À toutes les organisations prolétariennes appartenant à l’Internationale Communiste ou désirant y entrer
Comité Exécutif de l’Internationale Communiste
Le 3e Congrès universel de l’Internationale Communiste est convoqué à Moscou pour le 1er juin 1921. Nous avançons ce congrès de deux mois sur le terme prévu par le règlement de l’Internationale. Nous sommes convaincus que les Partis adhérant à l’internationale conviendront avec nous que l’intérêt de notre cause exige ce rapprochement de date.
Au coure des neuf mois aujourd’hui écoulés depuis le 2e Congrès universel, une large discussion de principes s’est poursuivie dans plusieurs de nos Partis sur toutes les questions posées par le 2e Congrès. Dans plusieurs pays la différenciation a même atteint un degré tel que la rupture s’est enfin opérée entre les Communistes et les partisans du Centre.
En Allemagne, en France, en Angleterre, en Suède, en Norvège, en Roumanie, en Yougoslavie, en Grèce, en Suisse, en Belgique et dans d’autres pays, la scission entre les communistes et les tenants de l’Internationale intermédiaire deux-et-demie est un fait accompli.
Dans d’autres pays, comme la Tchécoslovaquie, cette scission sera l’œuvre de l’avenir le plus rapproché. En Italie les communistes ont constitué un Parti indépendant.
De l’actuel Parti Socialiste, qui groupe des réformistes avérés et des révolutionnaires hésitants, se sépareront progressivement les éléments prolétarien et sains, qui adhéreront à l’Internationale Communiste. En Amérique, l’union de tous les groupements communistes s’opérera dans le plus bref délai.
L’internationale doit tirer la conclution de tous ces événemetns qui se sont produits à l’intérieur de ces Partis. Le Comité Exécutif a dû prendre pendant cette période des résolutions de la plus haute gravité, il doit en rendre compte à toute l’internationale Communiste. Le 3e Congrès doit avant tout se convaincre que chacun des Partis affiliés a exécuté véritablement toutes les conditions posées par le 2e congrès.
C’est toute une période de l’Internationale Communiste qui se termine. Jusqu’à son premier Congrès, l’Internationale était dans la phase préparatoire et embryonnaire. Entre le premier et le second, elle a passé par la phase première de propagande. Pendant tout ce temps elle n’était pas encore une organisation internationale possédant une forme précise. Elle n’était qu’un drapeau.
La période qui s’est écoulée entre le second et le troisième Congrès est au contraires celle de la différenciation accusée entre les tendances et de la formation de véritables Partis Communistes. Le 3e Congrès fera la somme de tout ce travail et donnera à l’Internationale son organisation parfaite et sa tactique régulière.
Le projet d’ordre du jour composé pour le 3e Congrès par le Comité Exécutif a été publie dans la presse. Le premier point est le rapport du Comité Exécutif. Pendant les neuf mois écoulés depuis le 2e Congrès, le Comité Exécutif a dû prendre la part la plus directe à la campagne et aux scissions qui se sont produites à l’intérieur des Partis. Il s’est élevé naturellement contre lui à ce sujet des protestations.
Le 3e Congrès aura à dire si le Comité Exécutif a mis fidèlement en pratique la ligne de conduite fixée par le 2e Congrès, Mais l’Internationale Communiste en tout cas doit établir cette règle ferme et précise que le Comité Exécutif est entièrement subordonné au Congrès universel ; on peut en appeler de telle ou telle de ses décisions, mais dans l’intervalle entre les Congrès toute la plénitude de la direction lui appartient. Ses décisions doivent être exécutées.
Sans cela l’existence même de l’Internationale Communiste, comme organisation mondiale centralisée et disciplinée, est impossible. Si l’internationale Communiste ne s’appelle pas en vain l’Internationale de l’action, elle doit avoir son État-major, elle doit être certaine qu’à l’égard de cet État-major la discipline sera observée non seulement en paroles, mais dans les actes.
Le second point de l’ordre du jour est intitulé : « La crise économique universelle et les buts nouveaux de l’Internationale Communiste ».
