Contraste, différenciation, lutte & développement

Tout se transforme, et cela tout le temps. Il n’est rien qui puisse être toujours pareil, sans changement.

Le constat qu’on fait ici est inquiétant dans la mesure où il ne rassure pas : on ne sait pas sur quoi on peut compter, puisque rien ne reste jamais pareil.

Et l’humanité a, effectivement, eu peur, pendant des siècles, des milliers d’années ; elle a eu besoin d’imaginer des dieux en lutte contre les autres pour expliquer les changements ; elle s’est mise à prier tel ou tel dieu de changer de point de vue ou d’en vaincre un autre.

Puis finalement, ayant amélioré ses conditions de vie, l’humanité a considéré qu’il existait un Dieu absolu, tout puissant, éternel, toujours le même.

Il fallait le prier pour que les choses n’empirent pas, pour qu’en certaines circonstances les choses se passent au mieux.

Il y a beaucoup de dignité dans ces espoirs, dans ces interprétations religieuses ; néanmoins, elles relèvent du passé.

La compréhension scientifique de l’univers met forcément de côté les rêves d’une humanité au rapport privilégié avec un Dieu absolu ; il n’y a tout simplement pas eu d’Adam et Eve sur ce qui n’est qu’une petite planète parmi beaucoup d’autres.

Le système solaire se trouve dans une galaxie, la Voie lactée, où il y a vraisemblablement plus de 100 milliards de planètes, avec entre 200 et 400 milliards d’étoiles.

Et il est estimé qu’il y a 2 000 milliards de galaxies, une chiffre toujours en hausse en liaison avec les nouvelles découvertes.

Car, en réalité, l’univers est infini. Il n’a ni début, ni fin ; il n’a pas d’origine, ni de but.

L’univers a toujours été et sera toujours. Il n’a pas de limites, pas de frontières quelles qu’elles soient ; il est infini dans l’espace et dans le temps, autant dans l’infiniment petit que dans l’infiniment grand.

La naissance de la vie sur Terre est le fruit d’une immense évolution de la matière, dans un processus éternel ; les mélanges, les synthèses de la matière ont donné naissance à des phénomènes toujours plus complexes, toujours plus organisés et en interaction.

L’humanité et la vie sur la planète Terre en général ne sont qu’un aspect de l’univers, dont tous les éléments sont en transformation ininterrompue.

Une fois qu’on a compris cela, on sort de l’étroitesse d’esprit, on cesse de s’accrocher à des choses relatives, si insignifiantes par rapport au grand mouvement universel.

Les préjugés racistes, le culte des clans, le fétichisme relatif à tel ou tel territoire, les divertissements insignifiants pour nourrir son ego, le mépris pour la vie, le dédain pour la culture, la mise à l’écart de la science…

Tout cela est vain et insignifiant par rapport à l’existence de l’univers et ses transformations, par rapport à la beauté de la vie en soi.

Pourquoi les choses se transforment-elles ?

C’est parce qu’il se passe quelque chose en leur sein. Il y a un mouvement, provoqué par un conflit interne, un affrontement entre deux aspects qui s’opposent.

Tout comme l’électricité a les pôles positif et négatif, la peinture connaît le beau et le laid, les mains le côté gauche et le côté droit, l’alpiniste la montée et la descente, le fait de manger l’absorption des aliments et leur rejet.

Tout comme les mathématiques a l’addition et la soustraction, la cuisine oppose le cru et le cuit, le tennis de table la balle à la raquette (de chaque joueur), le lycéen la révision au devoir sur table, l’écureuil les noisettes à l’hiver.

Tout a toujours deux aspects, partout et tout le temps. Avoir soif répond au fait de boire, tout comme le fait de boire répond au fait d’avoir soif.

Lorsqu’on commence et on finit une partie de backgammon, il y a un vainqueur et un perdant ; quand on tombe amoureux, on veut voir la personne aimée et en même temps, on en a peur.

Les enfants naissent de la contradiction physique entre les hommes et les femmes ; l’agitation du jour s’oppose au calme de la nuit ; les nombres sont pairs ou impairs.

Tout va par deux, toujours ; tel est le principe de la théorie des deux points. En chaque chose, il y a deux points, qui s’opposent.

Il ne s’agit nullement d’opposer pour opposer : il s’agit de constater les oppositions et de voir quel sens elles ont.

Certaines oppositions sont directement productives : un homme et une femme se marient, leur union d’opposés produit des enfants.

D’autres oppositions sont indirectement productives : on fait face à un problème de mathématique et on doit se surpasser, afin de parvenir à le résoudre.

Il ne s’agit pas de forcer les oppositions, pas plus qu’il ne s’agit de les nier. Il s’agit de les reconnaître, d’en comprendre la nature, de voir dans quelle direction elles poussent les choses. C’est ce qu’on appelle la science ; c’est le matérialisme dialectique.

C’est en appliquant la théorie des deux points qu’on évite d’être unilatéral.

Être unilatéral, c’est considérer que les choses vont en ligne droite, que les phénomènes se déroulent mécaniquement, qu’on peut faire des plans pré-établis absolument parfaits pour tout.

Or, en réalité, les choses se déroulent toujours avec des nuances, avec un décalage par rapport à ce à quoi on s’attendait.

C’est pourquoi tout scientifique, tout dialecticien sait que l’humilité est une qualité fondamentale. Elle seule permet de reconnaître la dignité du réel.

Sinon, quand pointe la déception par rapport au résultat, il y a alors la volonté de forcer, d’en faire encore plus, en s’imaginant que cette dimension quantitative va modifier la nature même des choses.

C’est une illusion. Qui veut trop bien faire ruine tout ; c’est une expérience bien connue.

Quand on en fait trop, on perd le fil, on se disperse, on abîme, on casse.

Il existe une vieille expression française qui résume cela en disant : Qui embrasse trop mal étreint.

On a une expression équivalente avec Le mieux est l’ennemi du bien ; plus simplement, beaucoup de monde a fait l’expérience d’avoir, à l’école, trop révisé et d’avoir alors mal retenu les leçons, et de s’être retrouvé sans énergie devant sa copie le jour venu.

S’imaginer qu’on puisse avoir un contrôle absolu, depuis l’extérieur, sur les choses, c’est se prendre pour un Dieu et c’est l’expression d’un ego hypertrophié, c’est basculer dans la démesure.

Malheureusement, l’Histoire de l’humanité est remplie de folies exemplaires de cela, notamment dans le rapport à la Nature.

