L’Italie ayant émergé sur le tard comme puissance impérialiste, le « partage du monde » était déjà en grande partie réalisé et le pays eut un rôle colonial mineur comparé à l’Angleterre ou la France, se contentant des zones secondaires. La toute première colonie italienne fut établie en Érythrée par l’armateur Rubattino en 1882 ; dix ans tard, au terme d’une rude concurrence avec les britanniques, s’ajouta la Somalie voisine.
Une option disponible pour les Italiens était également de se confronter aux forces coloniales déjà existantes pour leur arracher des territoires. Ce fut le cas de la guerre de 1911 contre l’Empire Ottoman, l’Italie de Giolitti arrachant la Tripolitaine, la Cyrénaïque ainsi que le Dodécanèse grec.
Toutefois, l’entreprise coloniale italienne marqua un coup d’arrêt en 1896, avec l’invasion de l’Éthiopie qui tourna mal et se solda par la retentissante défaite d’Adoue face aux troupes de Menelik II.
Cette bataille marqua un coup d’arrêt brutal aux tentatives d’expansions italiennes en Afrique et resta comme un symbole, exploité plus tard par Benito Mussolini pour mobiliser lors de la seconde vague colonialiste, dans les années 1930.
A l’entrée de la Première Guerre mondiale, les diplomates italiens annoncent leurs revendications africaines en cas de soutien à l’Entente : la Tanzanie allemande, l’Érythrée française et la région du Jubaland au nord du Kenya (sous contrôle anglais).
Ces compensations sont actées par le traité de Londres en 1915, mais seul le Jubaland sera finalement cédé par l’Angleterre en juin 1925. Cet événement viendra évidemment renforcer le sentiment de la « victoire mutilée » entretenu par le mouvement fasciste.
C’est une fois le nouveau régime stabilisé en Italie que les fascistes peuvent à nouveau se tourner vers l’Afrique et faire renaître de ses cendres le projet colonial.
Jusqu’en 1929, le colonialisme italien sera officiellement qualifié d’ « expansionnisme », ce concept étant plus compatible avec le statut de « nation prolétaire » véhiculé par le régime, face aux autres puissances, elles, impérialistes.
Le projet colonial offrait aussi au fascisme une solution à la forte émigration que connaissait le pays depuis le début du siècle. En 1935, l’Érythrée était par exemple peuplée de 3.000 italiens, et ce chiffre atteignit les 75.000 seulement quatre ans plus tard.
La capitale Asmara (dite la petite Rome) et les autres capitales coloniales comme Mogadiscio ou Tripoli ont été tout spécialement marquées par cette forte immigration.
La Libye fournit un exemple assez documenté de la colonisation agraire, pratiquée par l’Italie avant et pendant le fascisme.
Dès le début des années 1920, le gouvernement recense puis saisit les terres cultivables autour de Tripoli et les distribue à des grandes compagnies agricoles italiennes, par lots d’au moins 100 hectares, créant ainsi de nouveaux latifondi tout le long de la côte. En 1934, une fois les rebellions tribales écrasées, le programme colonial reprit, avec cette fois l’État aux commandes.
Benito Mussolini confie à Italo Balbo le poste de gouverneur de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine, aussitôt unifiées. Une campagne de colonisation « démographique » massive est lancée avec comme objectif l’installation de 500 000 colons dans ce qui était désormais appelé la « Quatrième Côte d’Italie ».
L’État prend en charge la distribution de petits lots de terre aux migrants (pour beaucoup des ouvriers agricoles et des journaliers originaires du Mezzogiorno ou de Vénétie).
Quelques années plus tard, chaque famille s’installant recevra jusqu’à 25 hectares de terre, une maison, un groupe électrogène et un puits. L’État italien s’employa dans le même temps à détruire la structure économique tribale partout dans le pays, en saisissant les parcelles cultivables restantes et en déplaçant les populations vers des réserves.