Les « théoriciens » de l’Internationale deux-et-demie, Otto Bauer, Hilferding, Kautsky et Cie, assurent que la bourgeoisie, après la fin de la guerre impérialiste, réussira aujourd’hui à restaurer l’équilibre économique et que l’Europe entre dans une ère de développement organique actif sur la base d’un système capitaliste « renouvelé » en vue de la production pacifique.
De là les leaders de l’Internationale deux-et-demie sans parler des traîtres déclarés de la Seconde « Internationale », tirent certains avantages pratiques. Voilà de qui permet à tous ces Partis, comme par exemple les Indépendants d’Allemagne ou les Longuettistes de France, de passer cyniquement dans le camp de la contre-révolution avérée.
Au 3e Congrès universel il appartiendra, en partant de l’appréciation exacte des faits, après l’analyse minutieuse de la crise économique avec toutes ses horreurs, chômage jusqu’à présent sans exemple et misère inouïe des masses, de faire apparaître aux travailleurs du monde entier toute la fausseté des illusions réformistes et toute la sottise des gens qui croient à l’avenir d’un capitalisme replâtré et prêchent au prolétariat international une tactique petite-bourgeoise de réformation pacifique.
Le troisième et le quatrième points de l’ordre du jour concernent la tactique de l’Internationale Communiste pendant la période révolutionnaire et la période de transition (exigences partielles, actions partielles et enfin lutte révolutionnaire décisive).
Dans la période de transition que nous traversons, il est fatal qu’il se produise, dans le mouvement révolutionnaire deux écarts. Si nous sommes à la veille de la Révolution, pourquoi donc émettre des exigences partielles, disent les uns ?
Si nous pouvons émettre des exigences partielles, pourquoi donc répéterons-nous chaque fois tout le programme dans son ensemble, disent les autres ? Ne dissipons pas nos forces dans des manifestations partielles, accumulons-les pour la lutte finale et décisive, disent les premiers. Profitons de chaque occasion pour nous manifester, disent les seconds.
Le 3e Congrès devra tirer les leçons de l’expérience concrète des camarades russes à la veille de la Révolution et de la lutte menée par les ouvriers allemands et les prolétaires des autres pays.
Le 3e Congrès devra formuler exactement la ligne tactique des Partis Communistes, ligne également étrangère au sectarisme et à la recherche des succès éphémères, tendant également à établir la plus étroite liaison entre les Partis Communistes et les masses prolétariennes et à conserver l’intransigeance doctrinale et la fidélité à la théorie du marxisme révolutionnaire.
Les articles 5 et 6 sont consacrés au mouvement professionnel international : la campagne contre l’Internationale jaune d’Amsterdam et le Soviet International des Syndicats Rouges. C’est une des questions les plus essentielles du 3e Congrès.
La lutte s’engage de plus en plus vive dans le camp du mouvement professionnel. C’est elle qui décidera l’issue du débat entre la Seconde et la Troisième Internationale, c’est-à-dire entre la bourgeoisie et le prolétariat. Les syndicats groupent aujourd’hui plusieurs dizaines de millions de prolétaires.
La tactique des noyaux communistes à l’intérieur des syndicats, préconisée par le deuxième Congrès pour conquérir à l’Internationale Communiste tout le prolétariat, a fait ses preuves.
Elle a obtenu de sérieux succès en Allemagne, en France, en Angleterre et ailleurs. Les premiers coups graves ont été portés à l’association jaune d’Amsterdam. Les leaders jaunes d’Amsterdam se débattent de tous les côtés, aujourd’hui ils sont prêts a faire des concessions, demain ils se mettront à exclure tous les partisans de l’Internationale Communiste.
C’est un signe non douteux de leur prochaine faillite complète. Le troisième Congrès aura à marquer les résultats de la lutte contre Amsterdam et à systématiser cette lutte pour l’avenir.
Mais la principale question qui se posera à lui sera de définir exactement les relations entre l’Internationale Communiste et le Soviet International des Syndicats Rouges : y aura-t-il deux organisations internationales parallèles sous la direction de l’Internationale Communiste, ou bien n’aurons-nous qu’une Internationale Communiste renfermant non seulement les Partis Communistes, mais encore d’une façon générale toutes les organisations prolétariennes se plaçant sur le terrain de l’Internationale Communiste et entre autres les syndicats Rouges ?
