Lors de la révolution française, la Prusse pensait profiter de son armée très organisée pour écraser ce qu’elle considérait comme des troupes éparpillées. La marche sur Paris fut cependant écrasée lors de la fameuse bataille de Valmy en 1792 : la levée en masse avait permis une gigantesque progression qualitative et quantitative.
Ce traumatisme fut suivi des guerres napoléoniennes, qui profitaient de l’élan républicain initial pour disposer d’armées puissantes. L’armée prussienne devait absolument se moderniser si elle voulait se maintenir, et elle le fit en organisant, par en haut, dans un esprit anti-démocratique, la levée en masse.
Ce fut la formation d’un appareil d’État ultra militarisé, procédant à un service militaire obligatoire. L’armée passa de 54 000 membres en 1719 à 70 000 en 1728 et enfin plus de 80 000 en 1739 (pour 2,5 millions de personnes vivant en Prusse), pour atteindre en pleine guerre napoléonienne, base du saut qualitatif et numérique, 300 000 personnes en 1813, soit 6 % de la population en fait largement mobilisée.
Une citation connue, attribuée à Mirabeau et à l’officier prussien Friedrich von Schrötter, explique que
« La Prusse n’est pas un État qui possède une armée, c’est une armée ayant conquis la nation. »
Friedrich Engels raconte ainsi :
« Après 1807, les réorganisateurs de l’administration et de l’armée firent tout ce qui était en leur pouvoir pour refaire vivre cet esprit [de la résistance nationale]. A cette époque, l’Espagnole montrait avec son exemple glorieux qu’une nation pouvait faire face à une armée menant une invasion. Tous les dirigeants militaires de Prusse montrèrent à leurs compatriotes cet exemple valant le coup d’être suivi.
Scharnhorst, Gneisenau, Clausewitz étaient tous d’accord sur ce point. Gneisenau alla même en Espagne afin de participer lui-même à la lutte contre Napoléon. Tout le système militaire qui fut instauré ensuite en Prusse fut la tentative d’organiser une résistance populaire contre l’ennemi, dans la mesure où cela est possible de la part d’une monarchie absolue.
Non seulement chaque homme en mesure d’aller au service militaire était dans l’obligation d’y aller et de servir jusqu’à quarante ans dans la Landwehr [défense territoriale sous la forme d’une armée non régulière], mais les jeunes hommes entre 17 et 20 ans et les hommes entre 40 et 60 ans devaient participer à la levée en masse, dans le Landsturm [unités irrégulières avec armement organisé sur le tas] se soulevant dans le dos et sur les flancs de l’ennemi, dérangeant ses mouvements, le coupant de son approvisionnement et de ses courriers, devant pour cela utiliser toute arme qui pouvait être trouvée afin d’inquiéter les envahisseurs – « plus ce moyen est efficace, mieux c’est » – en plus de cela « sans porter aucun uniforme que ce soit », afin que les membres du Landsturm puissant à n’importe quel moment reprendre leur caractère en tant que civils et rester inconnus de l’ennemi. »
Cet esprit de défense militaire à la base, de « Wehr », deviendra alors essentiel à la Prusse, et ainsi à l’Allemagne, car cette dernière ne s’unifiera justement qu’en réaction aux conquêtes napoléoniennes, et sous hégémonie prussienne (la Prusse ayant battu l’Autriche, celle-ci se tournant alors vers les Balkans et devenant une nation en tant que telle).
La peur allemande face à l’invasion française fut telle que la bourgeoisie, dont le romantisme était le fer de lance (avec Goethe et Schiller ou encore Hegel), décida d’accepter tous les compromis avec la bourgeoisie. C’est le sens du romantisme qui passa du rejet du formalisme académique français qu’il était à la nostalgie du moyen-âge et de sa société « pacifique », organisée de manière corporatiste, etc.
Pour cette raison, et c’est un point essentiel bien entendu, les S.A. n’appréciaient pas que les chansons des corps-francs : ils possédaient également dans leur répertoire celles des guerres face aux armées napoléoniennes. La dimension martiale et brutale de ces chansons reflète logiquement l’idéologie des S.A.
De la même manière, lors de la grande réunion des S.A. en octobre 1931 à Braunschweig – exigeant 5 000 camions, 40 trains spéciaux, avec plus de 100 000 S.A. -, la référence fut la « bataille de Lepizig » d’octobre 1813, la plus grande confrontation de forces lors des guerres napoléoniennes (plus de 500 000 personnes s’affrontant).
L’esprit de la « Wehr », de la défense « par en bas » fut également celui de la « Volkssturm » (tempête populaire), la mobilisation populaire faite par l’Etat nazi tout à la fin de la seconde guerre mondiale, utilisant en masse notamment des adolescents pour « protéger » Berlin face à l’armée rouge. Le principe d’unités « civils » agissant sur les arrières de l’ennemi fut également appliqué avec la « Werwolf », les unités nazies agissant dans les zones où les alliés avaient vaincu les armées nazies.