En 1937, une citoyenneté « spéciale » fut créée pour certains libyens et des villages fondés par dizaines, certains pour les colons, d’autres, séparés, pour les locaux. Les Italiens habitant la Libye se concentraient pourtant en majorité dans les grandes villes (plus de 30% pour Tripoli ou Benghazi). En 1939, on atteignit les 110 000 colons, mais le nombre décrut dès le début de la guerre et la rapide débâcle.
Le 2 octobre 1935, après des années de mobilisation des masses autour de la revanche d’Adoue, l’Italie se lança dans une nouvelle invasion de l’Éthiopie.
La mission civilisatrice était alors aussi mise en avant, sur fond du mythe de l’Empire Romain éternel, ainsi que le thème de l’injustice, d’une nation flouée, cherchant seulement à obtenir sa « place au soleil ».
Juste après le déclenchement de l’invasion, la Société Des Nations (sorte d’ancêtre des Nations Unies dont faisait partie certaines des principales grandes puissances européennes) imposa des sanctions économiques au commerce italien.
Benito Mussolini fit à cette occasion un discours typique, annonçant en même temps la politique d’autarcie qui prenait effet à ce moment :
Chemises noires de la Révolution ! Hommes et femmes de toute l’Italie ! Italiens dispersés dans le monde, au delà des monts et au delà des mers : écoutez !
Un heure solennelle va sonner pour l’histoire de notre Patrie.
Vingt millions d’hommes occupent en ce moment même les places de toute l’Italie. Jamais on a vu, dans l’histoire du genre humain, spectacle plus gigantesque. Vingt millions d’hommes : un seul cœur, une seule volonté, une seule décision. Leur manifestation doit démontrer, et démontre au monde, que l’Italie et le Fascisme constituent une entité parfaite, absolue, inaltérable.
Ne peuvent croire le contraire que des cerveaux perdus dans les brumes de l’illusion, ou encrassés d’ignorance sur les gens et les choses de l’Italie, de cette Italie de 1935, an XIII de l’ère fasciste.
Depuis de nombreux mois, la roue du destin, sous l’impulsion de notre calme détermination, avance vers l’objectif : son rythme se fait plus véloce en ces heures et elle est désormais inarrêtable ! Ce n’est pas seulement une armée qui tend vers ses objectifs, mais un peuple entier de 44 millions d’âmes, contre lequel on tente de fomenter la plus noire des injustices : celle de nous ôter notre place au soleil.
Quand, en 1915, l’Italie se jeta dans la gueule du loup et confondit ses intérêts avec ceux des Alliés, que d’exaltation de notre courage, et que de promesses furent faites ! Mais après la victoire commune, à laquelle l’Italie avait donné la contribution suprême de 670 000 morts, 400 000 mutilés et un million de morts, autour de la table ne revinrent à l’Italie que des miettes du riche butin colonial.
Nous avons patienté treize ans, durant lesquels s’est resserrée la corde des égoïsmes qui étouffe notre vitalité. Pour l’Ethiopie nous avons patienté quarante ans ! Maintenant ca suffit !
Et la Ligue des Nations, au lieu de reconnaître nos droits, évoque des sanctions.
Jusqu’à preuve du contraire, je refuse de croire que l’authentique et généreux peuple de France puisse adhérer à des sanctions contre l’Italie. Les six mille morts de Bligny, tombés lors d’un assaut héroïque qui arracha une reconnaissance et une admiration même du commandement ennemi.
Je me refuse, de même, à croire que l’authentique peuple de Grande Bretagne, qui n’a jamais connu de litige avec l’Italie, soit disposé au risque de jeter l’Europe sur la route de la catastrophe, pour défendre un pays africain universellement connu pour son manque total de civilité.
Aux sanctions économiques nous opposerons notre discipline, notre sobriété, notre esprit de sacrifice. Aux sanctions militaires nous répondrons avec des mesures militaires, aux actes de guerres nous répondrons avec des actes de guerre. Que personne ne pense nous faire plier sans avoir à durement combattre. Un peuple jaloux de son honneur ne peut user d’un langage ou d’une attitude différente !
