Constantin Édouardovitch Tsiolkovski est né le 5 septembre 1857 et décédé le 19 septembre 1935. Il vient d’une famille représentative de toute une tendance de l’empire russe : son père né en Ukraine est issue d’une petite chevalerie polonaise de Lituanie, sa mère a quant à elle en partie des origines tatares.
Atteint de surdité partielle depuis un épisode de scarlatine à neuf ans après être tombé dans l’eau gelée en faisant du patinage, Constantin Tsiolkovski, qui a 17 frères et sœurs, se tourne vers les livres et profite ainsi de sa mère qui avait fait des études secondaires, son père étant quant à lui successivement instituteur, garde-forestier et fonctionnaire administratif.
Il est expulsé de l’école à 14 ans pour son tempérament ; lui-même note au sujet des années 1868-1871 :
« Je suis devenu maladroit dans mes relations avec les enfants de mon âge, je l’ai souvent été, et avec les gens en général.
Ma surdité, due à ma scarlatine, m’a cependant amené à lire et à réveiller éveillé sans fin.
Je me sentais isolé, même humilié, tel un paria de la société. Cela m’a fait me retirer au plus profond de moi-même, afin de poursuivre de grands objectifs pour mériter l’approbation et le respect des autres et ne pas être méprisé par mes pairs. »
En raison de sa santé, Constantin Tsiolkovski vécut de fait à l’écart plusieurs années, apprenant à la maison, avant qu’à l’âge de 16 ans son père parvient à l’envoyer à Moscou où Constantin Tsiolkovski se lance dans un processus le conduisant à la géométrie analytique, la trigonométrie sphérique, l’algèbre, le calcul intégral et différentiel, la mécanique.
Constantin Tsiolkovski racontera plus tard un épisode de cette période de sa vie, dans une anecdote résumant bien son approche visionnaire, à la fois scientifique et rêveur :
« La doctrine de la force centrifuge m’intéressait, car je pensais l’appliquer au soulèvement dans l’espace. Il y a eu un moment où il m’a semblé que j’avais résolu ce problème (16 ans).
J’étais tellement excité, même choqué, que je n’ai pas dormi toute la nuit – j’ai erré dans Moscou et j’ai pensé aux grandes conséquences de ma découverte.
Mais le matin, j’étais convaincu de la fausseté de mon invention. La frustration était aussi forte que le charme.
Cette nuit a marqué toute ma vie. Trente ans plus tard, je vois parfois dans un rêve que je monte dans les étoiles dans ma voiture et ressens la même excitation que lors de cette nuit immémoriale. »
Constantin Tsiolkovski vit à Moscou de manière entièrement ascétique, afin de se procurer du matériel, de réaliser des expériences chimiques et de se procurer des ouvrages. Mais il en consulta de nombreux dans une bibliothèque de Moscou où travaille Nikolaï Fiodorov (1829-1903). C’est une rencontre capitale.
Nikolaï Fiodorov était le fils illégitime de Pavel Gagarine, l’une des plus vieilles familles russes, (remontant soi-disant au fondateur mythique de la Russie, Rurik), ayant des postes de la plus haute responsabilité dans l’empire russe.
Vivant quant à lui de manière extrêmement frugale voire de manière littéralement ascétique, Nikolaï Fiodorov eut toute sa vie une activité de bibliothécaire, refusant tout avantage matériel ou honorifique, développant une philosophie à la fois simple et complexe, extrêmement éloignée en tout cas par exemple des mentalités françaises.
Fiodorov avait une conception du monde proche de celle de Spinoza ; pour lui, tout était lié dans l’univers.
D’ailleurs il ne publia jamais rien sous son nom, considérant que le principe de propriété intellectuelle n’avait pas de sens, tout en écrivant énormément. Il s’opposait à la guerre, exigeait une agriculture relevant du travail collectif, considérait qu’il n’y avait qu’une seule humanité sur une Terre ne formant qu’une sorte de grand vaisseau.
Pour Fiodorov, il fallait aller dans le sens de l’unité et cela signifiait dépasser l’individualisme. L’humanité était à concevoir comme un grand tout, qui avait comme devoir par conséquent de trouver la clef de l’immortalité afin de perpétuer l’aventure collective.
Cela devait aller jusqu’à la capacité technique de procéder à la résurrection. Telle est l’œuvre commune à réaliser, chaque génération amenée à la résurrection devant contribuer à généraliser le processus.
Après sa mort, ses écrits seront rassemblés et publiés en 1906 dans l’ouvrage justement intitulé La philosophie de l’œuvre commune.
