« Puisse l’école cesser d’être un labyrinthe, un bagne, une prison et un lieu de détresse, et puisse-t-elle commencer à être un stade, un palais, un festin et un paradis ! »
Tel est l’appel de Jan Amos Komenský (1592-1670), dit Comenius, qui n’est pas moins que le fondateur de la pédagogie.
Car il est tout à fait erroné, comme on le fait en France, de s’imaginer en effet que les formes « modernes » ont été élaborées dans l’antiquité gréco-romaine. C’est là le point de vue catholique, celui de la Renaissance, et il s’oppose au point de vue du matérialisme dialectique, qui considère l’humanisme comme la grande période d’affirmation de l’esprit démocratique porté par la bourgeoisie naissante.
Comenius appartient à cette vague, sauf qu’il est emprisonné dans le XVIIe siècle, où la réaction catholique tente, au moyen du baroque organisé par les jésuites, de contrecarrer les avancées de l’humanisme et du protestantisme.
Comenius a alors un destin qu’on peut qualifier d’historique, puisqu’il est né en Bohême et appartient à la culture hussite, et meurt à Amsterdam où justement le protestantisme victorieux est le prolongement du hussitisme.
Le hussitisme défait par la direction, Comenius appelle la nation tchèque à s’éduquer, mais n’ayant pas les moyens de mettre en place un programme d’éducation nationale, il en forme un qui est universel.
Comenius s’adresse à tous les êtres humains, sans distinction d’origine ou de sexe.
Comenius lève le drapeau démocratique, dans l’esprit du hussitisme :
« Que Dieu ne fasse de distinctions en faveur de personne, c’est lui-même qui l’atteste en mainte occasion. Donc, si nous n’admettons que quelques-uns pour être éduqués, à l’exclusion des autres, nous commettons une injustice non seulement envers ceux qui sont doués de la même nature que nous-mêmes, mais encore envers Dieu lui-même qui veut être reconnu, aimé et loué par tous ceux qu’il a créés à son image. »
Ne nous y trompons pas : c’est de l’être humain raisonnable dont parle ici Comenius, qui va organiser tous les plans pour une école publique de masses, concernant toute la jeunesse sans exception.
Il va également aborder en détails la question du contenu, et là, chose formidable, il reprend précisément et naturellement les thèses de l’averroïsme, faisant de la pensée un reflet de la réalité perçu par les sens, avec même une explication parfaitement matérialiste de l’importance de l’éducation dans la jeunesse en raison de la plasticité du cerveau.
Pour cette raison, par ailleurs, il est le grand théoricien de l’apprentissage par le jeu. Comenius a ici une compréhension approfondie de la nature du cerveau, puisqu’il préfigure la thèse matérialiste dialectique de la pensée comme reflet et forcément qui dit reflet dit jeu de miroir.
Voici comment Comenius présente sa conception du jeu comme base de la pédagogie authentique :
« L’école doit être un lieu où l’on se divertit, où tout se passe agréablement et spontanément.
Est-ce que, en jouant, nous sommes pleins de colère et de bile ? Est-ce à un jeu qu’on donne des soufflets et des coups de fouet à quelqu’un ? Même les apprentis artisans méritent d’être mieux traités !
Doit-il en être autrement quand il s’agit de ceux qui apprennent les art et les lettres ? Jamais !
Les maîtres d’écoles doivent se comporter, chacun dans son milieu, de la même façon avec les enfants qui leur ont été confiés que Dieu, dans sa sagesse, se comporte envers ses créatures, et surtout avec les êtres humains.
Il est donc clair que tout ce qui naît, se développe et se forme, se fait spontanément et sans violence. Ce que Dieu donne au genre humain, c’est des invites, des conseils, des encouragements.
Nous autres pédagogues, nous devrions donc non seulement être utiles à nos élèves, mais aussi les distraire agréablement. »
Comenius est, ainsi, l’enseignant des enseignants : toute réflexion sur l’enseignement est impossible sans lui.