bonne réputation, car on en abuse généralement. »

Comenius propose alors la généralisation de jeux dans l’enseignement, ce qui est logique : si le cerveau dispose de plasticité et que son activité est une réflexion, alors forcément plus on joue, plus on participe au monde et plus on reflète, le jeu étant lui-même une activité en miroir par rapport à l’autre, aidant à l’activité du cerveau. Voici ce que propose Comenius :

« On pourra y introduire

des jeux d’alphabet des jeux d’histoire
de lecture de métaphysique
d’écriture de physique
de dessin techniques –
de calcul illustrant
de géométrie les principes
de musique de la morale
et de la religions

mais surtout des scènes bibliques (…).

En agrémentant l’enseignement de divertissements variés et profitables

1) la santé : les mouvements, la course, la lutte ;

2) aux sens : lecture des journaux, inspection des dessins, etc.

3) à l’intelligence : concours divers, amusettes, etc.

4) à la mémoire : récitation et répétition des passages avec concours et prix divers ;

5) au jugement : devinettes et dissertations ;

6) à l’habileté de la main ; tâches et travaux bien disposés ;

7) à l’art de l’éloquence : dialogues improvisés ; lettres et discours fictifs.

De cette manière, on pourra, à bon droit, dire de cette école qu’elle est SCHOLA LUDUS. »

Avec Comenius, on a des activités tout azimut ; il s’oppose particulièrement à l’unilatéralisme et affirme qu’il faut inversement partir dans toutes les directions. Il a compris la nature du jeu pour l’être humain : penser, c’est jouer.

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