Aristote considérait que le monde était de la matière « formée » répartie en différents endroits, et mis en branle par la super-entité, le « moteur premier ».
Cependant, ce mouvement toujours provoqué depuis l’extérieur, ce déplacement forcé, était difficile à prouver : Aristote avait buté sur un point fondamental et évident. Lorsqu’on prend une pierre et qu’on la jette, la pierre continue sa projection, sans être en liaison avec la main qui l’a projeté.
Or, dans la logique de la cause et de la conséquence, la main est la cause du mouvement : comment l’objet en repos peut-il conserver ce qui appartient à la cause ?
Il y avait là un problème essentiel. Ce principe de la conservation de l’énergie, de sa transmission, était totalement incompris. Or, avec les progrès matériels, la bourgeoisie exigeait une compréhension du mouvement – si ce n’est le mouvement en général, au moins le mouvement en particulier.
C’est là qu’intervient Galilée, en traitant de la chute des corps. Il affirme que l’accélération de la chute est universelle : la pesanteur est la même pour tous les objets sur Terre ; ils tomberont de la même manière, quelle que soit leur masse (ici on ne prend pas en compte la résistance de l’air).
Ce qui veut dire qu’on peut considérer n’importe quel phénomène isolément, en utilisant un type de calcul théorique valable dans tous les cas.
C’était là révolutionnaire. Auparavant, de nombreuses choses posaient un grand souci à la science : les expériences étaient difficiles à mettre en place, il fallait les généraliser ce qui était encore plus difficile, il fallait les noter, les diffuser, etc. Sur le plan de la technique et de l’information, on fait « avec les moyens du bord ».
Or, ici, Galilée joue un rôle historique : il affirme qu’on peut contourner cela en généralisant certaines tendances sous la forme de lois. On peut alors utiliser la théorie, l’abstraction, de manière généralisée. Les mathématiques priment ici, comme méthode, comme moyen de former des combinaisons qui fourniront forcément un résultat sur le plan physique.
Regardon les Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles se rapportant à la mécanique et au mouvement local, titre choisi par l’éditeur de l’ouvrage, en Hollande, en 1638.
Galilée y affirme que les mathématiques fournissent la compréhension de la chute d’un corps :
« Nous apportons sur le sujet le plus ancien une science absolument nouvelle.
Il n’est peut-être rien dans la nature d’antérieur au mouvement, et les traités que lui ont consacrés les philosophes ne sont petits ni par le nombre ni par le volume pourtant, parmi ses propriétés, nombreuses et dignes d’être connues sont celles qui, à ma connaissance, n’ont encore été ni observées ni démontrées.
Certaines, plus apparentes, ont été remarquées, tel le fait que le mouvement naturel des graves, en chute libre, est continuellement accéléré selon quelle proportion, toutefois, se produit cette accélération, on ne l’a pas établi jusqu’ici : nul en effet, que je sache, n’a démontré que les espaces parcourus en des temps égaux par un mobile partant du repos ont entre eux même rapport que les nombres impairs successifs à partir de l’unité.
On a observé que les corps lancés, ou projectiles, décrivent une courbe d’un certain type mais que cette courbe soit une parabole, personne ne l’a mis en évidence.
Ce sont ces faits, et d’autres non moins nombreux et dignes d’être connus, qui vont être démontrés, et ainsi — ce que j’estime beaucoup plus important — ouvrir l’accès à une science aussi vaste qu’éminente, dont mes propres travaux marqueront le commencement et dont des esprits plus perspicaces que le mien exploreront les parties les plus cachées. »
Il y a toutefois ici un problème. Afin de justifier la réalité du calcul mathématique qu’il effectue, Galilée est obligé de renverser le rapport entre repos et mouvement. Pour Aristote tout est au repos et parfois seulement en mouvement ; chez Galilée, tout est en mouvement et parfois seulement au repos.
Tout chose existe dans un circuit de forces amenant au mouvement, et ce n’est que lorsque les mouvement s’annulent qu’il y a le repos :
« Si fluide, si ténu et si tranquille que soit le milieu, il s’oppose en effet au mouvement qui le traverse avec une résistance dont la grandeur dépend directement de la rapidité avec laquelle il doit s’ouvrir pour céder le passage au mobile.
Et comme celui-ci par nature va en accélérant continuellement, ainsi que je l’ai dit, il rencontre de la part du milieu une résistance sans cesse croissante, d’où résulte un ralentissement et une diminution dans l’acquisition de nouveaux degrés de vitesse.
Si bien qu’en fin de compte, la vitesse, d’une part, la résistance du milieu de l’autre, atteignent à une grandeur où, s’équilibrant l’une l’autre, toute accélération est empêchée, et le mobile réduit à un mouvement régulier et uniforme qu’il conserve par la suite. »
Galilée a modifié le rapport cause-conséquence d’Aristote en généralisant le mouvement : ce qu’il faut rechercher ce n’est plus la cause du mouvement, mais la cause du repos.
Cela permet de s’intéresser non plus au système en entier, avec des composantes au repos, mais des éléments séparés, individualisés, en étudiant leur mouvement.
Cela suppose un renversement total de perspective et c’est ce qui a été appelé historiquement le référentiel galiléen.