Être unilatéral est une erreur aux lourdes conséquences ; il faut savoir être dialectique et reconnaître les choses pour ce qu’elles sont.

Être dialectique, c’est promouvoir l’affirmation, parce qu’on souligne l’existence de deux aspects, on affirme leur existence. Être unilatéral, c’est nier une telle existence, pour essayer de donner aux choses un contenu uniforme, linéaire, statique.

Cependant, toute chose est dialectique et il en va ainsi du vrai et du faux, du juste et de l’injuste.

Le vrai devient le faux, le faux le vrai ; le juste devient l’injuste, l’injuste devient le juste.

Rater ces transformations, c’est rater les moments clefs des transformations et se retrouver du côté inverse où on voulait être.

On peut, par exemple, considérer qu’il faut être toujours gentil. Cela semble juste, mais dit ainsi, c’est unilatéral ; c’est oublier qu’afin d’aider quelqu’un à s’en sortir, il faut parfois le secouer, le brusquer, le motiver.

Comprendre qu’il faut être gentil, mais que parfois cela implique de remuer ardemment des choses difficiles chez quelqu’un, donc de ne pas être gentil, voilà qui est dialectique.

On devine la difficulté de la chose, puisque dans ce genre de situations, être gentil ne permet pas de l’être, et c’est justement en cessant de l’être en tant que tel qu’on peut réellement l’être.

Il y a ici d’innombrables situations paradoxales et, sans la dialectique, on est perdu, on ne voit pas que les choses se retournent en leur contraire.

Il faut toujours ajuster ce qu’on fait suivant les nécessités ; il faut savoir oser dire à un musicien qu’il joue mal pour qu’il puisse ensuite jouer bien, il faut savoir oser accepter son manque de connaissance afin de devenir un érudit.

Mao Zedong a bien formulé les choses en constatant que Affirmation, négation, affirmation, négation… dans le développement des choses, chaque maillon de la chaîne des événements est à la fois affirmation et négation.

Refuser d’être unilatéral, ce n’est ainsi pas chercher la neutralité, un équilibre ; ce n’est pas « couper la poire en deux ». Ce n’est pas se cantonner dans la bienveillance et l’affirmation, c’est parfois oser la négation, pour qu’elle serve l’affirmation.

Dans l’Histoire, ceux qui ont osé la négation ont toujours été très isolés au départ de leur initiative, tel le gladiateur Spartacus qui a nié l’ordre dominant dans la Rome antique. Mais il avait raison de le faire et, finalement, l’empire romain esclavagiste s’est effondré.

La difficulté est bien là : le nouveau naît de manière faible, alors que l’ancien est bien installé. Ceux qui portent la négation sont initialement mal vus.

Mais ils reflètent la transformation, ils la portent eux-mêmes en eux, car ils ont été profondément marqués par elle. Les transformations ont un impact sur leur environnement, notamment l’esprit humain.

Tous les grands penseurs de l’humanité ont compris que l’être humain est un animal social. Il existe dans un cadre bien défini qui encadre son existence.

L’être humain croit choisir, il est soumis cependant en réalité aux nécessités de sa propre existence ; son cerveau s’est développé et il peut s’inventer beaucoup d’illusions, mais les faits le rattrapent et il est malheureux s’il ne vit pas de manière conforme à sa nature d’animal social.

Comme cette nature change avec les époques, l’être humain est d’autant plus malheureux et désorienté : il est sorti de la Nature, étant différent des autres animaux de par sa capacité à transformer celle-ci. Toutefois, sa capacité à transformer la Nature n’a cessé de se transformer elle-même.

C’est l’immense mérite du plus grand penseur de l’humanité, Karl Marx, notre immense maître, d’avoir compris ce qu’est un « mode de production », et comment l’humanité pensait et agissait différemment selon le mode de production dominant.

Tout se transforme dans l’univers et l’humanité joue un grand rôle sur la Terre avec sa capacité de transformer la Nature, et cette transformation la transforme aussi. C’est tout un parcours où l’être humain sort de la Nature pour transformer la Nature et revenir à celle-ci désormais transformée, lui-même également transformé. C’est alors le Communisme.

Le Communisme est la fin du grand traumatisme que vit l’humanité depuis sa sortie de la Nature. D’un côté, elle a pu profiter de l’agriculture et de la domestication des animaux pour ne plus vivre au jour le jour. L’existence des villes modernes et de leur confort est l’aboutissement de ce processus qui est à l’opposé de la chasse et de la cueillette.

Ce processus a néanmoins été une naissance, douloureuse. L’être humain a connu le froid, la faim, les maladies, les souffrances, en ayant désormais conscience de celles-ci. Il s’est dressé contre la Nature dont il est pourtant issu. Il a fait la guerre aux animaux, tout en étant lui-même un animal.

Tout cela amène la situation, dans le début du second quart du 21e siècle, où l’humanité agit de manière destructrice envers la Nature sur l’ensemble de la planète. Et elle comprend lentement qu’elle agit ainsi de manière destructrice envers lui-même, car elle est encore une composante de la Nature.

L’humanité a agi de manière unilatérale, afin d’améliorer son sort, de faciliter son existence ; maintenant qu’elle est parvenue à d’immenses capacités techniques et productives, elle doit agir différemment.

Elle doit rétablir un lien productif avec la Nature, mettre en place un rapport harmonieux avec le reste de la vie sur Terre. C’est inévitable, car toute la vie sur Terre est en interaction, comme la pandémie de 2020 l’a rappelé à l’humanité, et ce pour une crise de conscience planétaire.

La planète Terre est une Biosphère ; l’humanité est une composante, et de par sa nature, elle doit avoir comme fonction d’en devenir la gardienne.

La grande caractéristique de l’humanité, c’est son besoin de célébration. Depuis son émergence en tant qu’animal social jusqu’à la société capitaliste la plus développée, il y a toujours le besoin de se réunir et de célébrer.

Ce qui est célébré, c’est le triomphe de la vie ; c’était le sens des fêtes liées aux solstices dans les premières sociétés humaines ayant observé les cycles des saisons.

Ce qui est célébré, c’est la vie elle-même, la vie en elle-même, la possibilité d’éprouver des sensations agréables, des émotions bonnes qui emplissent entièrement les corps et les esprits.

L’humanité apprécie ce qui est joyeux et ce qui est agréable, ce qui est harmonieux et mélodique.

Elle n’est pas attirée, elle met de côté ce qui relève du nihilisme, de la destruction, du chaos, de la disharmonie.