Dans ce cadre, il faudrait maîtriser les éléments météorologiques et même utiliser la planète Terre comme un vaisseau spatial pour voyager dans l’univers. Ce sont les projets mis en pratique vers la totalité qui donnent un sens à l’humanité pris comme collectif.
On a ici de multiples aspects qui s’interpénètrent : la psychologie nationale russe, la vision du monde « cosmique » des peuples slaves, la religion catholique orthodoxe, cette dernière servant pour Fiodorov de base de réflexion pour sa vision « totale » de la réalité et l’espoir de l’immortalité, même de la résurrection des gens ayant vécu grâce au développement de la technologie.
Konstantin Tsiolkovski ne fut pas le seul en relation avec Nikolaï Fiodorov, qui était une figure très connue. Il faut ici mentionner notamment :
– le fameux écrivain Léon Tolstoï (1828-1910), qui a développé toute une vision universelle et pacifiste et respectait la sincérité des vues de Nikolaï Fiodorov même sans partager ses vues, à quoi s’ajoute d’ailleurs l’écrivain Fiodor Dostoïevski (1821-1881) ;
– le poète Vladimir Soloviev (1853-1900), qui prôna une Église mondiale unique conforme à l’unité de toutes choses et se considérait comme un disciple de Nikolaï Fiodorov.
En fait, la conception de Nikolaï Fiodorov était à moitié matérialiste, avec une lecture similaire à celle de Spinoza, à moitié idéaliste avec une base religieuse apocalyptique.
La révolution russe témoignera d’une cassure. Il y eut alors ceux choisissant la science et l’URSS (le théoricien de la Biosphère, Vladimir Vernadsky, le théoricien de la colonisation spatiale Constantin Tsiolkovski, le botaniste Vassili Kouprevitch…) et ceux choisissant le « cosmisme » largement tourné vers le mysticisme catholique orthodoxe et le paganisme slave, principalement dans l’émigration.
Il y eut également des intermédiaires, qui soutinrent le régime soviétique avant de s’en détourner progressivement à la fin des années 1920 : le courant artistique du suprématisme avec Kazimir Malevitch, ainsi que d’ailleurs les courants cubistes-futuristes, notamment le « proletkult » d’Alexander Bogdanov avec sa « tectologie » comme « science universelle de l’organisation » et la perspective de l’immortalité…
Il faut mentionner le « biophysicien » Alexandre Tchijevski (pour qui l’histoire du monde dépendait du degré d’émanation des radiations solaires), l’anarcho-futuriste Alexander Agienko et le « biocosmisme » (« Immortalisme et interplanétarisme »), …
Il faut également nommer le théologien Paul Florensky avec le géocentrisme considérant que le nom de Dieu est Dieu, le philosophe Valerian Mouraviev et sa « cosmocratie » capable de la « maîtrise du temps », etc.
C’est là véritablement une problématique nationale russe ; depuis 1990, la Russie connaît d’ailleurs une très importante vague de fond de cosmisme, de néo-paganisme pseudo slave, de cultes magiques et de mysticisme orthodoxe. L’une des figures majeures de la stratégie de l’État russe est d’ailleurs Alexandre Douguine, un mystique catholique orthodoxe imaginant le projet d’une Eurasie comme rencontre mystique de la Russie orthodoxe avec l’Asie pour réactiver spirituellement le monde.
L’émigré russe Nicolas Berdiaev fut également en France après 1945 un promoteur de telles lubies mystiques, à quoi s’ajoute le courant de la « théosophie », fondé par la russe Helena Blavatsky (1831-1891) et considérant que toutes les religions ont une part de vérité universelle dans un devenir cosmique qu’on peut comprendre par le mysticisme, l’occultisme.
On a un bon résumé de cette problématique « cosmique » avec un propos attribué à Nicolaï Fedorov lors d’une discussion avec Konstantin Tsiolkovski :
« Je vais faire des mathématiques avec toi et toi tu aideras l’humanité à construire des fusées pour que nous puissions enfin connaître davantage que la terre et que nous puissions voir celle-ci de loin en voyageant dans les cieux.
Les gens ont besoin d’un regard de plus loin, car uniquement ceux qui pensent à l’avenir sont réels et présents. »
Il faut bien saisir toutefois qu’il s’agissait là d’un moment de la vie de Konstantin Tsiolkovski, qui par ailleurs ne fit par la suite pas de référence particulière à Nicolaï Fedorov.
On est dans une atmosphère russe où, en général, il y a la question d’une vision du monde capable d’appréhender l’ensemble des questions, au niveau du cosmos lui-même. Le marxisme-léninisme est une de ces réponses et la seule juste.
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