Robert Michels, Allemand s’alignant sur les positions du syndicalisme à la française au début du XXe siècle, prolongera sa critique de la social-démocratie allemande en adhérant au fascisme italien. Cette trajectoire est commune aux principaux théoriciens du syndicalisme révolutionnaire. La raison en est leur échec à produire un mouvement révolutionnaire de masse « pur ».
Deux directions furent alors prises. Il y eut soit l’ajout du nationalisme comme moteur de mobilisation des masses, soit la conception élitiste de la société.
Robert Michels théorisera ainsi une prétendue loi d’airain de l’oligarchie. Il y aurait toujours une minorité qui dirige, les masses étant selon lui par définition inertes. Si pour lui la démocratie est meilleure qu’une « sélection » héréditaire des dirigeants, la conception fasciste d’une élite née dans le combat, se renouvelant, lui convint parfaitement.
Cette tendance est irrépressible chez tous les syndicalistes révolutionnaires. Victor Griffuelhes, qui fut secrétaire général de la Confédération Générale du Travail (CGT) de 1901 à 1909, soutint la « défense nationale » en 1914. Il en va de même pour Émile Pouget, grand théoricien du « sabotage » comme moyen d’action et éminente figure de la CGT, qui cessa même toute activité en 1914, achetant un terrain dans le sud de Paris pour y bâtir une maison.
Hubert Lagardelle devint ministre du Travail du régime de Vichy. Édouard Berth fut un acteur majeur des Cahiers du Cercle Proudhon fondés en 1911 avec des cadres de l’extrême-droite monarchiste, pour une synthèse « nationale » et « sociale ».
C’était là l’aboutissement de toute une conception spécifiquement française, que Victor Griffuelhes résume parfaitement en affirmant :
« Le syndicalisme français se caractérise par l’action spontanée et créatrice… Cette action n’a pas été commandée par des formules et des affirmations théoriques quelconques. Elle n’a pas été davantage une manifestation se déroulant selon un plan prévu par nous d’avance. »
À l’opposé du syndicalisme allemand, mis en place par la social-démocratie, le syndicalisme français est né sur le terrain des luttes sociales, avec une confrontation aux forces de répression aboutissant à un anti-Etatisme primaire. La politique et la théorie lui apparaissaient extérieures à sa propre démarche.
Là où le marxisme raisonne en termes de théorie et de conscience, le syndicalisme révolutionnaire conçoit en termes de vitalité et d’action.
Le syndicalisme révolutionnaire est ainsi un mouvement strictement parallèle à la social-démocratie, avec une farouche détestation. Lorsque la social-démocratie allemande, à son congrès de septembre 1906, récuse la « grève générale » comme solution à tous les problèmes, le syndicalisme français en fait l’alpha et l’oméga de sa démarche, avec la Charte d’Amiens votée en octobre 1906 au congrès de la CGT, avec 830 voix sur 839.
En voici le texte :
« La C.G.T. groupe en dehors de toute école politique tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.
Le congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte des classes qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en oeuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière.
Le congrès précise par les points suivants cette affirmation théorique :
Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicat poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.
Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme, il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupe de production et de répartition, base de la réorganisation sociale…
Le congrès déclare que cette besogne quotidienne et d’avenir découle de la situation des salariés, qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.
Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le congrès affirme l’entière liberté, pour le syndiqué, de participer en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander en réciprocité de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors.
En ce qui concerne les organisations, le congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. »
Il ne faut pas se leurrer : au moment de l’adoption de la charte, la CGT s’appuie sur 200 000 membres seulement, sur six millions de travailleurs. C’est une démarche élitiste, avec une prime au plus virulent, au plus véhément, caractéristique du syndicalisme révolutionnaire.
Il y a l’idée d’une « méthode » qui serait « pure ». La récupération de celle-ci par le fascisme à la prétention « nationale » et sociale » n’en est que plus cohérent. On a d’ailleurs les germes menant à l’effondrement en 1914, avec le passage dans la soumission au nationalisme sur le plan culturel et par fascination pour la « mobilisation » populaire.
Mais, ce qui est plus important au sens strict pour comprendre la Confédération Générale du Travail, c’est qu’il y a le principe élaboré en France du syndicat comme contre-société. Pour la CGT, l’histoire est l’histoire de la lutte syndicale.
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de la période syndicaliste révolutionnaire (1895-1914)