Ainsi, Georges Bernanos fait clairement partie de cette génération forgée par l’Action française, et dont Pierre Drieu La Rochelle dira que la disparition durant la guerre a été la cause de la non-affirmation d’un courant fasciste au sens strict en France juste après 1918.
Georges Bernanos, qui a fait partie de cette tradition, ne voit plus de perspectives en 1918. Il est ainsi déjà post-fasciste alors que le fascisme ne s’est pas encore élancé. Il abandonne la politique, devenant inspecteur des assurances pour subvenir aux besoins de son couple.
Il devient par contre un intellectuel en tant que tel, en publiant Sous le soleil de Satan en 1926. Grand succès grâce à la promotion faite par son ami Léon Daudet (également témoin de son mariage) dans l’Action française (les 7 et 26 avril) ; l’œuvre est pétrie d’un catholicisme mystique, avec une prose littéralement expressionniste.
Georges Bernanos est alors une figure idéologique et culturelle des conservateurs et catholiques ; il se voit proposer dès 1927 la légion d’honneur, qu’il refuse. Il rejoint en 1931, comme responsable de la page littéraire, Le Figaro qui appartient au milliardaire fasciste François Coty, qui arrose les organisations d’extrême-droite.
Cependant, on peut y lire des articles assassins sur Charles Maurras, qui répondit tout aussi férocement dans l’Action française, alors que Léon Daudet définira Georges Bernanos comme un « suce-pieds grandiloquent ».
L’année 1932, Georges Bernanos rompit avec Le Figaro ; en juillet 1933, il a un grave accident de moto ; en 1934, il s’installa aux Baléares, en 1938 au Brésil. Georges Bernanos fut ainsi, même s’il fut reconnu comme un grand écrivain, immédiatement marginalisé.
L’échec de sa situation, il l’attribue à l’incapacité de Charles Maurras d’assumer la direction d’une vague révolutionnaire ; il a la même position que Pierre Drieu La Rochelle. Voici comment il présente sa vision des choses dans Scandale de la vérité, en janvier 1939 :
« La génération à laquelle appartient M. Maurras déjà sombre dans les ténèbres et dans l’oubli (…).
Si le nom de M. Maurras revient sans cesse sous ma plume, c’est qu’il est probablement le seul des grotesques nationaux à mériter d’occuper un moment la pensée d’un Français, en ces jours de honte.
Loin de ressentir à son égard rien qui ressemble à la haine, le seul sentiment que m’inspire son mystérieux, son exceptionnel destin n’est pas loin d’être celui d’une sorte de terreur sacrée.
Sur tout ce qui touche à ses préjugés ou ses rancunes, je tiens évidemment sa parole pour moins que rien, mais je crois sincères les contradictions qui l’animent.
Il admire la France, la Monarchie, l’Église avec une lucidité déchirante, une jalousie féroce, sans espoir d’aller jamais au-delà d’une convoitise désespérée, comme l’impuissant une maîtresse, qu’il ne souhaite même plus d’étreindre (…).
Il n’y a pas de mystique royaliste à l’Action française, c’est vrai ; nous le savons. Mais il y a une mystique maurrassienne, une mystique de la personne de M. Maurras.
Certes, la doctrine de M. Maurras mérite l’estime de n’importe quel Français ayant le respect des choses de l’esprit, mais c’est la mystique maurrassienne qui fait les fonds (…).
J’ai le droit de parler comme je fais. Ce n’est pas la pensée de M. Ch. Maurras qui m’a rallié à la Monarchie.
Je n’ai jamais été républicain. J’ai cru, à seize ans, qu’il était l’homme du coup de force, qu’il descendrait dans la rue. Je l’ai cru parce qu’il me l’affirmait, qu’il ne cessait pas de l’affirmer. Je ne le tiens pas pour un lâche.
Je dis qu’aucun politicien n’a exploité avec moins de vergogne l’image d’un risque qu’il était bien décidé à ne pas courir. Cela me suffit.
Je distingue volontiers entre M. Maurras et M. Jaurès. Il n’en est pas moins vrai que leurs destinées politiques se ressemblent.
Tous deux humanistes, tous deux professeurs, également ignorants ou secrètement dédaigneux du vrai peuple, également experts à parler le langage de l’action, à noyer l’action réelle dans la phraséologie de l’action, à l’amortir, à l’étouffer, à la prendre toute vivante dans un minutieux réseau d’objections pertinentes, de réserves judicieuses, d’ironies, d’indignations feintes, de dénigrements méthodiques, le premier a brisé l’élan syndicaliste, poussé peu à peu son parti dans le cul-de-sac de l’union des gauches comme le second jette le sien dans l’impasse de l’union des droites (…).
La trahison du maurrassisme est d’avoir laborieusement fourni à ces médiocres, pièce par pièce, un dossier facile à plaider, d’innombrables prétextes à révision, les moyens de droit d’une interminable procédure.
La société moderne est à refaire. La société française est à refaire, et la trahison du maurrassisme a été de lui persuader qu’il n’en était rien, qu’elle pouvait parfaitement servir telle quelle, grâce à la Monarchie, bien entendu.
Et ce disant, il trahissait aussi la Monarchie, ou du moins il trahissait l’image que les jeunes Français devraient se faire d’elle, de l’œuvre à entreprendre, à réaliser par elle, car l’œuvre de la Monarchie est précisément de refaire la société française, ou pour tout dire de notre espoir, de notre volonté, de notre détermination sans retour, de notre décision irrévocable, – elle est plus précisément encore de refaire avec la Monarchie une Chrétienté française. »