C’est un slogan très juste que fut celui lancé dans les années 1930 lors de la construction du socialisme en URSS, sous la direction de Staline : La vie est devenue meilleure, camarades, la vie est devenue plus joyeuse.

Cela reflète la justesse des orientations prises alors ; cela montre le caractère populaire, démocratique du socialisme mis en place.

La célébration est directement liée à la dialectique. Célébrer, c’est en effet reconnaître l’existence de quelque chose, la saluer en ce qu’elle est en soi.

C’est souligner de manière joyeuse qu’on apprécie d’éprouver des sensations en rapport avec elle ; c’est affirmer que cette chose a toute sa place, qu’elle s’insère harmonieusement dans l’existence.

La célébration témoigne de l’appréciation d’une chose en particulier ; elle reflète la dimension universelle que cette chose porte de par son existence.

La célébration salue le nouveau, le renouveau, la vie.

Elle est portée par des êtres humains qui ont conscience qu’ils veulent être heureux. Ils expriment le besoin de développer leurs facultés, de les utiliser pleinement dans un cadre harmonieux. Ils ont envie d’éprouver la joie et l’amour, ils ont besoin de savoir et de comprendre.

Le sens même de la vie d’un être humain réside dans le fait de vivre pleinement sa vie, de profiter d’une personnalité développée capable d’apprécier le monde et de se rendre utile à celui-ci.

Ce n’est en effet qu’en se plaçant, comme particulier, comme être humain particulier, avec ses particularités, en rapport productif avec l’universel – la société, l’humanité, l’ensemble des êtres vivants, l’univers – que l’être humain peut se réaliser en tant que tel.

Les êtres humains sont des animaux sociaux qui reconnaissent leur propre joie et leur place dans le monde, jusqu’à la célébration !

Les artistes jouent un grand rôle dans la célébration, parce qu’ils produisent des images, des musiques, des danses… qui sont employées en ce sens.

Cependant, tout producteur doit se placer dans la perspective de la célébration, qu’on parle d’un architecte ou d’un ouvrier.

Ce qui est produit doit correspondre à un besoin, d’où la nécessité de planifier la production ; ce qui est produit doit être une transformation consciente, ce qui implique un haut niveau de conscience par rapport aux activités menées.

Produire, lutter pour produire de manière juste et dans un cadre juste, expérimenter de manière scientifique, plonger dans la psyché humaine avec les arts et les lettres, telles sont les activités qui ont un impact sur soi-même et la société, qui façonnent la vie quotidienne et la conception de la vie qu’on peut avoir.

C’est pourquoi Staline parlait des écrivains comme des ingénieurs des âmes, mais c’est vrai en pratique de tout producteur, depuis l’architecte façonnant un quartier à l’ouvrier fabriquant des jouets.

C’est tout l’environnement de l’humanité qui a un impact sur elle, tout comme elle a un impact sur elle.

Tout se répond, c’est la dialectique ; c’est si l’on veut une question d’état d’esprit. C’est pourquoi d’ailleurs le rôle des artistes n’en apparaît que d’autant plus grand.

Les artistes sont en effet des producteurs qui s’isolent des autres, au nom de leur sensibilité, pour se précipiter dans une pratique artistique avec un haut degré de technique, telles que la peinture, la musique, la sculpture, la danse.

Les artistes ne peuvent en ce sens exister que s’ils sont reconnus comme tels par la société, tant pour la reconnaissance de leurs activités comme artistiques que pour la reconnaissance de leur droit à un soutien matériel.

Le dilemme des artistes est alors de savoir s’ils veulent servir le peuple, se placer dans l’histoire démocratique de celui-ci, dans le patrimoine culturel de celui-ci, dans l’héritage sur le plan de la civilisation de celui-ci, ou s’ils veulent mettre leur sensibilité au service des possédants, des dominants.

S’ils veulent réellement produire de l’art, les artistes doivent bien entendu choisir le camp du peuple, assumer l’héritage culturel et non pas inventer à la chaîne des « œuvres d’art » qui ne sont que des biens de consommation à portée symbolique pour les possédants et les dominants.

Les artistes doivent célébrer la réalité, ils doivent en refléter la beauté dans leurs œuvres, c’est là leur vraie nature.

Ce qui rend le travail des artistes si à part, c’est qu’ils s’intéressent à des choses bien en particulier, alors que la production industrielle produit en masse et de manière générale.

Naturellement, une société communiste ira dans le sens de combiner la production de masse avec l’art, afin d’ajouter de la beauté à la vie quotidienne. Personne n’a envie d’un environnement fade.

Néanmoins, les activités artistiques auront toujours tendance à rechercher de ce qu’il y a le plus spécifique dans une personne, dans un phénomène, dans une situation.

Et les vraies œuvres d’art sont celles qui parviennent à se fonder sur ce particulier pour l’amener à la hauteur du général. C’est ce qui donne sa substance à des classiques comme l’Odyssée d’Homère, Roméo et Juliette de Shakespeare, Guerre et paix de Tolstoï.

Les artistes poussent davantage la recherche du spécifique, tout comme les scientifiques dans leurs domaines spécifiques (chimie, physique, biologie, etc.) qui sont d’ailleurs tous reliés les uns aux autres.

On peut dire ici que la dialectique est universelle, mais que ses réalisations, ses modes de réalisation sont par contre particulières. C’est la dialectique de l’universel et du particulier.

Mao Zedong dit avec justesse à ce sujet que Toute forme de mouvement contient en soi ses propres contradictions spécifiques, lesquelles constituent cette essence spécifique qui différencie une chose des autres. C’est cela qui est la cause interne ou si l’on veut la base de la diversité infinie des choses dans le monde.

Il existe dans la nature une multitude de formes du mouvement : le mouvement mécanique, le son, la lumière, la chaleur, l’électricité, la dissociation, la combinaison, etc.

Toutes ces formes du mouvement de la matière sont en interdépendance, mais se distinguent les unes des autres dans leur essence.

L’essence spécifique de chaque forme de mouvement est déterminée par les contradictions spécifiques qui lui sont inhérentes.

Il en est ainsi non seulement de la nature, mais également des phénomènes de la société et de la pensée. Chaque forme sociale, chaque forme de la pensée contient ses contradictions spécifiques et possède son essence spécifique.

Être un dialecticien, c’est comprendre comment il y a l’universel dans le particulier, et comment le particulier rejoint l’universel.

C’est se fonder sur le fait que l’univers est infini.

Penser à l’infini, c’est avoir le tournis, parce qu’on cherche forcément dans son esprit à se raccrocher à quelque chose, sans quoi on se sent perdu puisque tout part dans tous les sens.

