Le contexte de la seconde guerre mondiale modifia entièrement la situation en Algérie et la figure clef fut alors Ferhat Abbas. Algérien partisan de l’assimilation, il changea totalement de ligne avec la guerre et publia en février 1943 un « Manifeste » du peuple algérien.
Puis, il fonda en mars 1944 de la formation des « Amis du Manifeste et de la Liberté », prenant directement le relais de Messali Hadj, qui fut alors marginalisé pour ne pas avoir réussi à synthétiser de manière significative l’apparence marxiste et le contenu fondamentaliste.
Avec le « Manifeste », on a donc l’expression la plus aboutie des féodaux arabo-musulmans tentant de prendre le contrôle des larges masses et de profiter de leurs exigences démocratiques.
Le contenu est un très bon exemple d’anti-capitalisme romantique, de fondamentalisme révolutionnaire et cependant, et c’est là la particularité algérienne, des éléments entièrement repris à l’Internationale Communiste sont intercalés, dans la tradition de l’Étoile nord-africaine.
Ce mélange contre-nature est l’une des principales sources du drame national algérien.
Voici par exemple ce qui est dit au sujet de la situation agraire, avec une approche tout à fait conforme aux principes de l’Internationale Communiste :
« C’est le régime de la grande propriété ayant eu à sa tête un européen, mais où le travail est fourni par des salariés indigènes. Cette féodalité agraire, exerçant une double souveraineté, n’a pas manqué de forger à cette société coloniale une âme impérialiste et raciste. »
Pourtant, la réponse est clairement formulée dans un axe anti-capitaliste romantique, c’est-à-dire fondamentaliste :
« De propriétaire disposant d’immenses étendues de terre, il [le peuple algérien musulman] deviendra un peuple de petits paysans et particulièrement de salariés.
La statistique quinquennale fixe à 1 338 760 seulement le nombre de propriétaires indigènes musulmans, possédant en moyenne deux hectares de terre chacun. Ces paysans vivent misérablement, mais ils vivent tout de même.
Le reste de la population constitue cet immense PROLÉTARIAT, instrument de base de la richesse de la colonie française.
Ce prolétariat donne à l’Algérie sa physionomie spécifique : ouvriers en haillons, cireurs déguenillés, informes se traînant misérablement, mendiants faméliques, tout un peuple sorti d’on ne sait quelle Cour des Miracles, avec ses yeux fiévreux et son teint maladif. »
On comprend ainsi que la position du « Manifeste » exprime un rejet non pas tant de la « colonisation » que de la destruction de la base féodale relevant du mode de production qu’est le despotisme asiatique.
Cela est tout à fait clair dans les lignes suivantes, parlant de « l’Algérie musulmane » confrontée à une « véritable destruction révolutionnaire ».
« L’Algérie est depuis le 8 novembre dernier sous l’occupation des forces anglo-américaines.
Cette occupation, en isolant l’Algérie de la métropole, a provoqué parmi les Français d’Algérie une véritable course au pouvoir.
Républicains, Gaullistes, Royalistes, Israélites, chaque groupe de son côté essaye de faire valoir sa collaboration aux yeux des Alliés et veille à la défense de ses intérêts particuliers.
Devant cette agitation, chacun semble ignorer jusqu’à l’existence même des huit millions et demi d’Indigènes.
Cependant l’Algérie musulmane, quoique indifférente à ces rivalités, reste vigilante et attentive à son destin (…).
Conscients de leur responsabilités devant Dieu, ces représentants traduisent ici sincèrement et fidèlement les aspirations profondes de tout le peuple algérien musulman.
Ce manifeste, plus qu’un plaidoyer, est un témoignage et un acte de foi (…).
L’Algérie musulmane subit une véritable destruction révolutionnaire. »
De manière tout à fait révélatrice, le « Manifeste » fait l’éloge de Mustapha Kémal, présenté comme « l’immortel ATATURK ». Ce dernier a pourtant mis la religion de côté, cependant – et c’est là le plus important -, il a maintenu la base féodale et c’est cela qui attire l’attention des auteurs du « Manifeste ».
De manière tout à fait révélatrice, il salue comme ayant apporté de la clarté à « la nationalité et la citoyenneté algériennes » l’abrogation du décret Crémieux, réalisé par le gouvernement de Pétain, ôtant de ce fait la nationalité françaises aux personnes juives.
C’est que, de fait, les féodaux ont tout fait pour empêcher justement que les masses algériennes n’assument la citoyenneté française, processus qui inévitablement remettrait en cause leur féodalisme en raison de deux facteurs principaux :
– les enfants auraient l’obligation d’aller à l’école, école non religieuse qui plus est ;
– le droit deviendrait le droit français et non plus le droit religieux.
Le « Manifeste », de manière subtile, demande ainsi l’application de la liberté de culte et l’application de la séparation de l’Église et de l’État à toutes les religions, ce qui reviendrait à ce que l’État reconnaisse en tant que tel le clergé musulman et les écoles coraniques.
Le pragmatisme du « Manifeste » est tel que, d’ailleurs, il demande même qu’on prenne comme modèle l’intégration des indigènes au gouvernement, ce qu’ont fait justement le maréchal Pétain et les Allemands en Tunisie (ainsi que le gouvernement britannique et le général Catroux en Syrie).
Ferhat Abbas, avait par ailleurs envoyé une lettre au maréchal Pétain en avril 1941, appelant à des « réformes » en Algérie. Et sa ligne nationale-révolutionnaire, fondamentaliste, va grandir jusqu’à provoquer la catastrophe de 1945.