Dans ce dernier et le Soviet International des Syndicats Rouges ne serait qu’une section de l’Internationale unique. On peut fournir beaucoup de raisons pour et contre chacune de ces solutions. De l’une ou de l’autre dépendra en grande partie la structure du mouvement ouvrier international. Toutes les organisations appartenant à l’Internationale Communiste doivent examiner attentivement cette question sous toutes ses faces et apporter leur décision nettement formulée au 3e Congrès.
Les septième et huitième points de l’ordre du jour sont consacrés aux questions d’organisation : structure intérieure des Partis Communistes, méthodes et contenu de leur action, structure organique de l’Internationale Communiste et ses relations avec les Partis adhérents. Il y a à examiner ici deux groupes de questions.
Le premier, c’est la façon dont doit être construit chaque Parti Communiste pris à part. C’est un fait notable qu’en Occident, même à l’intérieur des Partis Communistes, il n’existe pour ainsi dire pas d’organisation fonctionnant de façon permanente.
C’est seulement au moment des élections ou dans des cas analogues que tous les membres du Parti agissent de façon combinée. Mais de noyaux communistes ayant une forme précise et fonctionnant régulièrement dans les usines, dans les mines, sur les chemins de fer, dans les villages, dans les syndicats ou dans les coopératives, le Parti n’en possède pas.
Il n’y a pas non plus de subordination strictement déterminée de ces noyaux à un centre directeur unique. Il n’y a pas d’organisation illégale sérieuse capable de compléter l’organisation légale.
Il est indispensable de mettre fin à cet état de choses, et c’est à quoi s’occupera le 3e Congrès. L’autre groupe de questions concerne les limites de l’autonomie dont chaque Parti jouira à l’égard du Comité Exécutif, c’est-à-dire l’agencement intérieur à donner à l’organisation prolétarienne internationale centralisée seule capable de diriger réellement la lutte internationale du prolétariat et les moyens à prendre pour perfectionner la liaison entre les divers Partis communistes ou bien entre eux pris dans leur ensemble et le Comité Exécutif.
En d’autres termes sur quelles bases doit être construite l’organisation de l’Internationale Communiste pour être effectivement en état d’exécuter sa mission qui grandit de jour en jour ?
Le neuvième point est consacré à une grave question. L’Internationale Communiste a remporté ses premières victoires parmi les peuples d’Orient.
Le Congrès de Bakou a eu sans aucun doute une énorme importance historique. Celui se prépare pour les peuples d Extrême-Orient jouera également son rôle. Le troisième Congrès aura à traiter la question d’Orient non plus seulement d’un point de vue théorique comme le deuxième Congrès mais du point de vue pratique.
Sans révolution en Orient, il n y a pas de victoire possible pour la révolution prolétarienne universelle. Voilà l’idée dont doit se pénétrer tout prolétaire communiste.
C’est seulement alors que les ouvriers communistes seront suffisamment armés moralement contre « l’opportunisme européen » des Hilferding et autres héros de l’Internationale deux-et-demie qui ont toujours en réserve un sourire de mépris à l’adresse des peuples opprimés de l’Orient.
Il faut accorder une immense importance au dixième point de l’ordre du jour concernant le Parti Socialiste d’Italie. Ce Parti appartenait précédemment à l’Internationale Communiste. Sous l’influence de la propagande centriste menée par Serrati, son Congrès de Livourne a refusé de mettre en pratique les vingt et une conditions élaborées par le 2e Congrès à l’usage de tous les Partis.
Le groupe de Serrati, ayant rassemblé la majorité au Congrès, a voulu imposer à l’Internationale Communiste des agents avérés du capital comme les vieux réformistes connus de tous : Turati, Modigliani, d’Aragona, Treves et Cie – les Dittmann, les Bernstein et les Longuet d’Italie.
En faveur de ces réformistes qui disposaient au Congrès de 14 000 voix, les chefs du centre italien, Serrati en tête, ont rompu avec 50 000 prolétaires communistes. Serrati a trahi les décisions prises au deuxième Congrès.
A Livourne la victoire morale sur le centre a été remportée en réalité par les réformistes et Turati. Les ouvriers communistes ont constitué un Parti Communiste indépendant.