C’est là l’expression d’une contradiction, celle entre le fini et l’infini. Un être humain est en effet « fini » et non pas infini ; il est ce qu’il est et il va mourir un jour. Sa vie est limitée.

Il ne peut pas lire tous les livres, il ne peut pas tout connaître. Il ne peut pas vivre toutes les sensations ; il ne peut pas rencontrer tout le monde.

Il ne peut pas écouter toutes les musiques produites dans le passé, ni celles qui seront produites après sa mort.

La notion d’infini est donc extérieure à lui, elle apparaît comme abstraite, impossible ou inatteignable, réservée à Dieu. C’est pourquoi peu de penseurs ont osé affronter cette notion d’infini à travers l’Histoire : Aristote, Spinoza, Hegel, Marx, Mao Zedong.

Il faut ajouter ceux qui ont assumé avec eux cette notion d’infini : Engels, Lénine, Staline. Il leur a fallu un remarquable courage pour porter leur réflexion sur un univers conçu comme infini, sans s’y perdre intellectuellement.

Leur mérite est immense ; ils ont porté la libération de l’humanité, au sens où la notion d’infini arrache celle-ci de la mesquinerie et du fétichisme.

Avec la notion d’infini, l’humanité change de dimension. Elle perd son arrogance et son attention fixée purement sur elle-même ; elle ne se cantonne plus dans la satisfaction de choses superficielles. Elle s’ouvre au monde et découvre la réelle beauté des choses.

Elle s’aperçoit que son environnement ne consiste pas en des briques qu’on peut manipuler mécaniquement afin d’améliorer sa propre existence.

Elle comprend que dans l’univers tout est lié et tout se transforme, dans une infinité de nuances et de différences. Par quelque bout qu’on prenne les choses, elles sont inépuisables.

Si on veut tenter de trouver une image adéquate, on peut voir l’univers comme un immense océan.

Chaque chose qui se transforme est une petite vague, et toutes les vagues se rencontrent les unes les autres, elles se heurtent, elles fusionnent, et le processus ne s’arrête jamais.

Les vagues changent ainsi de forme ; elles se développent. Elles gagnent en complexité dans leur nature de vague ; les combinaisons entre les vagues deviennent pareillement toujours plus intenses, plus profondes, plus puissantes.

C’est la loi de l’évolution qu’on est en train de résumer ici. L’évolution est dans la nature des choses elles-mêmes : leurs contradictions se rencontrent, s’affrontent et se relient, produisant un développement par leur mélange.

Ce processus est inépuisable, d’autant plus que l’univers lui-même n’a aucune limite ; il est infini et il ne peut pas être autrement qu’infini, puisque chaque chose elle-même contient en quelque sorte l’infini elle-même de par sa nature.

Le matérialisme dialectique célèbre donc le nouveau, car les « vagues » de l’univers produisent toujours de nouvelles choses ; c’est dans leur nature.

Tout se transforme, de manière inéluctable ; le matérialisme dialectique est en substance la science des transformations, dans tous les domaines.

Le matérialisme dialectique, c’est l’affirmation du nouveau contre l’ancien, comme Mao Zedong l’expose : Nous parlons souvent du ‘‘remplacement de l’ancien par le nouveau’’. Telle est la loi générale et imprescriptible de l’univers.

La transformation d’un phénomène en un autre par des bonds dont les formes varient selon le caractère du phénomène lui-même et les conditions dans lesquelles il se trouve, tel est le processus de remplacement de l’ancien par le nouveau.

Dans tout phénomène, il existe une contradiction entre le nouveau et l’ancien, ce qui engendre une série de luttes au cours sinueux.

Il résulte de ces luttes que le nouveau grandit et s’élève au rôle dominant ; l’ancien, par contre, décroît et finit par dépérir.

Et dès que le nouveau l’emporte sur l’ancien, l’ancien phénomène se transforme qualitativement en un nouveau phénomène.

Il ressort de là que la qualité d’une chose ou d’un phénomène est surtout déterminée par l’aspect principal de la contradiction, lequel occupe la position dominante.

Lorsque l’aspect principal de la contradiction, l’aspect dont la position est dominante, change, la qualité du phénomène subit un changement correspondant.

Autrement dit, la transformation a un fil conducteur.

La matière est inépuisable et chaque chose est inépuisable, il y a une infinité de contradictions. Pour autant, chaque chose porte une contradiction principale. Le conflit représenté par cette contradiction produit un saut qualitatif, qui va jouer sur toutes les autres contradictions.

C’est, si l’on veut, le principe résumé sous la formule thèse – antithèse – synthèse.

Ceux qui ont un point de vue unilatéral considèrent que thèse, antithèse, synthèse signifie que deux choses se rencontrent pour fournir une ligne directrice à quelque chose de désormais stable.

Ce n’est pas du tout le cas. Il n’y a pas de thèse qui vienne rencontrer l’antithèse, pour s’unir et former une situation en équilibre, appelée synthèse.

Pour le matérialisme dialectique, la synthèse est le saut qualitatif qui découle de l’affrontement entre la thèse et l’antithèse.

Un affrontement qui est en même temps une « alliance », car la rencontre entre la thèse et l’antithèse ne doit rien au hasard.

C’est un processus de transformation qui a abouti à cette rencontre, qui est à la fois une union et un conflit ; c’est toute une tension qui se forme ici, permettant à la chose d’exister et d’être en mouvement, de connaître un nouveau processus de transformation.

Les choses se transforment, somme toute pour se transformer.

On pourrait dire en fin de compte que toutes les choses sont, finalement, des contradictions, même si en réalité on ne peut pas dire ça, car les contradictions n’existent pas sans les choses.

Il y a des choses qui portent une thèse et une antithèse, celles-ci s’affrontent et finalement la chose se transforme, dans une synthèse. Puis le processus recommence, à l’infini.

C’est pour cela qu’il y a perpétuelle transformation : les contradictions sont relatives, elles ne durent pas éternellement ; l’union cède immanquablement le pas à l’affrontement et le choc produit la transformation.

L’union des opposés thèse-antithèse ne dure qu’un temps ; elle est relative. Leur lutte prend toujours le dessus. Comme le dit Lénine, L’unité (coïncidence, identité, équivalence) des contraires est conditionnelle, temporaire, transitoire, relative.

La lutte entre contraires s’excluant mutuellement est absolue, comme sont absolus le développement et le mouvement.

