De la guérilla non-violente de la Band of mercy à l’ALF

La bataille du chien marron marqua la fin d’un positionnement antagoniste en Angleterre. Il faudra attendre les années 1960 et 1970 pour voir apparaître une contestation réelle et générale de la vie quotidienne. L’aspect le plus connu culturellement consiste en le foisonnement des mouvements de jeunesse (notamment rockers, mods, skinheads et bien sûr punks), cependant l’aspect le plus authentiquement relié aux luttes de classe fut l’émergence de l’ALF, du Front de Libération Animale.

Les mouvements de jeunesse se plaçaient en marge ou en parallèle des luttes de classe, restant dans l’esprit étroit de la reconnaissance sociale de classe au sein de la société capitaliste. C’est pourquoi le mouvement skinhead, initialement liée à la classe ouvrière et au rocksteady, au reggae, bascula en mouvement identitaire raciste de type plébéien.

Le Front de Libération Animale se plaça immédiatement sur le terrain de l’affrontement, échappant pour cette raison de manière temporaire à l’intégration dans le consensus dominant.

Tout part en 1973, à Londres, d’un groupe de quelques personnes organisé autour de Ronnie Lee (né en 1951), tous activistes de la protection animale, végétariens ou végans. Considérant que les tactiques employées jusque-là étaient sans résultat réel, le groupe décida de mener des actions illégales.

Ronnie Lee

De manière significative, le groupe prit comme nom celui de Band of mercy, le regroupement de la pitié, formé en 1875 par Catherine Smithies et qui devint la section de jeunesse de la Society for the Prevention of Cruelty to Animals (SPCA) au 19e siècle, avec une visée éducative pour promouvoir la compassion envers les animaux. La Band of mercy se développa par la suite surtout aux Etats-Unis, avec 27 000 groupes locaux.

La Band of mercy de Ronnie Lee se considérait ainsi comme le prolongement et le dépassement de ce qui avait existé, mais sans aucune conscience théorique de cela, l’aspect pratique étant le moteur de la démarche.

Ronnie Lee s’appuyait également sur sa propre expérience de membre de la Hunt Saboteurs Association (HSA), une organisation anti-chasse à courre existant depuis 1964 un peu partout dans le pays, allant sur le terrain pour perturber des chasses particulièrement importantes dans un pays encore marqué par une aristocratie très puissante.

Les débuts de la Hunt Saboteurs Association

La Band of mercy apparaissait comme une rupture, une nouvelle perspective. Elle mena ainsi plusieurs actions en 1973 : le sabotage de véhicules amenant des chiens de chasse aux chasses à courre contre les renards, la destruction d’un bateau participant aux chasses aux phoques, plusieurs destructions de véhicules transportant les animaux destinés aux laboratoires, la libération de six cochons d’Inde d’un élevage, ainsi que deux incendies d’un laboratoire de vivisection en construction, les 10 et 16 novembre 1973.

Le communiqué d’un de ces incendies explique alors :

« Le bâtiment a été mis en feu dans une tentative d’empêcher la torture et le meurtre de nos frères et sœurs animaux dans des expériences maléfiques.

Nous sommes une organisation de guérilla non-violente dédiée à la libération des animaux de toutes les formes de cruauté et de persécution de la part de l’humanité.

Nos actions continueront jusqu’à ce que nos objectifs soient atteints. »

Cependant, à l’été 1974 deux personnes furent arrêtées et condamnées à trois ans de prison pour certaines de ces actions, une troisième recevant du sursis et une amende. Cliff Goodman garda ses opinions, mais fut traumatisé par l’emprisonnement, dénonçant par la suite les actions illégales et collabora avec la police en lui expliquant les méthodes de communication des activistes.

Ronnie Lee, quant à lui, maintint le cap, menant même une grève de la faim pour avoir une alimentation végétalienne et non pas simplement végétarienne.

La vague de solidarité qui se forma aboutit, à la sortie de prison de Ronnie Lee qui émergea comme le chef de file du mouvement, à la fondation de l’ALF, le Front de Libération Animale, en juin 1976, avec une trentaine de personnes organisées dans le mouvement.

L’ALF mena immédiatement des actions. 1 000 renards furent libérés de l’élevage Dalchonzie en Écosse, alors qu’en 1977 eurent lieu 14 opérations visant des laboratoires pratiquant la vivisection, 200 animaux étant libérés et les locaux saccagés.

La fermeture des laboratoires Condiltox, dans le Nord de Londres, suite aux actions, fut considérée comme la première grande victoire ; l’ALF cambriola en novembre 1976 la Research Defence Society pour se procurer la liste de ses membres impliqués dans la vivisection. Un autre dossier volé fut celui sur l’ALF elle-même, qui apparaissait comme un problème fondamental dès son émergence.

En 1976 et 1977, l’ALF avait provoqué environ 300 000 euros de dégâts, attaquant des élevages, des fermes à fourrure, des chasses, des abattoirs, des cirques et des laboratoires.

Une vague de répression s’ensuivit, désorganisant profondément l’organisation. Ronnie Lee, lui-même arrêté, ayant chez lui des souris libérés d’un laboratoire, qu’il n’avait pas pu encore placer dans des foyers.

Il passa huit mois en prison, fut une fois sorti confronté aux médias demandant des explications pour les actions : il devint alors le porte-parole du mouvement qui était parvenu à s’ancrer, mais ne parvint à une réelle réorganisation qu’à partir du milieu de 1979.

=>Retour au dossier sur l’ALF britannique