Mais, pour que ce soit répété de manière encore plus catégorique, et j’en prend l’engagement le plus sacré devant vous tous, nous ferons tout notre possible pour que ce conflit à caractère colonial ne prenne pas la forme et la portée d’un conflit européen. Cela peut être le vœu de ceux qui fomentent une nouvelle guerre, mais ce n’est pas le nôtre.
Jamais le peuple italien n’avait autant révélé ses qualités morales et la puissance de son caractère qu’en cette époque historique. E c’est contre ce peuple, auquel l’humanité doit certaines de ses plus grandes conquêtes, c’est contre ce peuple de poètes, d’artistes, de héros, de saints, de navigateurs, d’explorateurs, c’est contre ce peuple qu’on ose parler de sanctions.
Italie prolétaire et fasciste, Italie de Vittorio Veneto et de la Révolution, debout! Fais que le cri de ta décision emplisse les cieux, et conforte les soldats qui attendent en Afrique, qu’il serve de boussole à nos amis et d’avertissement à nos ennemis au quatre coins du monde, cri de justice, cri de victoire !
Après sept mois de guerre, l’armée italienne prit Addis-Abeba et le Duce annonça aussitôt la « Pax Romana », référence directe à l’Empire romain, avec Victor Emmanuel III prenant le titre d’Empereur d’Ethiopie. La thématique de l’Empire Romain enfin réveillée, le « destin civilisateur » de l’Italie fut de plus en plus présent dans les discours officiels : c’en était fini de la « nation prolétaire », l’heure est désormais à l’affirmation de l’Empire.
Un plan de jonction entre la Libye et la Somalie verra le jour sans jamais pouvoir être appliqué. En août 1940, l’Empire d’Italie attaquera les positions britanniques en Égypte et en Somalie, mais l’offensive sera rapidement contenue et en 1941, toute l’Afrique Orientale Italienne est occupée par ses ennemis.
Du côté de la Méditerranée, le projet était de rétablir à terme un contrôle sur le « Mare Nostrum », même si rien ne sera mis en œuvre jusqu’au déclenchement de la seconde guerre mondiale. En juillet 1940, l’ambassadeur italien en Allemagne présenta à Adolf Hitler les demandes suivantes :
– en Méditerranée : annexion de la Corse, Nice, Malte, Corfou et la Ciamuria, d’un protectorat sur la Tunisie, du contrôle des ressources pétrolières au Liban, Palestine, Syrie et Transjordanie ;
– en Afrique et dans la péninsule arabique: annexion de la Somalie britannique, de l’Afrique équatoriale française jusqu’au Tchad, du Kenya, de l’Ouganda ainsi que du Yémen.
Notons bien qu’aucune décision officielle ne fut prise et ces demandes restèrent donc formelles.
En avril 1939, l’Italie annexa facilement l’Albanie (son ancien protectorat jusqu’en 1920), puis lança presque dans la foulée une offensive sur la Grèce, qui s’avéra désastreuse.
Comme en Yougoslavie, l’Armée italienne se montra incapable d’envahir ces États toute seule et dut s’appuyer sur l’Allemagne, qui prit alors les choses en main.
L’Italie obtiendra tout de même une partie de la Dalmatie, un protectorat sur le Monténégro et certaines îles sur la mer Adriatique. Son Armée hérita aussi de l’occupation de la majeure partie de la Grèce métropolitaine (sans Athènes).
En 1943, avec l’arrestation de Benito Mussolini et le réalignement du gouvernement fasciste, l’Albanie, le Dodécanèse, la Dalmatie, Nice, la Savoie et toutes les autres zones sous contrôle italien en Europe furentt transférées à l’Allemagne, jusqu’à la défaite finale de l’Axe. Au final, le pic de l’expansionnisme italien n’aura duré que quelques mois au début de la guerre, et la plupart des revendications de cet Empire idéalisé restées sur le papier.