Le processus thèse-antithèse-synthèse concerne absolument chaque chose et chaque phénomène ; tout est amené à se transformer. Et comme tout se transforme partout, cela donne toujours plus de combinaisons entre ces choses nouvelles, avec de nouveau des transformations.

Ce processus n’aboutit pas qu’à des choses nouvelles ; ce qui est produit est davantage complexe, avec toujours plus de qualité.

Les choses se transforment parce que les contradictions font leur effet, et ces contradictions sont elles-mêmes issues de transformations.

Tout s’ajoute, se lie, se mélange ; pour cette raison, les rapports entre les choses deviennent toujours plus denses, plus profonds, plus complexes.

Les choses elles-mêmes sont portées par des contradictions qui ont gagné en qualité avec les précédentes transformations, étant formées par davantage de mélanges, d’interactions, d’enchevêtrement, d’imbrication, de fusion, de compilation, de combinaison, d’entortillement, d’imprégnation, de contamination, d’assimilation, etc.

Il suffit de penser à quelqu’un qui fait du sport et étudie le corps humain. Il va mêler sa pratique sportive à des connaissances sur la fréquence cardiaque, l’utilisation de l’oxygène par le corps, le fonctionnement des muscles et des articulations.

Plus cette personne va connaître de choses, plus les connaissances acquises vont jouer les unes sur les autres, s’accumulant jusqu’à aboutir à des sauts qualitatifs, améliorant la pratique sportive elle-même.

Ces connaissances sont d’ailleurs sans limites ; on peut toujours apprendre davantage à ce sujet, tout comme la pratique sportive peut toujours connaître des ajustements, des améliorations. On reconnaît ici le caractère inépuisable de la matière.

Staline caractérise avec justesse le processus du saut qualitatif : Contrairement à la métaphysique, la dialectique considère le processus du développement, non comme un simple processus de croissance où les changements quantitatifs n’aboutissent pas à des changements qualitatifs, mais comme un développement qui passe des changements quantitatifs insignifiants et latents à des changements apparents et radicaux, à des changements qualitatifs ; où les changements qualitatifs sont, non pas graduels, mais rapides, soudains, et s’opèrent par bonds, d’un état à un autre ; ces changements ne sont pas contingents, mais nécessaires ; ils sont le résultat de l’accumulation de changements quantitatifs insensibles et graduels.

C’est pourquoi la méthode dialectique considère que le processus du développement doit être compris non comme un mouvement circulaire, non comme une simple répétition du chemin parcouru, mais comme un mouvement progressif, ascendant, comme le passage de l’état qualitatif ancien à un nouvel état qualitatif, comme un développement qui va du simple au complexe, de l’inférieur au supérieur.

Le saut qualitatif est ce qui justifie que le nouveau est supérieur à l’ancien : l’ancien ne disparaît pas, mais cède la place à une version modifiée de lui-même, une version plus approfondie, plus complexe, plus développée.

Avec les transformations, il y a bien sûr beaucoup de changements et les lointains ancêtres sont toujours plus méconnaissables.

C’est pour cela que seule la dialectique permet de bien aborder l’Histoire, dans tous les domaines, en montrant comment chercher les modifications passées.

On peut lire le passé grâce à la dialectique, car tous les processus passés ont abouti au présent.

Plus on connaît le présent, plus on peut davantage comprendre le passé, car l’évolution continuant, on a toujours plus de recul, on voit la marche qu’elle a prise.

On peut également connaître les grandes tendances menant à l’avenir, car le mouvement dialectique est irrépressible et les sauts qualitatifs, les bonds en avant, sont inéluctables.

L’univers « obéit » à cette loi, plus exactement il est cette loi. Toutes les choses connaissent, à un moment ou à un autre, un saut qualitatif. L’ensemble des phénomènes consistant en des choses multiples se combinant connaît, à un moment ou à un autre, un saut qualitatif.

Le passé est l’Histoire des transformations passées, qu’on peut comprendre à partir du présent qui est l’aboutissement de celles-ci. Et le présent porte en lui les déséquilibres qui formeront les équilibres de demain.

L’avenir est le produit du présent, tout comme le présent est le produit du passé. Il n’y a rien de figé, il n’y a rien qui se répète en tant que tel ; il y a des situations temporaires d’équilibre, qui portent en elles des contradictions donnant naissance à des choses nouvelles.

Comme le dit Mao Zedong, Le déséquilibre est une loi générale et objective.

Le cycle, qui est sans fin, passe du déséquilibre à l’équilibre et, à nouveau, de celui-ci à celui-là.

Chaque cycle, cependant, correspond à un niveau supérieur de développement.

Le déséquilibre est absolu, tandis que l’équilibre est temporaire et relatif.

La rupture de l’équilibre, c’est un bond en avant.

Il n’y a pas un monde fini créé une fois pour toutes par un Dieu infini ; il y a un monde infini produisant des choses nouvelles de manière inépuisable.

Au fur et à mesure de son vécu, l’humanité a compris cela ; elle s’est aperçu que les choses évoluaient.

Les animaux se sont transformés, l’humanité elle-même est liée à la famille des grands singes. La Terre elle-même s’est transformée, pendant des milliards d’années.

Et l’humanité a elle-même transformé la Terre.

L’agriculture et la domestication des animaux ont été les premiers vecteurs de cette transformation, qui a pris des proportions toujours plus grandes avec l’apparition de l’industrie moderne, des grandes machines, de l’emploi de ressources énergétiques de masse comme le pétrole, le gaz, le nucléaire.

Il y a ici une source de réflexion, d’inspiration et d’inquiétude pour qui raisonne en termes de passé, de présent, d’avenir.

Car l’humanité est dans la démesure dans son rapport à la Terre, elle mène des actions de grande ampleur qui modifient radicalement la géographie, les êtres vivants, les environnements.

C’est le grand mérite du savant Vladimir Vernadsky que d’avoir ici étudié le rôle de l’humanité dans la transformation de la Terre.

Son ouvrage La Biosphère, publié en 1926, est l’aboutissement intellectuel de toute une époque de transformation de la planète par l’humanité, sous l’effet du travail humain et des techniques modernes employées.

La planète Terre est une Biosphère, avec des êtres vivants qui sont en interaction, avec des montagnes, des fleuves, des sols qui eux aussi sont en interaction, et toute la matière, vivante comme non vivante est en interaction. Rien n’existe de manière indépendante.

Un événement est venu rappeler aux êtres humains qu’ils sont des animaux, mêmes si sociaux.

La pandémie de 2020 a été une épreuve pour l’humanité, à l’échelle mondiale ; pour la première fois, il y a eu la confrontation à la même maladie dans tous les pays du monde, avec des informations diffusées en temps réel.

