[La Cause Du Peuple n° 33, 8 janvier 1971.]
Après la campagne sur les cadences qui avait développé un mouvement de sabotage dans l’Ile Seguin et la campagne contre le terrorisme de la direction et, en particulier au moment du licenciement des maos, deux nécessités s’imposent pour le développement du mouvement de masse.
D’une part donner à tous les ouvriers, qui avaient saboté, et qui s’étaient mobilisés, souvent très activement contre les flics de la Régie, une forme d’organisation qui leur permette de faire reculer le terrorisme et de se protéger contre l’arsenal répressif de la Régie.
D’autre part, permettre à la grande masse des ouvriers qui soutenaient le sabotage et qui nous avaient soutenu pendant les licenciements de se mobiliser aussi contre leurs chefs flics, activement.
La voie qui semblait la plus juste pour répondre à ces besoins, c’était de faire reculer le terrorisme de la direction, à partir de la mobilisation d’un atelier.
Au cinquième étage de l’île, c’était là que l’agitation sur le terrorisme de la direction était le plus avancé.
C’est un atelier où la grande majorité des ouvriers sont immigrés, avec des cadences infernales et une répression extrêmement forte.
Beaucoup de sabotages avaient déjà eu lieu, pris en main par un grand nombre d’ouvriers.
Mais l’obstacle pour le développement de l’initiative du plus grand nombre d’ouvriers dans les grèves dures ou d’autres luttes de masse, c’était la répression exercée par une armée de chefs racistes et de mouchards et régleurs de toutes sortes.
Alors, un groupe d’ouvriers a pris en main l’agitation contre la maîtrise, d’abord avec des erreurs de gauche, attaquant en bloc toute la maîtrise en promettant d’en tirer un au sort.
Ensuite, après rectification, l’agitation s’était développée sur le thème : jugement des masses contre les chefs, par le groupe d’ouvriers actifs recevait dans l’atelier, y compris chez les travailleurs français et même chez les syndicalistes locaux, le jugement des masses a été exécuté par les groupes d’ouvriers antiflics.
Les groupes d’ouvriers antiflics ce sont : ceux qui écrivent les tracts, ceux qui mobilisent les masses, ceux qui organisent l’action et ceux qui exécutent la sentence.
Evidemment, les exécuteurs de la sentence ne sont pas les juges, pour des raisons de sécurité évidente (il y a entraide entre les différents groupes ouvriers anti-flics).
La cible choisie, c’était Robert, un régleur qui faisait fonction de chef d’équipe ; fasciste militant, il est au syndicat indépendant Renault ; c’est un salaud qui n’est monté en grade que par fayotage, ce qui fait qu’il était même détesté des autres chefs d’équipes.
L’ACTION
— Le samedi 19, à 6 h 15, à l’entrée de l’équipe, des partisans des G.O.A.F. l’attendaient à la porte de l’usine.
Devant près de 300 ouvriers, l’un d’entre eux le frappe avec une chaîne de vélo, pendant qu’un autre prend la parole pour expliquer ce qu’il est et qu’un autre jette des tracts avec le texte du jugement populaire.
Ensuite, Robert restera pendant un quart d’heure à saigner sur le pavé, personne n’ayant eu l’idée d’appeler l’hôpital. Tout de suite, l’action est popularisée par le G.O.A.F. du 5* étage, et comme près de 1 500 ouvriers l’ont vu allongé par terre, toute l’usine est au courant.
LA PROPAGANDE
Elle a d’abord été faite par les G.O.A.F.
— Au 5* étage tout de suite après l’action, avec un tract reprenant le jugement de la vermine Robert.
— Ensuite, le lundi, sur toute l’usine : 2 500 tracts furent diffusés clandestinement dans l’Ile Seguin par tous les activistes, c’est-à-dire ceux qui veulent prendre en mains les Groupes Ouvriers Anti-flics, expliquant le jugement rendu sur le chef et ce que sont les GOAF, et donnant les armes de lutte : action de masse et action de partisans contre !e terrorisme de la direction.
Les réactions furent excellentes : les ouvriers les plus actifs commencèrent à faire des plans, à repérer les numéros de voitures des crapules connues, d’autres proposèrent carrément : « Nous sommes quatre, on veut constituer un G.O.A.F. ».
Le tract fut distribué clan- destinement par un grand nombre d’activistes.
Pour la grande masse des ouvriers, les réactions furent excellentes également :
— Dans les endroits où la maîtrise est très répressive, enthousiasme délirant, tract lu en public et mis sous le nez du chef, etc. ;
— Dans les endroits où la maîtrise se fait plutôt oublier, enthousiasme et soutien sur le thème : « C’est nor- mal » ;
— Dans les ateliers, des tracts furent faits, popularisant l’action et donnant des axes de luttes sur les crapules locales.
