Georges Bernanos est donc un partisan de l’intériorité subjective – mystique, mais il refuse toute affirmation qu’il voit comme une expression d’orgueil. C’est ainsi ce qu’il reproche à Martin Luther : d’avoir été trop dans ce qui est un « scandale ».
On peut citer ici l’Evangile, avec Matthieu, 18, qui est nécessairement une référence pour Georges Bernanos dans son approche :
« 1 En ce moment, les disciples s’approchèrent de Jésus, et dirent: Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux?
2 Jésus, ayant appelé un petit enfant, le plaça au milieu d’eux,
3 et dit: Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.
4 C’est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux.
5 Et quiconque reçoit en mon nom un petit enfant comme celui-ci, me reçoit moi-même.
6 Mais, si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspendît à son cou une meule de moulin, et qu’on le jetât au fond de la mer.
7 Malheur au monde à cause des scandales! Car il est nécessaire qu’il arrive des scandales; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! »
De là émerge une affirmation ininterrompue, dans ses œuvres, de la simplicité. Les romans de Georges Bernanos représentent, dans les faits, l’expression la plus haute d’un catholicisme populaire valorisant ce qu’on peut appeler conceptuellement la sainteté-simplicité.
La pureté ne pourrait être que recul, elle ne peut aller dans le sens d’une affirmation, qui serait orgueil, et donc intolérable péché. C’est une lecture indéniablement féminine et populaire, dans la mesure où les femmes cherchent à valoriser ce qui est juste mais, encadrées par le patriarcat, ne peuvent aller dans le sens de la confrontation.
On a en même temps, de fait, la révolte et la peur que l’idée de révolte soit un péché, la haine du mensonge mais un sens certain et profondément esthétisé de la dissimulation, un désespoir lancinant avec des crises de honte de soi.
La simplicité est alors le refuge, comme une procédure d’évitement. L’abbé Donissan dans Sous le soleil de Satan, l‘abbé Chevance dans L’imposture, Chantal de Clergerie dans La joie, le curé d’Ambricourt dans le Journal d’un curé de campagne, Blanche de la force dans le Dialogue des Carmélites, sont des gens qui refusent toute complexité, qui cherchent une simplicité totale.
Dans le roman La joie, l’œuvre sans doute la plus aboutie de Georges Bernanos, la simplicité est d’ailleurs omniprésente : « il n’est pas si facile qu’on croit de garder la simplicité de sa vie, mais les complications viennent du dehors, toujours. La simplicité vient du dedans. », « la simplicité, l’innocence, l’esprit de soumission d’un petit enfant », « la simple douceur », « l’extrême, la surnaturelle simplicité de sa vie », « trop simple aussi, trop indifférente à soi-même », « l’exercice des devoirs simples », « cela paraît simple », « une bonne petite fille, très saine, très simple », « à la mesure d’une simple et diligente sagesse », « une foudroyante simplicité », « la parole simple et claire », etc. etc.
Il y a pratiquement 70 occurrences de ce type, et cela est pareil dans Sous le soleil de Satan : « il la vit toute droite et toute simple », « le bonhomme tout simple et tout », « les sentiments les plus simples », « un simple et silencieux dénouement », « un pauvre homme simple », « votre obéissance et votre simplicité », « la simple réponse du pauvre prêtre », « l’aveu si simple et si déchirant », « la simplicité du saint de Lumbres », « le plus simplement du monde », « avec une certaine simplicité », etc.
Il y en a encore davantage dans L’imposture : « sur une simple chaise de paille », « une simple étagère », « la simple lampe », « dans sa simplicité », « un acte simple », « un acte si simple », « les hommes simples, dont la simplicité l’avait trahi », « votre simplicité », « votre cœur simple et sincère », « je veux que ma vie soit simple, régulière, quotidienne », « la simplicité, la banalité de ce conseil », « par simple curiosité », « ces simples poèmes », etc.
Dans le Le Journal d’un curé de campagne, il y en a un tout petit peu moins de cinquante : « c’est si difficile d’être simple », « les gens du monde disent « les simples » comme ils disent « les humbles », avec le même sourire indulgent. Ils devraient dire : les rois », « les choses les plus simples », « un simple vocabulaire », « si simple d’aspect », « cette idée si simple », « un simple ouvrier maçon », « un simple mot », « le plus simplement », « une simple chaîne d’argent », « une simple égratignure », etc.
Les simples sont, donc, des rois ; Georges Bernanos a une lecture minimaliste – réductionniste de la foi, au sens d’une intériorité de grande densité plus que dans l’étalement, tout à fait donc dans l’esprit du luthérianisme.
Dans son agenda, à la fin de sa vie, il écrira d’ailleurs une sentence correspondant on ne peut plus à l’esprit de maître Eckardt et de Martin Luther :
« Nous ne nous connaissons pas, nous ne rentrons en nous que pour mourir, et c’est là qu’Il nous attend. »