Pour être en mesure de comprendre ce qu’ont été les Croix de Feu et le Parti Social Français, il faut saisir tout l’arrière-plan idéologique et culturel qui lui a donné naissance.
A ce titre, François de La Rocque, dit de Séverac, théoricien et dirigeant des Croix de Feu et du Parti Social Français, est en soi un caractère-type. Fils de général, il se marie à Édith Marie-Louise Allotte de la Füye, elle-même fille de général. C’est à l’origine un aristocrate, fervent chrétien, abonné à l’Action française, dont l’esprit est celui même de l’élite de l’Armée française.
Il fait donc Saint-Cyr, est un officier plein d’audace et d’ingéniosité dans ses activités de « pacification » lors de son affectation au Maroc, avant de tout faire pour rejoindre le front en métropole.
Il s’y comporte en soldat vaillant croyant en l’idéologie dominante, avant de participer à la mission militaire du maréchal Foch en Pologne, de 1921 à 1923, pour participer ensuite à la guerre du Rif (1925-1926).
François de La Rocque tente dans ce parcours de gravir les échelons mais se heurte à divers concurrences, alors que son père meurt en 1926 (participeront à son enterrement notamment le maréchal Foch et, au nom de l’Action française, le comte de Vesins), ainsi qu’un de ses six fils, à l’âge de quatorze ans.
Il quitte finalement l’Armée en 1928 avec neuf citations dont six à l’Ordre de l’Armée et le grade de Lieutenant-colonel.
C’est alors certainement le meilleur élément de la tradition l’officier français de l’école classique, conservatrice : courageux et ingénieux, se lançant à tout prix afin d’occuper les postes de responsabilité, considérant l’Armée et la religion catholique comme les fondements mêmes du pays.
Cela s’accompagne, nécessairement, d’une protestation contre des comportements décadents issus de la nature foncièrement parasitaire de l’Armée. François de La Rocque compte d’ailleurs rénover celle-ci, et de fait tout le pays, aussi n’est-il initialement qu’officier retraité, dans le cadre de la démobilisation d’après 1918.
S’il rentre ainsi comme cadre à la Compagnie Générale d’Électricité, il écrit, au sujet de question de défense, pour des revues comme Le Temps, La revue hebdomadaire, La revue des vivants. Il prit dans ce cadre, par exemple, partie pour la Ligue de la Défense Aérienne.
Sa perspective n’est, en fait, pas originale ; elle relève de son arrière-plan militaire. Le père de François de La Rocque, le général Raymond de La Rocque, avait eu des soucis avec Georges Clémenceau, les forces républicaines comptant remettre en cause la nomination par cooptation dans la Marine, afin tout autant la moderniser que de mettre à l’écart des forces hostiles au régime.
Mégalomane au point de signer à un moment « général-baron » – alors qu’il était d’une famille de comtes –, il fut pour cette raison mis de côté et a alors rejoint à partir de sa retraite en 1899 le Comité Justice-Egalité.
« Justice pour les catholiques, Egalité dans l’exercice de leurs droits de citoyens » : derrière ces slogans défensifs, on trouve les pères assomptionnistes du quotidien La Croix, qui se chargeaient de promouvoir un vote catholique dans un régime que le pape Léon XIII, appelait à rallier afin de ne pas être socialement isolé.
Cependant, les ultras autour de La Croix comptaient unilatéralement appeler à voter contre tous les républicains, même modérés ; ils fondèrent même une Union de la France chrétienne, soutenu par la Jeunesse Catholique et les Congrès catholiques, auparavant ouvertement monarchistes, reprenant le nom d’une tentative similaire du cardinal Richard.
Il s’agissait de tout un réseau, avec la diffusion de La Croix, mais également le comité Jeanne d’Arc, la ligue de défense sacerdotale, les comités de la Bonne Presse, la Ligue de l’Ave Maria, etc.
Les appels ouverts au coup d’État, la propagande ouvertement anti-républicaine et antisémite fut de trop, tant pour le Pape qui exigea et obtint l’autodissolution, que pour le gouvernement qui perquisitionna et réprima à coups de procès.
