Au moment de l’Édit de Nantes, le régime est pacifié, d’une manière telle que les esprits en sont durablement frappés. Dans son Théâtre d’agriculture et ménage des champs, Olivier de Serres y parle d’une population qui « demeure en sûreté publique, sous son figuier, cultivant sa terre, comme à vos pieds, à l’abri de Vôtre Majesté, qui a à ses côtés la justice et la paix ».
Une formule d’Henri IV passa à la postérité, donnant de lui une image paternaliste, celle d’un souverain soucieux de son peuple :
« Si Dieu me prête vie, je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon royaume qui n’ait les moyens d’avoir le dimanche une poule dans son pot ! »
Dans un ouvrage publié peu après la mort d’Henri IV, Les amours du Grand Alcandre, l’un de ses propos est rapporté de la manière suivante :
« un sage roi estant comme un habile apothicaire qui, des plus meschans poisons compose d’excellens antidotes, et des vipères en fait de la thériaque. »
Henri IV fait l’éloge du savoir-faire politique : lui-même fut protestant converti au catholicisme pour devenir roi, mais cela ne l’empêche nullement de mener la vie décadente typique des rois de la première période de la monarchie absolue. Dans une même veine pragmatique, n’ayant pas d’enfant, il annule son premier mariage, pour se remarier avec Marie de Médicis, la plus riche héritière en Europe à ce moment-là.
La situation est tellement favorable à la monarchie absolue qu’Henri IV peut se permettre d’accélérer les travaux du Louvre, des châteaux de Saint-Germain et de Fontainebleau, contribuant à former un nouveau réseau de rues et de places pour Paris. Il est à l’origine du Pont Neuf, de la Place Royale, qui deviendra la place des Vosges, ainsi que de la place Dauphine, prévue pour être entourée de commerces aux rez-de-chaussée de blocs d’habitation.
Il programma la fondation de plusieurs institutions telles qu’une bibliothèque à l’usage des savants ou une académie encyclopédique intégrant un jardin botanique et un théâtre d’anatomie. Il fait en sorte que les sculpteurs soient français, et non plus italiens.
L’impact culturel fut de très grande ampleur et le plus grand symbole en est que le roman le plus célèbre du XVIIe siècle, l’Astrée, fut dédié par son auteur Honoré d’Urfé, à Henri IV, ce « grand Roi, la valeur et la prudence duquel l’a rappelé le Ciel en terre pour le bonheur des hommes ».
Astrée est à l’époque une femme présentée avec des épis de blé dans les cheveux, une corne d’abondance dont sortent des fruits et des fleurs. On retrouve dans le roman la figure très symbolique d’Alcippe : père de Céladon qui est l’amant d’Astrée, il a passé une vie houleuse de chevalier errant avant de devenir berger et fermier, avec son « épée en coutre [fer du soc de la charrue] pour ouvrir la terre et non pas le flanc des hommes ».
On a là le symbole de la pacification et du progrès permis par la monarchie absolue. Un autre exemple est Le Labyrinthe royal de l’Hercule Gaulois triomphant du jésuite André Valladier, qui présente en 1600 le triomphe à l’antique du roi. Henri IV est assimilé à son ancêtre Hercule – avec même une pseudo-généalogie fournie pour l’occasion – avec une épée oscillant entre une massue et le caducée de Mercure qui symbolise la paix.
On ici l’établissement de la monarchie absolue de manière solide, et il est intéressant de voir comment ce redémarrage historique a pu être littéralement stylisé sous la forme d’un âge d’or pour l’économie, la paix et la tolérance.
Ainsi, en 1723, Voltaire se lancera également dans un éloge d’Henri IV, avec un poème en dix parties intitulé La Henriade. Il fut dédié à la reine d’Angleterre Elisabeth, Louis XV yant refusé l’œuvre, tout en envoyant deux mille écus pour aider Voltaire.
Après la révolution française, au moment de la restauration, la période royale d’Henri IV fut présentée comme un âge idéal, comme un contre-modèle en apparence, puisque l’économie et la tolérance étaient également des valeurs au cœur des Lumières et de la révolution française.
A cet effet, une chanson du XVIe siècle fut reprise, son texte modifié. La mélodie provient d’un chant populaire de Noël et à une danse appelée « Les Tricotets ». Voici le texte original de la chanson connue sous le nom de « Vive Henri IV » :
« Vive Henri quatre
Vive ce Roi vaillant
Ce diable à quatre
A le triple talent
refrain
De boire et de battre
Et d’être un vers galant
De boire et de battre
Et d’être un vers galantAu diable guerres
Rancunes et partis
Commes nos pères
Chantons en vrais amis
refrain
Au choc des verres
Les roses et les lys
Au choc des verres
Les roses et les lysChantons l’antienne
Qu’on chant’ra dans mille ans
Que Dieu maintienne
En paix ses descendants
refrain
Jusqu’à c’e qu’on prenne
La lune avec les dents
Jusqu’à c’e qu’on prenne
La lune avec les dentsVive la France
Vive le roi Henri
Qu’à Reims on danse
En disant comme Paris
refrain
Vive la France
Vive le roi Henri
Vive la France
Vive le roi Henri »
Voici le texte de la chanson à la restauration :
« Fils d’Henri quatre,
O Louis ! ô mon Roi !
S’il faut se battre,
Nous nous battrons pour toi ;
En vrai diable à quatre,
Je t’en donne ma foi.Vive Alexandre !
C’est l’ami des Bourbons ;
C’est pour nous rendre
Un roi que nous aimons,
Qu’il vient nous défendre,
Avec ses escadrons.Bon Roi de France,
Si longtemps attendu,
La Providence
Enfin nous a rendu
La paix, l’espérance,
Cela nous est bien dû.Toi, d’Angoulême,
Fille de tant de Rois ;
La vertu même.
Mille échos, mille voix
Disent que l’on t’aime
Comme on aime d’Artois.Chant d’allégresse,
Chant du coeur, chant d’amour,
Redis sans cesse,
Et redis nuit et jour
Que dans notre ivresse
Nous chantons leur retour. »
Des vers furent également ajoutés en l’honneur de Louis XVIII :
« Du fils de France
Sur nous l’étoile luit ;
C’est la clémence
Qui vers nous le conduit :
La paix le devance,
Et le bonheur le suit.A ce bon maître
Notre cœur appartient,
Pour nous soumettre,
Par l’amour il nous tient.
Henri va renaître
Dès que Louis revient.Elle est tarie
La source des malheurs.
O ma patrie !
Mets fin à tes douleurs ;
La main de Marie
Vient essuyer tes pleurs.Comme Antigone,
Doux appui de son Roi,
Loin de son trône
Elle bannit l’effroi.
Du Dieu qui la donne,
France, bénit la loi. »
Ces paroles sont très hypocrites, puisque la restauration mettait en avant une monarchie autocratique fondamentalement liée au catholicisme, dans un esprit ultra-réactionnaire. Henri IV mettait quant à lui en avant une monarchie absolue dont le cœur est politique et dont la base sert en pratique précisément la bourgeoisie.