LA PROPAGANDE DES MAOS
Elle fut faite par un tract distribué à la porte, racontant l’action pour tous ceux qui n’avaient pas été tou- chés et donnant le programme des G.O.A.F., avec mode d’emploi précis. LES REACTIONS DE L’ENNEMI : L’ENNEMI EST BRUTAL, MAIS IL EST FAIBLE
Dès qu’est connue au 5° étage l’exécution de la sentence contre Robert, les chefs du 5″ se réunissent autour du tract du G.O.A.F. du 5′ étage et se mettent en grève pendant une heure en disant aux ouvriers : « Faites ce que vous voulez, on s’en fiche. »
Mais dans la grève même deux tendances coexistent : les plus facistes font grève pour que la direction prenne des mesures pour protéger leurs exactions ; ils ont pour cela signé une pétition à la direction ; les autres font grève principalement contre les cadres qui sont au-dessus d’eux, qui leur ordonnent les augmentations de cadences et le terrorisme, sans risquer, eux, le cassage de gueule pour l’instant.
Cette contradiction se retrouve partout chez les chefs dans l’usine : les plus fascistes n’essayent même pas de jouer au malin comme leurs copains du 5°.
Certains préfèrent ne plus pointer leur nez sur les chaînes. D’autres se mettent à dire bonjour aux ouvriers, le matin. Ceux qui .déjà n’emmerdaient pas spécialement leurs ouvriers trouvent la sentence normale.
Résultat pour l’ensemble des travailleurs : le terrorisme des chefs se relâche momentanément.
Les syndicats, eux aussi, sont divisés : de nombreux militants, et même des délégués de base, trouvent l’action juste. La direction C.G.T., qui travaille pourtant activement aux mouchardages et aux licenciements des ouvriers actifs, est juste capable de sortir, quelques jours plus tard et seulement dans l’Ile Seguin, une queue de tract incompréhensible :
La seule voie est l’UNITE DE TOUS LES SALARIES (ouvriers, techniciens et agents de maîtrise) pour les revendications communes à tous.
C’est pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec les agressions fascistes comme celle qui s’est déroulée à (‘encontre d’un agent de maîtrise, samedi dernier.
Nous ne tolérerons pas que des « cagoulards » du style hitlérien viennent aux portes agresser des membres du personnel.
Après un début de tract attaquant nomément un chef d’atelier fasciste de l’Ile, sous le titre « NOUS NE TOLERERONS PAS UN TEL MEPRIS DES TRAVAILLEURS. »
CETTE CAMPAGNE OUVRE UNE NOUVELLE VOIE
L’idée de l’application de la justice populaire dès aujourd’hui à Renault pénètre les masses. Le tribunal populaire de Lens, le jugement d’un dét pute U.D.R. par les ouvriers de Boussac, l’enlèvement et le jugement du député U.D.R. de Grailly, bénéficiaire du scandale financier de La Villette et rapporteur de la « loi scélérate » anti-casseur, l’exécution par les révolutionnaires basques du tortionnaire Manzanas ne sont plus des exemples lointains.
L’idée qu’il y a « des brigades d’ouvriers qui punissent les mauvais chefs » pénètre aussi largement. Les Groupes Ouvriers Anti-Flics commencent à ne plus être aux yeux des larges masses des « casseurs sympathiques », mais les exécuteurs, avec tout le sérieux nécessaire, de leurs sentences.
La diffusion clandestine des tracts des G.O.A.F. permet beaucoup plus largement aux travailleurs de prendre en main la propagande et est un gage de sérieux et de solidité de la résistance ouvrière.
PROGRAMME ANTI-CHEFS
Qu’est-ce que c’est qu’un chef flic ?
— C’est un mec payé pour nous faire gratter le plus possible, c’est celui qui est chargé de nous faire faire nos cadences et aussi de les augmenter. Tu t’arrêtes cinq minutes de bosser pour te reposer, tu as aussitôt un chef sur le dos.
— C’est un mec payé pour nous surveiller. Ils entretiennent des mou- chards, ils repèrent les ouvriers qui sabotent le profit, ils dénoncent les meneurs, c’est les flics de l’usine.
Les chefs, ils sont payés pour nous faire gratter et pour nous espionner, c’est nos ennemis, ils sont « salariés » comme les flics et les C.R.S., rien à voir avec les ouvriers comme voudraient le faire croire les syndicats.
