Comenius est un penseur formidable, car il a compris la réalité du cerveau ; c’est pour cela qu’il a pu affirmer qu’il fallait enseigner, et qu’il a pu proposer un modèle d’enseignement, d’esprit universel.
Pour les matérialistes, le cerveau est de la matière grise ; comme l’a formulé Aristote, c’est une tablette, on dirait aujourd’hui un disque dur.
Or, on sait bien que le cerveau est bien plus plastique dans la jeunesse : il reflète mieux qu’il ne le fait par la suite.
Justement, voici ce que dit Comenius, comparant le cerveau à la cire, affirmant ouvertement la thèse matérialiste du reflet :
« C’est une propriété constatée chez tous les êtres à leur naissance qu’il est très facile de les plier et de leur donner une forme lorsqu’ils sont encore tendres, mais qu’il n’obéissent plus dès qu’ils sont devenus durs. La cire molle se laisse facilement pétrir et façonner ; durcie, elle se brise sous l’effort (…).
Son cerveau [à l’être humain], en effet, qui dans la mesure où il reçoit les images transmises par les sens agit, avons-nous dit, comme une cire, est humide et plastique dans sa jeunesse et apte à recevoir toutes les images qui lui sont présentées ; plus tard, il se sèche et durcit, peu à peu, de telle manière que, l’expérience le prouve, les objets du monde extérieur ne s’y gravent plus aussi aisément. »
Voilà qui est tout à fait matérialiste, et il est impossible de ne pas souscrire à cela. C’est une considération fondamentale, que l’on doit avoir en tête lorsqu’on veut enseigner.
Comenius a tellement compris la question du reflet qu’il parle de l’école comme devant être en quelque sorte un théâtre, présentant la réalité en captant l’attention. La mise en avant du jeu procède de la même approche.
Comenius dit par ailleurs ouvertement que :
« L’objet, l’idée de l’objet et le mot sont des notions corrélatives, liées par des rapports mutuels, car les idées (les concepts) sont les images, les reflets d’objets dans notre conscience, alors que les mots reflètent les idées.
D’où il ressort, de toute nécessité, qu’on doit, tout d’abord, montrer aux hommes des choses (des objets) afin que, les regardant, ils se créent des représentations (des idées) de ces choses et apprennent, par la suite, à nommer ce qu’ils saisissent.
Et toujours, il faut que ces trois entités, a) l’objet ; b) l’idée ; et c) la parole, aillent ensemble. Et encore, que d’abord l’objet soit présenté, que sa présentation soit suivie d’une explication qui nous permette de nous en faire une idée juste, et qu’enfin l’objet reçoive un nom. »
Et Comenius continue, dans une approche extrêmement proche du matérialisme dialectique :
« «A priori», c’est ce que nous percevons par nos sens, car rien ne peut être compris à moins d’être perçu d’abord par les sens.
Ce qui provient de la Révélation (qui complète notre savoir là où nos sens et notre intellect ne nous suffisent plus – tout en admettant que nous préférons connaître tout, autant que faire se peut, par nos propres moyens), n’entre dans notre conscience qu’après ce qui a été compris par l’intellect.
Mais il existe une autre raison qui fait qu’à l’école pansophique [école de la philosophie générale, complète, totale] il importe de présenter d’abord ce que nous percevons par les sens, ensuite ce que nous comprenons par le raisonnement et enfin, en dernière instance, ce qui nous vient de la révélation divine (qui demande à être écoutée, car nos sens et notre raison ont des limites).
En effet, la meilleure façon de connaître les choses est celle qui les étudie dans leur devenir et leur enchaînement.
Tout d’abord, Dieu a créé le monde, rempli de ses œuvres que nous percevons par les sens ; ensuite, il a créé l’homme, doué de raisonnement. Mais l’homme ne connaît pas lui-même tant qu’il ne comprend pas qu’il est rempli d’images de chose.
Ce n’est qu’alors qu’il s’aperçoit qu’il est un microcosme, créé à l’image du Dieu omniscient. En comparant entre elles les notions abstraites des choses, en les décomposant et les recomposant, il multiplie la joie que lui procure la lumière de sa raison. »
Si on remplace le concept de Dieu par celui d’Univers, alors on a ici un exposé naïf mais tout à fait authentique du concept matérialiste dialectique de la pensée comme reflet de la matière en mouvement.
La conception de Dieu chez Comenius est tellement proche de Baruch Spinoza qu’ici, si on remplace Dieu par la nature (ou l’univers), tout est une évidence :
« Les exercices des organes des sens sont particulièrement importants et nécessaires. Ils ne doivent jamais être négligés, car c’est par les sens que l’intelligence parvient à la connaissance des choses.
Ce que l’on propose aux élèves doit saisir, mouvoir et captiver leurs sens et, par l’intermédiaire de ceux-ci, leur intelligence.
Ce sont, en effet, les choses elles-mêmes qui doivent parler aux élèves, pas nous ; de la même manière, Dieu agit avec nous dans l’école de la vie : tout le théâtre de la nature est empli par Lui de peintures, de statues et d’images visibles et palpables qui émettent des sons et qui spleines de saveurs, et par lesquelles il nous instruit silencieusement mais avec un grand profit pour nous, en accompagnant ses paroles de quelques rares préceptes.
Il devrait en être de même dans notre école : tout ce que l’on doit savoir sur les objets du monde sensible devrait être appris par ces objets eux-mêmes.
Tantôt il faut les montrer, pour qu’on puisse les voir, toucher, entendre, sentir, etc., tantôt ils seront représentés par des images et des illustrations. »
C’est là une théorie de la connaissance tout à fait matérialiste, et on comprend qu’il fallait attendre un tel niveau pour arriver à formuler l’exigence démocratique de l’éducation pour tous : seul le matérialisme porte en lui l’universel, et une compréhension claire, par la théorie du reflet, de la possibilité d’acquérir des connaissances.
Sans théorie matérialiste de la connaissance, pas d’éducation.