Ce fut un épisode immense de la vie de l’humanité.

Ce fut la démonstration qu’on en est arrivé à un stade où l’unification de tous les êtres humains à l’échelle planétaire représente déjà quelque chose de concret.

C’est également l’enseignement que l’humanité ne vit pas isolée du reste. Les autres êtres vivants et l’environnement ont un impact sur celle-ci.

Il y a une dialectique entre l’humanité et les êtres vivants, entre l’humanité et l’environnement.

Et il est évident que l’humanité ne peut plus se comporter avec les êtres vivants et l’environnement comme elle l’a fait pendant des dizaines, des centaines, des milliers d’années.

Il n’est plus possible que l’humanité considère que tout ce qui existe autour d’elle est à sa disposition, qu’il est possible de tout saccager, d’enfermer des êtres vivants et de les utiliser comme bon lui semble, notamment pour les expérimentations ou pour l’alimentation.

Une humanité célébrant les transformations, célébrant la vie qui suit son cours, célébrant l’évolution, ne peut pas agir de manière destructrice envers justement le produit des transformations, le fruit de la vie, le résultat de l’évolution.

La compréhension des rapports dialectiques entre les choses oblige l’humanité à une vaste et profonde remise en cause. Ses agissements ne peuvent plus être désordonnés, meurtriers et destructeurs.

Elle doit avoir la mesure de ses actions, se placer comme protectrice du vivant et non pas comme appropriatrice et pillarde.

Pourquoi l’humanité doit-elle protéger la Terre et, on peut l’imaginer, permettre l’expansion de la vie sur d’autres planètes ?

C’est lié à sa situation historique, à sa particularité dans le cadre général de l’évolution des êtres vivants.

Pourquoi l’être humain a-t-il, en effet, un parcours qui l’a amené à être particulièrement différent des autres animaux ?

Comment se fait-il que lui seul a été en mesure de développer une production artisanale, puis industrielle, avec des techniques, des technologies toujours plus élaborées ?

C’est qu’aucun mouvement n’est rectiligne ; rien ne se produit de manière « pure » il n’y a jamais de processus qui ne soit pas contradictoire.

Aussi y a-t-il un développement inégal, ce qu’on peut considérer en un certain sens comme un décalage dans le processus général des transformations.

L’humanité représente précisément le développement inégal dans l’expansion de la vie sur Terre.

L’auteur de la Biosphère, Vladimir Vernadsky, avait précisément constaté cette particularité humaine qui était de modifier radicalement la planète Terre.

Il se disait de manière pertinente qu’il était impossible que la Terre, en tant que système abritant la vie, permette l’émergence d’une telle espèce transformatrice sans que cela n’ait un sens par rapport à l’ensemble.

Et, si on regarde bien, l’humanité emploie d’ailleurs massivement les énergies fossiles, qui sont issues de la lente transformation de matière organique issue d’êtres vivants et enfouie dans le sol depuis plusieurs millions d’année.

Ce qui amène à penser que l’humanité utilise des ressources fournies par la vie elle-même.

Bien entendu, pour l’instant, le résultat de l’humanité dans son rapport à la Biosphère est désastreux. Mais il pourrait en être totalement autrement et la question se pose, de manière révolutionnaire.

Ce qui correspond à un nécessaire saut qualitatif. L’humanité s’est développée hors de la Nature, contre elle ; le processus doit être renversé. L’humanité doit revenir dans la Nature, en conservant ses acquis, au service de celle-ci, en étant enfin épanouie car célébrant les sensations liées à l’harmonie, la paix, le bonheur.

Tel est le sens du Communisme.

Le développement inégal peut surprendre comme conception, mais il est très simple à comprendre si on voit qu’il ne faut pas définir les choses positivement, mais négativement.

C’est Spinoza qui a compris cela au 17e siècle, dans un effort incommensurable pour affronter la notion d’infini. Il a synthétisé l’approche nécessaire en disant que toute détermination est une négation.

Ce qu’il faut comprendre par là, c’est qu’il ne faut pas simplement se dire qu’une chose existe et qu’elle a des caractéristiques. Le plus grand penseur avant Spinoza, Aristote, raisonnait ainsi : il cherchait la mécanique à l’oeuvre en chaque chose, son mode de fonctionnement.

Spinoza a compris que ce n’était là qu’un aspect de la question. Et il dit : il faut considérer qu’il y a un grand tout, et on enlève la chose qu’on veut définir.

Cette chose est ce qui n’est pas tout le reste ; elle-même n’est pas tout ce qui reste.

C’est une définition par la négative et si cela apparaît comme une contorsion intellectuelle, c’est un outil fondamental, car cela permet de voir une chose non pas séparément, isolément, mais de la considérer dans son rapport au reste, à l’infini.

Cela marche très précisément pour l’humanité en ce qu’elle se distingue des animaux ; ce n’est pas que l’être humain est ainsi, le chien comme cela et le chat comme encore différemment.

C’est que l’humanité s’oppose à tous les autres animaux, pris comme un ensemble.

Cela veut dire qu’il existe une contradiction spécifique entre l’humanité et l’ensemble des animaux, qui doit être pris en tant que tel.

Comme l’humanité fait la guerre aux animaux, il est facile de comprendre que le renversement nécessaire, le bond en avant, le saut qualitatif, implique la cessation de cette guerre.

Mais de manière générale, toute détermination est négation permet de prendre chaque chose en particulier, en ce qu’elle n’est pas autre chose.

Les choses se définissent à l’endroit, mais à l’envers aussi ; c’est que finalement, non seulement les choses relèvent de contradictions internes, mais elles-mêmes sont en contradiction avec d’autres choses.

Tout est contradiction, partout et tout le temps.

On peut en quelque sorte dire que pour avoir une bonne approche de la dialectique, il suffit de considérer que tout a une influence sur tout.

C’est comme si l’existence d’une chose produisait un écho, et que cet écho allait avoir sur les autres choses.

On peut également penser à un miroir : chaque chose est un miroir dont l’image se reflète dans autre chose, qui est elle-même un miroir, et tout se reflète ainsi à l’infini.

C’est Karl Marx qui le premier a compris dans quelle mesure l’esprit humain était façonné par son environnement, dans la mesure où l’être humain vit dans des conditions concrètes, sa vie quotidienne reposant sur un certain mode de production.

On ne pense pas pareillement dans une société esclavagiste, dans une société féodale, dans une société capitaliste, dans une socialiste.