Le Pape exigea alors que La Croix passa aux mains de laïcs, ce qui amena le quotidien à passer aux mains de l’industriel catholique du Nord Paul Féron-Vrau. On retrouve alors Raymond de La Rocque au Comité Justice-Egalité devenu laïc, mais pour qui « la France est une nation essentiellement catholique et, si elle manque à cette mission, elle ne peut que déchoir et mourir ».
Raymond de La Rocque commençait et terminait les réunions avec un grand signe de croix, avec Pater et Ave maria, invoquant Saint-Denis, Sainte-Geneviève, Jeanne d’Arc, le Sacré cœur de Jésus, etc., le tout dans une ambiance violemment anti-protestante et célébrant la Saint-Barthélémy, etc.
La France était considérée comme suit :
« Un vaste foyer de grèves où peut jaillir d’un jour à l’autre une révolution sanglante qui emportera tout. Tout est à la veille de s’engloutir, notre prospérité, notre honneur, notre liberté, notre religion. »
Le comité se transformera en 1903 en Action catholique française, mais ne pourra déboucher sur rien, de part le ralliement du Pape à la République, aboutissant au grand « compromis » de 1905.
Raymond de La Rocque résumera ainsi, dans son testament, sa tentative :
« Caractères, éducation, traditions vous placeraient, dans l’intérêt de la société française, aux premiers rangs parmi les administrateurs et les défenseurs del a Cité. La révolution a tout mis à l’envers.
Je crois à une Restauration, soyez prêts à y contribuer et disposés, le cas échéant, à prendre les postes d’honneur et de danger (…). La France reprendra franchement dans le monde son rôle de Sergent du Christ, qu’on ne lui enlèvera qu’en la tuant.
La Royauté, héréditaire, est nécessaire pour rendre à la France son unité et sa prospérité. C’est elle, cependant, qui sans propos délibéré, pour rendre sa tâche facile au jour le jour, laissé périr de dénuement et déconsidéré par des mélanges indignes avec favoris, courtisans et messieurs très riches, la noblesse de chevalerie qui, avec le menu peuple, était la véritable et douce France. »
Deux de ces fils deviendront effectivement monarchistes, le benjamin devenant chef de maquis à partir de 1943, capitaine dans la Libération, avec sept citations, médaille militaire.
Mais François de La Rocque comprendra que l’échec tenait au refus de la reconnaissance de la République, qu’il fallait façonner selon lui dans l’esprit catholique, et non pas dans la forme.
Lui, fervent croyant, allait se lancer dans une quête pour synthétiser cette perspective. Lors de son activité militaire en Afrique du Nord, François de La Rocque priait seul lors des fêtes religieuses lorsqu’il était isolé ; il participa à une retraite avec le missionnaire Charles de Foucauld.
Ce dernier, initialement géographe, devint une figure du mysticisme catholique, vivant en ermite et tentant de convaincre ainsi les populations où il prêchait (il sera à ce titre l’auteur du premier premier dictionnaire touareg-français).
François de La Rocque avait également notamment comme lecture Frédéric Le Play, un économiste sociologue catholique proposant au XIXe siècle une sorte de corporatisme avant l’heure, ainsi que François René de La Tour du Pin Chambly de La Charce, théoricien d’un « catholicisme social », particulièrement apprécié par ailleurs de Charles De Gaulle et de Charles Maurras (qui dira ainsi : « Ce n’est pas La Tour du Pin qui est à l’Action française, c’est l’Action française qui est à La Tour du Pin »).
On ne sera pas étonné que, dans cette perspective, François de La Rocque proposa en 1930 au secrétaire général de l’Action catholique, Canon Stanislas Courbe, de former un Groupement de défense sociale et civique. Il s’agissait d’unir les anciens combattants et la jeunesse dans le refus du parlement, des « intrigues faites par les partis et les clubs ».
Le projet n’exista que de manière éphémère, mais François de La Rocque synthétisait son point de vue. Initialement, François de La Rocque considérait que l’Armée formait une caste à part et ne devait pas avoir de rôle « éducateur » pour la société.
La grande figure est ici le maréchal Lyautey.
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