Des débuts de la CFTC extérieurs à la lutte des classes

Les limites de la CFTC née en 1919 se révélèrent vite patentes. Les cheminots de la CFTC du Paris-Orléans et du réseau du Nord se cotisèrent par exemple pour devenir des actionnaires de leur entreprise, sans pour autant bien entendu qu’ils n’obtiennent ainsi aucune influence sur celle-ci.

Les propositions de partage du « produit », une idée lancée dès 1920, se heurtèrent pareillement à des refus complets du patronat ; la conception de la grève comme « dernier ressort » et les appels à la « conciliation », « l’arbitrage », se révélaient toujours plus hors-sol.

D’ailleurs, les conventions collectives passèrent en France de 355 à 20 entre 1920 et 1933. La CFTC avait ainsi participé à de multiples grèves, uniquement sur une base corporatiste.

On eut ainsi les banques en 1919, 1920, 1925, le textile dans le Nord et en Isère en 1920, 1921, 1931 et 1933 ; il y eut la métallurgie dans la Loire en 1924 et 1935, dans le Nord en 1935 ; il y eut la chaussure en 1932 (Fougères), le bâtiment en 1933 (Strasbourg) et 1935 (Nantes), la ganterie en 1934 et 1935 (Millau).

Elle l’avait fait, forcée par les faits, se retrouvant surtout, à la remorque de la CGT, alors que la CGT-U, lié aux communistes, fait figure d’avant-garde ouvrière. Ce qui fit que la CFTC resta extérieure au Front populaire, ne participant même pas aux discussions menant aux accords de Matignon à la suite des grandes grèves de 1936.

Il fallut d’ailleurs un combat interne pour que la ligne de la participation au mouvement du Front populaire l’emporte, ce qui fut confirmé ensuite par le Congrès de la CFTC des 30 mai et 1er juin 1936. C’est Jean Pérès, métallurgiste et secrétaire général adjoint, qui en fut le chef de file.

Ce ralliement, bien que tardif, eut deux aspects essentiels. Le premier est négatif. La grande conséquence syndicale du mouvement de 1936 et du Front populaire fut la réunification de la CGT, qui mit fin à la séparation de la CGT et de la CGT Unitaires.

Dans un tel cadre, la CFTC apparaît alors d’autant plus comme un facteur de division, en raison de sa volonté d’être à l’écart.

L’autre aspect, positif, est que la CFTC a les moyens de profiter de l’engouement massif des travailleurs pour l’engagement.

Deux facteurs vont jouer ici en faveur de la CFTC. Le premier est d’ordre qualitatif. Une « Jeunesse Ouvrière Chrétienne » a été fondée en 1927 et ses cadres qui aboutissent à la CFTC ont un style bien plus lié à la classe ouvrière qu’au christianisme. Cela permet d’acquérir une forme de légitimité, malgré un rejet général de la part des travailleurs conscients et liés à la SFIO ou au PCF.

La Jeunesse Ouvrière Chrétienne au stade du Parc des Princes à Paris en 1937

Le second est quantitatif. De par le caractère massif de la vague de syndicalisation en 1936, la CFTC profite elle-aussi, mécaniquement, de la situation.

Au début de l’année 1936, la CFTC s’appuyait sur 321 syndicats ; le 30 mai, elle en avait 803 en son sein, et un an plus tard, 2 048.

La CFTC disposait ainsi, en 1937, de 500 000 membres, un chiffre qui tient largement la route face à la CGT qui en a 4 millions.

Et, surtout, le mouvement d’adhésion lui permet de s’implanter nationalement là où elle ne disposait quasiment pas de base, voire n’en avait pas.

Autre effet bénéfique : la massification fit sauter l’existence de sections purement féminines et de celles avec uniquement des employés. La CFTC, organisme généré par le catholicisme pour un travail syndical, devenait un réel syndicat catholique.

La CFTC impulsa pour cette raison la ligne des « sections d’entreprise », modifiant sa politique d’adhésion par l’intermédiaire d’un organisme généra par l’Église catholique.

Des « Écoles normales ouvrières » sont mises en place en 1931, afin de former les adhérents dans l’esprit de la CFTC et empêcher ce que son président appelle le « gauchissement », « l’anémie spirituelle ».

