Dans la Grèce antique, le système esclavagiste avait permis de produire une classe d’intellectuels assez riches pour consacrer leur temps au savoir et à la science.
Pendant la Renaissance en Europe, en particulier en Italie, le « retour » à ce savoir de la Grèce antique a été appréhendé comme une façon de dépasser le Moyen-Âge.
En Italie et en France, la bourgeoisie s’est en fait emparée de l’idéologie philosophique de la Grèce antique afin d’affaiblir la religion, de manière défensive, alors qu’ailleurs le hussitisme et le protestantisme sont devenus des formes idéologiques militantes d’averroïsme politique, dans une lutte ouverte contre le féodalisme.
C’est pourquoi le « mythe » de la Grèce Antique comme « source » du savoir a été beaucoup plus fort en Italie et en France que dans les futurs pays protestants.
La pensée de la Renaissance se basait sur un mysticisme néoplatonicien, dont l’italien Marsile Ficin (1433-1499) était le grand représentant, et prenait la forme d’un compromis mystique avec le catholicisme. Quant à la pensée protestante, elle formait déjà un système accompli de pensée bourgeoise dans le domaine de l’éthique, entièrement tourné vers la promotion de l’idéologie capitaliste.
D’un côté, on a la fascination pour les petits anges grassouillets des peintures de la Renaissance, de l’autre, on a l’admiration pour le réalisme de la peinture flamande.
Or, si l’on regarde de plus près, on voit de grandes similitudes entre la Grèce antique et l’Inde antique. C’étaient deux civilisations esclavagistes, avec une histoire marquée par des intellectuels qui ont développé le savoir et la science.
Bien sûr, les centres d’intérêt étaient différents en raison des situations économiques et culturelles distinctes. Dans la Grèce Antique, la question la plus importante était celle de l’espace, ce qui signifie que le mouvement était un concept central.
L’univers était-il immuable ou en mouvement ? Comment se déplaçaient les planètes ? Comment les espèces se reproduisaient-elles, quelle sorte de mouvement cela était-ce ? Est-ce qu’il y avait des atomes, ou bien la matière était-elle faite de « formes » produites par un moteur source de tout mouvement ? Ce moteur était-il lui même en mouvement ? Notre réalité était-elle en mouvement, reproduisait-elle un monde statique d’idées ?
Dans l’Inde antique, ce n’était pas la question de l’espace qui comptait, mais celle du temps. Les orientations étaient complètement différentes. Et, de même qu’en Grèce, cette question a produit de nombreuses batailles entre courant idéaliste et courant matérialiste.
De plus, la lutte des classes a entraîné des révolutions idéologiques : le brahmanisme, ébranlé par les luttes des classes populaires, a dû se transformer en hindouisme. Des courants bourgeois ont même existé, qui ont abouti au bouddhisme et au jaïnisme. Mais le bouddhisme bourgeois a été écrasé dans l’Inde antique et le jaïnisme s’est maintenu sous la forme d’un compromis subordonné à l’hindouisme.
Plus tard, les conquêtes islamiques devaient encore transformer l’hindouisme, ce dernier adoptant plusieurs formes afin de se maintenir. Le colonialisme britannique allait à nouveau changer la situation et donner naissance à l’hindouisme tel que nous le connaissons aujourd’hui.
L’importance de cette question doit être soulignée. Plus d’un milliard de personnes sont concernées par ces idéologies de l’hindouisme, du bouddhisme indien et du jaïnisme. Si l’on prend en considération la culture islamique des pays en relation directe avec l’Inde, il nous faut y ajouter des centaines de millions de personnes.
Si l’on compte les pays d’Asie qui ont sauvé le bouddhisme et qui l’ont développé en fonction de leurs propres situations (Chine, Sri Lanka, etc.), la question concerne encore plus d’un milliard de personnes supplémentaires.
Mais ce n’est pas tout. L’hindouisme, le bouddhisme et le jaïnisme ont abordé une question centrale : la question de la conscience.
Ces religions ont nié l’existence de l’ego, l’existence du « moi », ce qui signifie qu’elles comprenaient déjà que l’être humain ne pense pas, qu’il n’est qu’un élément de la matière éternelle en mouvement. Si les réponses avancées ont rarement été matérialistes, mais idéalistes pour la plupart et réactionnaires en dernière instance, le fait que la question ait été posée est une contribution formidable au savoir et à la science.