Ce n’est pas seulement qu’on ne pense pas la même chose ; on ne pense véritablement pas pareil. Ce qui peut paraître anodin dans la société esclavagiste sera considéré comme intolérable du point de vue de la société socialiste.

Les notions de crime, de morale, de religion, de politique, de droit, d’art, de culture… tout est lié à une réalité donnée, où les choses se reflètent les unes les autres. Il est ainsi impossible d’échapper à son époque ; on en dépend à tous les niveaux, on est mentalement lié à un cadre donné.

Naturellement, comme les sociétés se transforment, on conserve le meilleur de chacune dans la société suivante. C’est là encore une question de miroir : le meilleur continue de se refléter, alors que le reste disparaît.

Les mentalités esclavagistes s’effacent par exemple, de par leur nature liée à un mode de production donné.

Les grands auteurs de la Rome antique esclavagiste conservent par contre leur intérêt, comme aspect positif de l’époque concernée.

C’est pourquoi on doit comprendre que les échos qu’ont les choses, l’impact que les choses ont les unes sur les autres, leur permettent justement de s’insérer les unes dans les autres.

Tous les reflets ne se valent pas, tous les échos n’ont pas la même profondeur. Tout s’entremêle et il se forme un fil conducteur, avec un aspect principal, des aspects secondaires.

C’est la raison pour laquelle le matérialisme dialectique dit que tout se reflète partout, tout le temps, mais qu’en même temps il faut voir comment les reflets jouent eux-mêmes les uns sur les autres.

Un compositeur de musique, par exemple, utilise des notes. L’existence de chaque note a un écho, a un impact sur les autres notes. La science du rapport entre les notes s’appelle le contrepoint.

Et les notes ensemble forment une mélodie, qu’il faut maîtriser. La science de la mélodie s’appelle l’harmonie. Un musicien doit comprendre ces deux niveaux.

C’est un bon exemple car on voit facilement comment les notes restent ce qu’elles sont tout en s’emboîtant les unes dans les autres, tout en formant à une autre échelle une mélodie d’ensemble.

Toutes les choses sont semblables aux notes.

C’est une question bien compliquée, toutefois c’est justement l’intérêt de l’image d’un univers en océan composé de vagues qui se rencontrent les unes les autres à l’infini.

On peut également raisonner en pensant à un oignon, car ses feuilles s’enveloppent les unes dans les autres.

C’est l’image employé au milieu du 20e siècle par le très important physicien japonais Shoichi Sakata, qui a compris les apports de Mao Zedong.

L’idée est la suivante : d’un côté, chaque chose appartient à des regroupements comme les atomes, les masses, les planètes, les galaxies, etc.

De l’autre côté, chaque chose relève en même temps de regroupements d’autres types, comme une montagne, un poumon, le corps d’un chat, etc.

Shoichi Sakata en déduit alors que Dit de manière métaphorique, ces circonstances peuvent être décrites comme ayant une sorte de structure multi-dimensionnelle du type d’un filet de pêche ou, plutôt serait-il mieux de dire, qu’ils ont une structure du type des oignons, en phases successives.

Ces niveaux ne sont en rien isolés mutuellement et indépendants, mais sont connectés mutuellement, dépendants et constamment « transformés » les uns en les autres.

La compréhension de l’univers en oignon ne saurait bien entendu être absolue. L’univers est infini et une connaissance infinie est impossible.

On ne peut pas tout connaître, et de toutes façons tout est tout le temps en transformation, à tous les niveaux.

C’est pourquoi Lénine parle de la dialectique comme connaissance vivante, multilatérale (le nombre de côtés augmentant perpétuellement) avec une foule de nuances pour toute façon d’aborder, d’approcher la réalité (avec un système philosophique qui croit en un tout à partir de chaque nuance).

Sur quoi donc doit alors se fonder l’approche dialectique ?

Il faut se tourner vers l’opposé de l’absolu et de l’infini : le particulier et le fini. Puisque tout est lié, se tourner vers le fini amène à l’infini, le particulier à l’absolu.

Bien entendu, on ne parviendra ni à l’infini, ni à l’absolu. Mais on avancera tout de même sur le chemin de la science ; on tendra au maximum vers la vérité.

Contrairement à la conception qui voit les choses de manière unilatérale, et qui prétend qu’il faut être un observateur neutre, le matérialisme dialectique affirme qu’il est nécessaire d’être partie prenante des processus pour être en mesure d’en comprendre la nature. C’est le primat de la pratique, afin de satisfaire à la dignité du réel.

C’est ce que Mao Zedong résume en rappelant fort justement que Si l’on veut acquérir des connaissances, il faut prendre part à la pratique qui transforme la réalité.

Si l’on veut connaître le goût d’une poire, il faut la transformer : en la goûtant. Si l’on veut connaître la structure et les propriétés de l’atome, il faut procéder à des expériences physiques et chimiques, changer l’état de l’atome.

Si l’on veut connaître la théorie et les méthodes de la révolution, il faut prendre part à la révolution. Toutes les connaissances authentiques sont issues de l’expérience immédiate.

C’est que par la pratique, par la mise en jeu des sensations, on se relie soi-même au processus qu’on étudie, on voit de l’intérieur les multiples aspects qui, vu de l’extérieur, sont masqués par l’apparence d’un ensemble unique.

La pratique relève de la transformation et s’associe à une transformation en cours : tel est le vrai sens de l’action, de l’engagement, qui jamais ne peut agir de l’extérieur, avoir un sens sans se conformer à la tendance générale.

Une action s’inscrit dans une réalité, ou bien elle est vaine ; cette réalité se transforme, donc il faut s’aligner sur cette transformation. On doit chercher à se placer conformément à la tendance générale, sans quoi on est mis de côté dans le processus, qu’on ne comprend plus.

La manière qu’on a de se relier à une chose, pour la connaître, est celle d’une spirale, car les choses ne vont jamais en ligne droite.

C’est vrai déjà pour la pensée, qui tend vers la connaissance de quelque chose, sans jamais pouvoir l’atteindre entièrement, puisque cette chose se transforme et il y a toujours un retard de la pensée par rapport à celle-ci.

Lénine nous enseigne ici que La connaissance humaine n’est pas (ou ne décrit pas) une ligne droite, mais une ligne courbe qui se rapproche indéfiniment d’une série de cercles, d’une spirale.

Tout segment, tronçon, morceau de cette courbe peut être changé (changé unilatéralement) en une ligne droite indépendante, entière, qui (si on ne voit pas la forêt derrière les arbres) conduit alors dans le marais, à la bondieuserie (où elle est fixée par l’intérêt de classe des classes dominantes).