Dans ces conditions le Comité Exécutif a estimé de son devoir de reconnaître comme unique section de l’Internationale Communiste en Italie le jeune Parti Communiste Italien et d’exclure de l’Internationale le Parti de Serrati qui a renié par ce fait les décisions du deuxième Congrès. Le Parti Socialiste d’Italie a fait appel contre cette décision devant le prochain Congrès. Son droit à faire appel est indubitable, comme pour tout Parti. Le Comité Exécutif est prêt à remettre le différend à la décision du 3e Congrès.
Connaissant les us et coutumes des leaders centristes, qui aiment éviter de répondre nettement aux questions difficiles, le Comité Exécutif, dans une lettre spéciale au Comité Central du Parti Socialiste d’Italie a déclaré : 1° Nous vous invitons au 3e Congrès, mais nous demandons que vos délégués aient tous les pouvoirs nécessaires pour donner des réponses définitives à ce Congrès ; 2° Nous demandons que vous répondiez clairement et exactement si vous êtes d’accord oui ou non pour exclure du Parti de l’Internationale les groupes de Turati, Treves et Cie, car tel est l’unique différend.
La question italienne a acquis une importance internationale. En Allemagne le groupe de Levi, qui depuis longtemps déjà tentait de constituer une sorte d’aile droite de l’Internationale Communiste, a saisi l’occasion, prétendant que le Comité Exécutif avait commis dans cette question des erreurs de tactique, préconisé les scissions « mécaniques », et autres prétextes du même genre.
Le 3e Congrès fera toute la clarté, sur cette question, relèvera à sa hauteur de principe, débarrassera le différend de tous les éléments mesquins et accidentels, afin de montrer à tous que quiconque ne met pas en pratique les vingt et une conditions ne saurait être membre de la 3e Internationale.
L’ordre du jour comporte encore la question du K. A. P. D. Ce Parti devra dire définitivement s’il se soumet oui ou non à la discipline internationale.
Ensuite viendront les questions concernant le mouvement féminin, le mouvement des jeunesses, etc…
Enfin le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a décidé de mettre sous une forme ou sous une autre à l’ordre du jour du 3e Congrès le problème d’une importance essentielle de la politique économique et de la situation générale de la République soviétiste, la première république dans laquelle le pouvoir ait été conquis par le prolétariat.
Nous demandons à tous les Partis et organisations appartenant à l’Internationale Communiste ou désirant y entrer d’ouvrir immédiatement dans la presse et dans les réunions la plus large discussion sur les questions à l’ordre du jour du 3e Congrès. Nous leur demandons ensuite d’aborder immédiatement les élections à ce Congrès.
Le Comité Exécutif a décidé à l’unanimité d’inviter tous les Partis : 1° A envoyer des délégations les plus nombreuses possibles ; 2° A faire en sorte qu’un tiers des délégués soit choisi dans le Comité Central du Parti et les deux autres tiers parmi les membres des plus importantes organisations locales les plus liées avec les masses ouvrières.
Nous accordons une particulière importance à ce dernier point. Il faut qu’il y ait au 3e Congrès le plus grand nombre possible d’ouvriers reflétant immédiatement l’état d’esprit des masses prolétariennes.
La préparation du Congrès n’a pas moins d’importance que le Congrès lui-même. Les décisions du troisième Congrès doivent avoir été préparées et réfléchies par les ouvriers de chaque pays au cours de dizaines et de centaines de réunions. À l’œuvre, car il nous reste peu de temps devant nous !
Le Président du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste : G. ZINOVIEV.
Les membres du Comité Exécutif :
Pour la Russie : Lénine, Trotsky, Boukharine, Radek ;
Pour la Finlande : Kuussinen, Manner, Rania ;
Pour la Norvège : Freiss ;
Pour la France : Rosmer ;
Pour l’Autriche : Steinhardt ;
Pour l’Angleterre : Quelch, Bell ;
Pour la Hollande : Janssen ;
Pour la Hongrie : Bela Kun, Rudnianszky ;
Pour la Géorgie : Varga, Tskhakaia ;
Pour la Lettonie : Stoutchka ;
Pour la Pologne : Valetsky
Pour la Suisse : Itchner ;
Pour la Bulgarie : Dimitrov, Popov, Chabline ;
Pour la Perse : Sultanzade ;
Pour l’Internationale de la Jeunesse : Chatskine.
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