Là dedans, il y a des braves mecs qui essaient de gagner leur bifteak sans trop s’occuper de ce qui ne les regarde pas. Ceux-là, on ne s’occupe pas plus d’eux que du flic qui fait la circulation.
Mais il y a aussi un pourcentage de salauds qui ont sans arrêt l’insulte à la bouche, qui sont des racistes, qui filent les cartons de pointage en retard, qui refusent les bons de sortie, qui filent des brimades, des sanctions, des licenciements.
NOUS AUSSI ON DOIT LES JUGER
Un chef, il faut noter toutes les saloperies qu’il fait, en discuter avec tous les gars de l’atelier, se mobiliser contre elles.
EN MASSE
A chaque sanction, tous ensemble on va au bureau. Quand ils nous font trop chier, quand ils sont racistes, on débraye pour aller s’expliquer, avec eux.
Il y a des tas de trucs à faire pour les emmerder.
On peut aussi faire un tract contre eux en dénonçant toutes leurs saloperies, des affichettes avec leurs noms, pour mobiliser tout le monde et pour les avertir.
EN GROUPES OUVRIERS ANTI-FLICS
Et si un tract, cela ne suffit pas, si l’avertissemeni il ne veut pas le comprendre ; si tous les ouvriers sont d’accord mais qu’ils n’osent pas encore manifester en masse ou si la pression des masses est encore insuffisante pour lui faire peur, on est capable de lui faire- payer ses saloperies d’une manière efficace et qui laisse des traces.
Au 38, contre le chef flic Menard, les ouvriers ont multiplié les affichettes, salopé son bureau, crevé les pneus de son vélo, etc., et un jour, toute la manutention a débrayé pour s’expliquer avec lui. Après il s’est calmé.
Aux forges, un chef raciste avait vidé deux ouvriers arabes, des ouvriers lui ont cassé la gueule.
On n’a jamais su qui c’était, etc.
Cela prouve que contre les flics, on peut obtenir des victoires dès maintenant.
— D’un côté, si on s’unit pour lutter contre eux, si on débraye, si on isole les mouchards, on se renforce et ils ne peuvent plus rien faire.
— De l’autre, les groupes ouvriers anti-flics appliquant les sentences décidées par tous les ouvriers, cela fout la trouille aux salopards. Une semaine d’hôpital et des cicatrices sur toute la gueule pour 180 000 balles par mois, cela ne vaut pas le coup. Et surtout faut pas qu’ils comptent sur Dreyfus pour les défendre. Pour lui, ce n’est rien que les chiens qui doi- vent obéir à leurs maîtres et c’est tout.
Les ouvriers font leur justice eux-mêmes.
A bas le terrorisme de la direction qui multiplie les flics pour briser les luttes.
— En s’organisant, en s’unissant, on empêchera les flics de nuire. — Faire reculer les chefs flics, c’est se préparer à lutter contre les cadences, les salaires de misère et les licenciements.
Créons partout des groupes ouvriers anti-flics.
Les luttes d’aujourd’hui préparent les usines de demain, où les ouvriers seront les maîtres.
Appliquer les lois de la justice populaire aux chefs salauds, ça soulage notre esclavage actuel, mais ça prépare aussi le jour où les ouvriers prendront et garderont le pouvoir, le fusil à la main.
Dans les usines, nous ferons comme en Chine Populaire.
Un comité ouvrier élu par tous et révocable à tout moment dirigera l’usine.
Les chefs cadres qui auront commis de grosses saloperies contre les ouvriers seront punis, après jugement de tous les ouvriers. Au début, les anciens chefs qui n’ont pas commis de crimes contre les ouvriers, qui seront prêts à collaborer sous la direction des ouvriers à la marche de l’usine aideront les ouvriers à organiser le travail.
Au fur et à mesure que les ouvriers connaîtront mieux le fonctionnement de l’usine, ils les enverront bosser comme tout le monde.
Au fur et à mesure, les ouvriers eux-mêmes formeront leurs techniciens :
En Chine, des ouvriers sont désignés par les assemblées ouvrières des usines pour aller à des écoles polytechniques en fonction de leur attachement à l’intérêt collectif surtout (tous les arrivistes sont éliminés, même ceux qui sont très intelligents).
Ils y restent deux ou trois ans dans un système mi-travail, mi-étude.
Puis ils retournent dans l’usine où ils sont ouvriers comme tout le monde et où ils se servent de leur savoir pour diriger la résolution des problèmes qui se posent et apprendre aux autres ouvriers et non pour gagner plus et pour écraser les autres.
Préparons-nous dès aujourd’hui à exercer la justice populaire.
Forgeons dès aujourd’hui la milice ouvrière nécessaire pour prendre et garder le pouvoir.