Démarche rectiligne et unilatéralité, raideur de bois et ossification, subjectivisme et cécité subjective, voilà les racines gnoséologiques [de la théorie de la connaissance] de l’idéalisme.

Et la bondieuserie (=idéalisme philosophique) a, naturellement, des racines gnoséologiques, elle n’est pas dépourvue de fondement ; c’est une fleur stérile, c’est incontestable, mais une fleur stérile qui pousse sur l’arbre vivant de la vivante, féconde, vraie, vigoureuse, toute-puissante, objective, absolue connaissance humaine.

Autrement dit, on peut prendre une photographie du réel, cela aura un sens, mais un sens figé, bloqué, qui ne comprend pas le mouvement perpétuel de transformation et ainsi amène la pensée à se geler.

Ce n’est plus une réflexion en tant que reflet de la réalité, mais une pensée congelant une idée et en la rendant éternelle au moyen de l’imagination.

Mais cette image de la spirale est valable pour la transformation des choses elles-mêmes. Une contradiction n’est jamais statique, cela correspond à une tension.

Les deux pôles sont en conflit, et on peut s’imaginer qu’on penche parfois vers un pôle, parfois vers l’autre, et c’est alors très exactement l’image d’une spirale qu’on peut concevoir.

Car ce n’est pas un mouvement de balancier : on avance dans la transformation, avec à chaque moment un pôle qui l’emporte sur l’autre, qui fait pencher dans un sens plutôt que l’autre, tout en n’empêchant pas le mouvement général.

Et, évidemment, lorsqu’une spirale a atteint son but, lorsqu’il y a transformation, elle continue d’avancer, sous une autre forme, immédiatement, portée par une nouvelle série de contradictions portant une nouvelle transformation.

Lorsqu’une chose va connaître une transformation, lorsque le mouvement de la spirale est à son maximum pour ainsi dire, alors il va se produire un moment de grande intensité où les opposés se transforment l’un en l’autre, de manière la plus complète possible.

C’est un moment de crise, car l’ancien vacille et le nouveau prend sa place ; plus rien ne reste en place, il y a des modifications à tous les niveaux.

Il suffit de penser à la naissance d’un enfant, à la révolution d’Octobre 1917, à la fin de la lecture d’un roman, au moment où on tombe amoureux, etc.

Un excellent exemple de célébration du nexus se retrouve dans ce qu’on lit dans L’Univers est l’unité du fini et de l’infini, publié dans le Journal de la dialectique de la Nature au moment de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine au début des années 1970 : La fin de toute chose concrète, le soleil, la Terre et l’humanité n’est pas la fin de l’Univers.

La fin de la Terre apportera un corps cosmique nouveau et plus sophistiqué.

À ce moment-là, les gens tiendront des réunions et célébreront la victoire de la dialectique et souhaiteront la bienvenue à la naissance de nouvelles planètes.

La fin de l’humanité se traduira également par de nouvelles espèces qui hériteront de toutes nos réalisations. En ce sens… la mort de l’ancien est la condition de la naissance du nouveau.

On a là une excellente mise en perspective du nexus du point de vue de l’Histoire de l’humanité. Tout se transforme, l’humanité également et il n’y a jamais de fin, toujours un processus ininterrompu de transformation avec à chaque fois des bonds qualitatifs.

Le nexus précède le bond qualitatif, ou plus exactement il correspond à sa naissance lorsque la contradiction commence à produire le nouveau.

Le reconnaître peut être une chose malaisée, car de par le caractère inépuisable de la matière, les échéances peuvent être longtemps repoussées ; il y a des aspects secondaires significatifs, qui modifient le cheminement, le parcours de la transformation.

Néanmoins, le caractère inépuisable de la matière ne modifie pas le caractère de la contradiction principale, qui produit inévitablement le saut qualitatif.

Ce sont simplement les modalités qui sont modifiées, de par les rapports entre la contradiction principale et les contradictions secondaires.

Une contradiction secondaire peut également devenir principale, mais en prenant cette position elle se doit d’assumer pareillement le caractère inéluctable du saut qualitatif.

Il y a ici beaucoup de choses à prendre en compte et on comprend que le matérialisme dialectique ne puisse être compris par l’esprit humain que dans le cadre d’une société où l’humanité a produit beaucoup de choses, les utilisant, les modifiant, et ce à grande échelle.

Il faut avoir l’habitude de manier de très grandes données quantitatives et ici il est évident que le développement d’internet est un grand apport à l’esprit humain, à sa capacité à gérer les réseaux, les connexions, les liaisons.

Naturellement, il manque la dimension qualitative, la saisie de la transformation comme processus : il ne suffit pas de constater l’existence des réseaux, encore faut-il saisir que tout est lié, que tout s’enchevêtre, que tout se fait écho.

D’où la tentative historique de la bourgeoisie, au début du 21e siècle, de développer une idéologie ultra-individualiste, où chaque personne se voit réduite à un individu unique, fondamentalement différent des autres, vivant à l’écart et n’ayant que des rapports de « contrat » avec les autres.

C’est une tentative de nier l’universel au nom du particulier, afin de prétendre qu’il n’existe que des consommateurs, que la notion de transformation – portée justement par la classe ouvrière – ne joue pas de rôle.

Le matérialisme dialectique est justement la science portée par la classe ouvrière, car celle-ci transforme et assume la transformation, étant donné que c’est dans sa nature même.

Les artistes et les scientifiques transforment également, mais ils visent le particulier, alors que la classe ouvrière transforme avec une valeur universelle.

De plus, la classe ouvrière joue le rôle central dans le cadre du mode de production qui permet de reproduire la vie quotidienne : c’est elle qui produit pour que l’humanité puisse vivre, et pourtant elle est mise de côté, aliénée, exploitée.

C’est pourquoi elle doit prendre les commandes de la société.

(……………………………………………………………………………)

(……………………………………………………………………………)

(……………………………………………………………………………)

(……………………………………………………………………………)

(……………………………………………………………………………)

(……………………………………………………………………………)

Cela correspond à l’expression de la contradiction entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, et plus généralement à l’affrontement entre les masses et les exploiteurs profitant du mode de production en exploitant.

La guerre populaire, portée par les masses, ouvre la voie de la révolution, portée par l’Histoire, conformément à ce qu’a formulé Mao Zedong : Sans contraste, pas de différenciation. Sans différenciation et sans lutte, pas de développement.

>>Revenir au sommaire des articles
sur le matérialisme dialectique