Cette dimension intellectuelle-spirituelle aboutit notamment en 1937 à la mise en place d’un Syndicat général de l’éducation nationale, bien entendu de taille extrêmement réduite, mais qui met dès le départ de côté la référence à la doctrine sociale de l’Église et qui, vingt ans plus tard, jouera un rôle d’aiguillon vers les socialistes en étroite liaison avec Reconstruction.

La CFTC s’empresse alors de jouer un rôle contre-révolutionnaire actif. Elle s’oppose bien entendu à la grève générale du 30 novembre 1938. Mais surtout, elle met en place par l’intermédiaire de Paul Vignaux tout un processus de réflexion sur « l’économie » organisée à mettre en place.

C’est-à-dire que la séquence du Front populaire terminée, la CFTC était de masse et l’hégémonie de l’Église catholique permettait à celle-ci de proposer, avec une nouvelle dimension, son corporatisme.

On lit dans la directive du 21 novembre 1937 la façon dont c’est assumé :

« Le syndicalisme chrétien est un mouvement syndicat respectueux de la loi française et de ses exigences.

Il est exclusivement professionnel dans son action et indépendant dans sa direction qui doit être assurée par les professionnels seuls prenant leur entière responsabilité.

Il n’est donc pas du domaine de l’Action Catholique. Mais la caractéristique morale du syndicalisme chrétien est de vouloir respecter dans ses principes, dans sa direction et dans son action, les principes chrétiens et la doctrine sociale catholique plus particulièrement définis dans les encycliques, et notamment Rerum Novarum, Quadragesimo Anno, Divini Redemotoris, et dans la lettre de la Sacrée Congrégation du Concile à Mgr Liénart (…).

La loi de 1884-1920, les décrets d’administration publique, les arrêtés ministériels successifs et les décisions du Conseil d’État formant jurisprudence, ont posé le principe de la liberté du recrutement syndical. Rien ne saurait donc s’opposer à la possibilité d’un recrutement restreint entre catholiques, ou entre professionnels acceptant les mêmes principes et la même doctrine sociale.

Cette restriction au recrutement doit faire cependant l’objet d’une acceptation personnelle, constatée au moyen de la feuille d’adhésion… c’est là un moyen indispensable.

Si l’on veut, d’autre part, conserver au syndicalisme chrétien sa « ligne », il est nécessaire que, non seulement les militants et dirigeants, mais la masse syndicale, soient et restent profondément imbus des principes chrétiens, quelle que soit la largeur du recrutement, afin d’éviter que, par une lente ou brutale perversion de la masse, des éléments adverses bouleversent l’organisation tout entière.

La qualité des syndiqués ressortira donc essentiellement de la base même du recrutement et du soin que l’on apportera à éduquer la masse syndicale et à la mettre à même de bien comprendre la portée des engagements que prend chaque syndiqué en adhérant à un syndicat de la C.F.T.C.

En conséquence, le recrutement syndical de la C.F.T.C. devra se faire de préférence dans les œuvres catholiques qui rassemblent des travailleurs. Il sera donc indispensable que, d’accord avec le secrétariat confédéral, les dirigeants régionaux ou départementaux du syndicalisme chrétien entrent en contact avec ceux de ces diverses œuvres, en vue d’établir, peu à peu, une très franche et très cordiale collaboration en accord, du reste, avec les hautes autorités religieuses.

En ce qui concerne le recrutement dans les milieux simplement « sympathisants » ou « désabusés », ou même « non chrétiens », il y aura lieu d’agir avec la plus grande prudence.

On devra éviter tout particulièrement de faire une propagande intensive dans ces milieux, tant que la masse syndicale nettement chrétienne ne sera pas déjà solidement assise.

On devra, de même, apporter la plus grande réserve à profiter de certains moments de désaffection ou découragement des adhérents d’autres mouvements syndicaux, pour amener ces mêmes adhérents aux syndicats chrétiens, ces adhésions n’étant pas d’une qualité suffisante et pouvant même devenir dangereuses si elles se produisaient en masse. »

La défaite face à l’Allemagne nazie allait toutefois changer la donne… et pourtant la CFTC allait tirer de nouveau son épingle du jeu.

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